En me promenant récemment dans les rues de Prague, je suis tombé sur une manifestation pro-israélienne, drapeaux bleus et blancs brandis sous un ciel gris. Cette image m’a frappé : pourquoi cette ferveur pour un pays si lointain, dans une région marquée par son histoire tumultueuse ? L’Europe centrale, de l’Autriche à la Hongrie, affiche un soutien indéfectible à Israël, même face aux critiques internationales sur la guerre à Gaza. Ce lien, ancré dans l’histoire et nourri par des dynamiques idéologiques modernes, mérite qu’on s’y attarde. Qu’est-ce qui pousse ces nations à défendre Tel-Aviv avec une telle constance ?
Une Solidarité Ancrée dans l’Histoire
L’histoire pèse lourd dans les relations entre l’Europe centrale et Israël. Pour des pays comme l’Allemagne et l’Autriche, le soutien à l’État hébreu est presque une raison d’État. Pourquoi ? La mémoire de la Shoah, l’extermination des juifs par les nazis, reste une blessure vive. Ces nations portent une responsabilité historique qu’elles n’oublient pas.
Leur engagement envers Israël découle d’une dette morale, un besoin de rédemption face à l’horreur du passé.
– Une experte en relations internationales
Ce sentiment de devoir s’est traduit en un soutien politique fort. Par exemple, en 2025, ces deux pays ont défendu l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël, alors que d’autres membres de l’UE poussaient pour un réexamen de ce texte. Ce n’est pas juste une posture : c’est une conviction profonde, presque existentielle, qui place la sécurité d’Israël au cœur de leur politique étrangère.
Une Mémoire Partagée
Ce lien historique ne se limite pas à la culpabilité. Beaucoup de juifs d’Europe centrale ont contribué à la culture de ces pays avant la guerre. Leurs langues, leurs traditions, leurs récits se sont entrelacés avec ceux de la région. En soutenant Israël, ces nations honorent une part de leur propre identité, comme si elles retrouvaient une pièce manquante de leur histoire.
Mais ce lien s’effrite-t-il avec le temps ? Pas vraiment. Les jeunes générations, bien que plus éloignées de ces événements, grandissent dans des sociétés où la mémoire collective reste forte. Les musées, les commémorations et l’éducation continuent d’ancrer cette responsabilité historique.
Une Transition Géopolitique Post-Soviétique
Si l’histoire explique une partie de ce soutien, la géopolitique joue un rôle tout aussi crucial. Après la chute de l’URSS, les pays d’Europe centrale, comme la République tchèque ou la Bulgarie, ont dû réinventer leur politique étrangère. Exit la ligne pro-arabe imposée par Moscou, place à un alignement sur les positions de Washington, fervent allié d’Israël.
Cette réorientation n’était pas seulement stratégique. Elle reflétait une proximité culturelle et une vision partagée : celle d’un État-nation menacé, luttant pour sa survie. Comme le dit une analyste :
Les pays d’Europe centrale se reconnaissent dans la lutte d’Israël pour sa sécurité, car ils ont eux-mêmes vécu la peur d’être abandonnés.
Ce parallélisme crée une empathie unique. Ces nations, sorties de décennies de domination soviétique, comprennent ce que signifie vivre sous une menace existentielle. Rejoindre l’UE et l’OTAN dès 2004 a renforcé cette nouvelle identité, alignée sur des valeurs occidentales et pro-israéliennes.
L’Illibéralisme : un Ciment Idéologique
Un autre facteur, plus récent, soude ces relations : l’illibéralisme. Ce courant politique, qui privilégie la souveraineté nationale et des valeurs conservatrices, a pris racine en Europe centrale. Des figures comme le Hongrois Viktor Orban ou l’ancien chancelier autrichien Sebastian Kurz partagent une vision du monde proche de celle du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu.
Cette convergence idéologique n’est pas anodine. Elle permet à des leaders comme Orban de bloquer des décisions européennes critiques envers Israël, frustrant parfois Bruxelles. La Hongrie, par exemple, a claqué la porte de la Cour pénale internationale et accueilli Netanyahu, malgré les accusations de crimes de guerre à Gaza. Ce n’est pas juste de la politique : c’est une stratégie pour exploiter les divisions européennes.
