Vous souvenez-vous de cette excitation quand, lycéen, vous avez coché « école d’ingénieurs » sur votre liste de vœux, persuadé que vous alliez enfin changer le monde ? Moi oui. Et puis arrive le premier stage… et parfois, c’est la douche froide.
Récemment, une grande enquête menée auprès de plus d’un millier d’étudiants et de jeunes diplômés a mis un chiffre brutal sur ce sentiment : 31 % des étudiants en écoles d’ingénieurs trouvent leurs missions en entreprise peu intéressantes. Un sur trois. Autant dire que ça fait beaucoup de talents potentiellement frustrés dès les premiers pas dans le monde professionnel.
Le métier d’ingénieur n’est plus ce qu’il était (et c’est tant mieux… ou pas)
Autrefois, quand on disait « ingénieur », tout le monde imaginait plus ou moins la même chose : un expert technique ultra-compétent, parfois un peu manager, qui résout des problèmes complexes dans son coin ou avec son équipe. Point. Aujourd’hui, c’est fini. Le titre d’ingénieur recouvre désormais une galaxie de rôles très différents, et les aspirations des jeunes suivent le mouvement.
Six profils qui racontent la nouvelle génération
Les sociologues qui ont mené l’étude ont identifié six grandes figures qui émergent chez les étudiants et jeunes actifs. Je vous les présente, parce que franchement, on s’y reconnaît tous un peu.
- L’expert technique – le classique, celui qui adore plonger dans les équations et les lignes de code.
- Le manager à l’ancienne – qui aime diriger, structurer, faire avancer le bateau.
- L’ingénieur sans hiérarchie – le coordinateur agile, celui qui fait travailler les équipes en mode projet, sans forcément être le chef.
- L’acteur du changement – celui qui veut que son travail ait un impact positif sur la société ou l’environnement.
- Le leader inspirant – capable d’embarquer tout le monde derrière une vision.
- L’ouvrier en col blanc – et oui, il existe… celui qui exécute, souvent frustré de ne pas pouvoir faire plus.
Ce dernier profil, on l’avoue, on préférerait qu’il disparaisse rapidement des organigrammes.
« Les entreprises cherchent des gens capables de travailler en mode agile, et apparaît le profil de l’ingénieur sans hiérarchie, qui coordonne. »
– Une sociologue spécialisée dans les transitions professionnelles des jeunes
Le choc des attentes : 30 % rêvent d’être acteurs du changement… 20 % se sentent simples exécutants
C’est là que ça coince vraiment. Sur le papier (et dans les brochures des écoles), on vend encore souvent l’ingénieur comme celui qui va révolutionner le monde. Résultat ? Près d’un étudiant sur trois se voit en « acteur du changement ». Super. Sauf que, une fois en poste, un jeune ingénieur sur cinq considère qu’il n’a pas assez d’autonomie et qu’il occupe surtout un rôle d’exécutant.
Et quand on demande carrément si les missions sont intéressantes… 28 % des jeunes actifs répondent non. Autant dire que certains stages virent au cauchemar ou, au mieux, à la case « expérience à oublier vite ».
Je me souviens d’un ami, brillant diplômé d’une grande école, qui m’avait confié après son premier CDI : « Je passe mes journées à remplir des tableaux Excel pour justifier des choix que je n’ai même pas faits. » Six mois plus tard, il démissionnait pour monter sa boîte dans le solaire. L’histoire est banale, finalement.
Pourquoi cette désillusion ? Les racines du problème
Plusieurs facteurs se combinent, et ils ne datent pas d’hier.
- Les entreprises se transforment lentement : beaucoup parlent d’agilité, de RSE, d’innovation… mais les organigrammes restent très (trop) pyramidaux.
- Les formations se diversifient : on forme désormais des ingénieurs en intelligence artificielle, en transition énergétique, en design thinking… des profils qui n’ont pas envie de faire « comme avant ».
- La société change : la quête de sens, l’urgence climatique, l’envie d’équilibre vie pro/vie perso ne sont plus des lubies de bobos, c’est la norme chez les moins de 30 ans.
- L’internationalisation : les étudiants voyagent, font des doubles-diplômes, découvrent d’autres façons de travailler.
Résultat ? Le décalage est violent entre le récit héroïque qu’on leur vend pendant cinq ans et la réalité du terrain.
Ce qui motive vraiment cette génération (et ce qui la fait fuir)
Alors oui, le salaire reste important – personne ne va cracher dessus. Mais il est loin d’être le seul levier.
43 % des étudiants disent qu’ils seraient ultra-motivés si on leur proposait des projets à impact sociétal ou environnemental. Une fois en entreprise ? Seulement un tiers gardent cette flamme. L’écart est énorme.
Chez les jeunes femmes en particulier, un critère ressort fortement : la mixité dans les postes de management. Elles veulent voir des femmes à des postes de décision, point barre. Et quand ce n’est pas le cas, ça pèse dans la balance.
« Ce n’est plus un contrat descendant mais un contrat de coopération, avec des jeunes qui sont acteurs de leur trajectoire, donc plus exigeants sur ce qu’on leur propose. »
Les bonnes nouvelles (parce qu’il y en a)
Non, cette génération n’est pas « désengagée » ou « feignante » – tous les clichés qu’on entend parfois. Au contraire.
Les jeunes ingénieurs plébiscitent massivement le mentorat par des seniors expérimentés. Ils veulent apprendre, progresser, être accompagnés. Ça tombe bien : les entreprises qui misent sur le reverse mentoring ou les binômes intergénérationnels s’en sortent plutôt pas mal en rétention.
Ils sont aussi très lucides sur leur employabilité : leur priorité numéro un, c’est de monter en compétences et d’élargir leur réseau. Traduction : ils ne resteront pas cinq ans sur un poste qui ne leur apprend plus rien.
Et maintenant ? Quelques pistes concrètes
Pour les entreprises, le message est clair : arrêter de vendre du rêve si on propose ensuite des missions d’exécution pure. Être transparent sur les réelles marges d’autonomie, les possibilités d’évolution, les projets à impact. Les jeunes préfèrent largement une vérité un peu brutale à un storytelling mensonger.
- Mettre en place dès le stage des objectifs clairs et challengeants.
- Proposer des missions transverses, pas seulement techniques.
- Développer le mentorat et le parrainage.
- Donner de la visibilité sur les projets RSE ou innovation, même petits.
- Former les managers à l’agilité et à lâcher un peu de pouvoir.
Pour les écoles, l’enjeu est aussi énorme : préparer les étudiants à cette diversité de rôles, leur apprendre à négocier leur place, à identifier rapidement une entreprise qui correspond à leurs valeurs.
Quant aux étudiants et jeunes diplômés… continuez à être exigeants. Oui, le marché est tendu parfois, mais votre talent est rare. Une entreprise qui vous traite comme un simple exécutant dès le départ vous fera probablement perdre deux ou trois ans. Autant partir tôt.
Parce qu’au fond, cette soi-disant « désillusion » est peut-être le signe que quelque chose bouge enfin. Que le travail redevient une aventure, pas juste un moyen de payer le loyer. Et ça, personnellement, je trouve ça plutôt encourageant.
Et vous, vous en pensez quoi ? Avez-vous vécu cette frustration lors de votre premier stage ou premier job ? Ou au contraire, avez-vous trouvé chaussure à votre pied dès le début ? Partagez votre expérience en commentaire, ça m’intéresse vraiment.
