Quand j’ai lu ce chiffre pour la première fois, j’ai eu besoin de m’asseoir. Cinquante-deux. Cinquante-deux adultes, censés veiller sur nos enfants après la classe, suspendus en trois ans parce qu’on les soupçonnait d’agressions sexuelles. Et on nous dit que c’est « stable ». Stable ? Vraiment ?
Derrière chaque suspension, il y a au moins un enfant qui a vécu l’impensable dans un lieu où il aurait dû se sentir en sécurité absolue. Une cour d’école, une cantine, un centre de loisirs. Des endroits où l’on dépose nos petits le cœur léger. Ou du moins, où on essayait encore de le faire.
Un chiffre qui donne le vertige
Depuis 2023, la municipalité parisienne a prononcé plus d’une centaine de suspensions d’animateurs périscolaires. Sur ce total, plus de la moitié – exactement 52 – concernent des signalements pour des faits à caractère sexuel sur mineurs. Seize rien que pour l’année 2025, qui n’est même pas terminée.
Je répète : seize en dix mois et demi. Cela fait plus d’un par mois. Un rythme qui glace le sang.
Et attention, ces chiffres ne concernent que les cas où l’administration a jugé le signalement suffisamment sérieux pour écarter immédiatement la personne. Combien d’autres situations ont été classées sans suite ? Combien de plaintes n’ont jamais franché le seuil d’une école ? On n’en saura probablement jamais rien.
Des suspensions qui ne datent pas d’hier
Regardons les années une par une, ça aide à réaliser l’ampleur :
- 2023 → 18 animateurs suspendus pour des faits sexuels (sur 32 suspensions totales)
- 2024 → encore 18 (sur 26 suspensions)
- 2025 → déjà 16 (sur 30 suspensions à ce jour)
On nous répète que c’est « stable ». Peut-être. Mais stable à un niveau qui reste insupportable. Dix-huit par an, c’est déjà énorme. Seize en cours d’année, c’est presque pire.
Et surtout, qui sont ces adultes qui passent entre les mailles du filet ?
Comment ils arrivent jusqu’à nos enfants
C’est là que ça devient terrifiant. Le recrutement des animateurs périscolaires à Paris repose essentiellement sur le BAFA, quelques expériences, et surtout… un casier judiciaire B2 censé être vierge. Sauf que tout le monde sait que le casier B2 ne mentionne que les condamnations définitives. Pas les plaintes en cours. Pas les enquêtes préliminaires. Pas les comportements douteux signalés ailleurs.
Résultat ? Des individus parfois déjà connus des services de police pour des faits similaires arrivent à décrocher un poste. Et quand le scandale éclate, on découvre qu’ils avaient déjà été écartés d’un autre établissement… parfois dans une autre ville.
« On se retrouve à gérer des alertes permanentes avec des outils du siècle dernier » confiait récemment un directeur d’école parisienne épuisé.
Il n’a pas tort. Le système repose encore beaucoup trop sur la bonne foi et beaucoup trop peu sur des contrôles croisés systématiques.
Les enfants, ces victimes qu’on entend à peine
Le plus révoltant, c’est qu’on parle beaucoup des suspensions, un peu des procédures, mais très peu des enfants. Pourtant, ce sont eux qui portent les séquelles. Un enfant de 4 ou 5 ans qui subit des attouchements, c’est une vie entière qui peut basculer. Anxiété, troubles du sommeil, difficultés à faire confiance aux adultes… les conséquences sont immenses et souvent invisibles aux yeux des parents pendant des années.
Et quand l’enfant parle enfin, il est parfois trop tard pour que la justice fasse son travail correctement. Le doute s’installe. La parole de l’enfant contre celle de l’adulte. Et trop souvent, l’adulte continue tranquillement sa vie ailleurs.
J’ai discuté avec une psychologue spécialisée dans les traumas infantiles. Elle m’a dit, les larmes aux yeux, qu’elle voyait arriver de plus en plus de petits parisiens présentant exactement le même tableau : des symptômes apparus brutalement après la cantine ou l’étude du soir. Coïncidence ? Évidemment que non.
La réponse de la mairie : entre communication et réalité
Face à la tempête médiatique de ces derniers mois, la municipalité a dégainé un « plan de lutte renforcé ». Formations supplémentaires, protocole de signalement simplifié, recrutement de psychologues dans les écoles… tout ça sonne bien sur le papier.
Mais dans les faits ? Beaucoup de directeurs et d’animateurs honnêtes se plaignent que les formations restent théoriques, que les moyens humains manquent cruellement, et que le turn-over reste énorme – ce qui empêche de vraiment connaître les équipes.
- Plus de 11 000 animateurs périscolaires à Paris
- Un salaire souvent proche du SMIC
- Des contrats précaires
- Une formation continue parfois réduite à deux demi-journées par an
Dans ces conditions, comment attirer et garder les meilleurs profils ? Comment repérer les comportements limites quand on change d’équipe tous les trois mois ?
Ce que les parents doivent savoir (et faire)
Si vous êtes parent à Paris, voilà quelques réflexes qui peuvent sauver un enfant – le vôtre ou celui d’un autre :
- Parlez régulièrement à votre enfant de son corps et du droit de dire non, même à un adulte
- Ne minimisez jamais un changement de comportement brutal (peur d’aller à la cantine, cauchemars, régression…)
- Exigez de savoir qui encadre exactement votre enfant (nom, photo si possible)
- N’hésitez jamais à signaler un comportement qui vous semble bizarre, même si « ce n’est peut-être rien »
- Rejoignez ou créez un collectif de parents vigilants dans votre école
Un signalement, même infondé, ne détruit pas une carrière. Un silence, lui, peut détruire une enfance.
Et demain ?
On aimerait croire que le pire est derrière nous. Que les affaires récentes ont servi de déclencheur. Que les contrôles vont enfin devenir impitoyables.
Mais tant que le recrutement restera une formalité administrative, tant que le casier B2 restera le seul filtre sérieux, et tant que la précarité des métiers de l’enfance continuera d’attirer n’importe qui, le risque zéro n’existera pas.
Cinquante-deux suspensions. Peut-être cinquante-deux drames évités de justesse. Ou cinquante-deux signaux qu’on a mis bien trop de temps à prendre au sérieux.
Une chose est sûre : nos enfants méritent mieux que des statistiques « stables ».
Ils méritent qu’on arrête de considérer leur sécurité comme une variable d’ajustement budgétaire.
Et nous, parents, citoyens, avons le devoir de ne plus détourner le regard.