- Rapprochement idéologique : Les leaders illibéraux d’Europe centrale et Israël partagent une vision nationaliste.
- Influence stratégique : Ces alliances permettent de contrer les critiques au sein de l’UE.
- Symbolisme fort : Le soutien à Israël devient un étendard pour ces gouvernements.
Un Discours Controversé sur l’Islam
Il y a un aspect plus sombre dans ce soutien. Certains partis d’extrême droite en Europe centrale brandissent leur appui à Israël pour se dédouaner des accusations d’antisémitisme. Comment ? En adoptant un discours qui présente Israël comme un rempart contre l’islam, perçu comme une menace dans certains cercles.
Ce narratif, bien que problématique, séduit une partie de l’opinion publique. En soutenant Tel-Aviv, ces partis cherchent à polir leur image, tout en alimentant une rhétorique clivante. C’est une stratégie habile, mais elle soulève des questions éthiques sur l’instrumentalisation de la cause israélienne.
Coopération Stratégique et Militaire
Le soutien ne se limite pas aux discours. Il se concrétise par des accords stratégiques. Prenons l’exemple de la Slovaquie, qui a investi 560 millions d’euros dans le système de défense antiaérienne israélien Barak MX. C’est une première au sein de l’OTAN. De son côté, l’Allemagne a conclu un contrat de 3,5 milliards de dollars pour le bouclier antimissile Arrow-3.
| Pays | Équipement | Montant |
| Slovaquie | Barak MX | 560 M€ |
| Allemagne | Arrow-3 | 3,5 Md$ |
Ces achats ne sont pas anodins. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a ravivé la course aux armements en Europe centrale, et Israël, avec son expertise militaire, devient un partenaire clé. Ces deals renforcent les liens économiques et stratégiques, tout en envoyant un message politique clair.
L’Exception Polonaise
Et la Pologne dans tout ça ? Longtemps alignée sur ses voisins, elle marque aujourd’hui une différence. Depuis que les nationalistes ont perdu le pouvoir, Varsovie adopte une posture plus nuancée. L’attaque du Hamas en octobre 2023, qui a tué 1 218 personnes, n’a pas empêché la Pologne de critiquer la réponse israélienne à Gaza, où plus de 53 000 morts ont été recensés, selon des chiffres jugés fiables par l’ONU.
Pourquoi ce changement ? La Pologne s’est européanisée. Sa politique étrangère s’aligne davantage sur Bruxelles que sur les réflexes nationalistes d’antan. Un autre facteur joue : l’absence de condamnation claire d’Israël face à l’agression russe en Ukraine a froissé Varsovie. Résultat ? En mai 2024, la Pologne a soutenu l’admission de la Palestine à l’ONU, contrairement à la Hongrie ou la République tchèque.
- Changement de régime : Un gouvernement moins nationaliste à Varsovie.
- Frustration ukrainienne : Le silence d’Israël sur l’Ukraine a pesé.
- Alignement européen : La Pologne se rapproche des positions de l’UE.
Un Équilibre Précaire
Ce soutien à Israël, bien que solide, n’est pas sans contradictions. D’un côté, il repose sur une mémoire historique et une vision stratégique partagée. De l’autre, il peut servir à masquer des agendas politiques internes, comme le flirt avec l’illibéralisme ou des discours clivants. La Pologne, en s’éloignant de cette ligne, montre que l’unité de l’Europe centrale n’est pas totale.
Alors, jusqu’où ira cette alliance ? Difficile à dire. Les tensions autour de Gaza et les évolutions politiques internes pourraient redessiner les contours de ce soutien. Une chose est sûre : l’Europe centrale reste un acteur clé dans ce débat géopolitique, et son positionnement continuera de faire parler.
En repensant à cette manifestation à Prague, je me demande : ce soutien est-il un élan sincère ou une stratégie calculée ? Peut-être un peu des deux. Ce qui est certain, c’est que cette relation entre l’Europe centrale et Israël est un miroir de l’histoire, de la politique et des identités complexes de notre époque.
