Quand on pense à la résilience, à quoi ressemble-t-elle vraiment ? Pour moi, elle a le visage d’une femme qui, à plus de 100 ans, n’a jamais baissé les bras face à l’injustice. Rosa Roisinblit, décédée récemment à l’âge de 106 ans, incarnait cette force brute, cette détermination à faire éclater la vérité, même quand tout semblait perdu. Son histoire, c’est celle d’une Argentine qui a transformé sa douleur personnelle en un combat universel pour la justice et la mémoire. Une histoire qui, je l’avoue, me touche profondément par sa puissance et son humanité.
Une Vie Dédiée à la Vérité
Née en 1919 dans un petit village d’immigrants juifs, Rosa n’avait rien prédestiné à devenir une figure emblématique. Obstétricienne de profession, elle menait une vie ordinaire jusqu’à ce jour fatidique d’octobre 1978. Ce jour-là, sa fille et son gendre, militants politiques, sont enlevés par la junte militaire qui sévissait alors en Argentine. Ce n’était pas un simple fait divers : c’était le début d’un cauchemar qui allait redéfinir sa vie.
Imaginez un instant : votre famille est arrachée, et vous n’avez ni réponses ni corps à pleurer. Que feriez-vous ? Rosa, elle, a choisi de se battre. Elle a rejoint les rangs des Grands-Mères de la Place de Mai, une organisation qui allait devenir le symbole de la résistance face à l’oubli imposé par la dictature.
Les Grands-Mères : Une Lutte Contre l’Oubli
Les Grands-Mères de la Place de Mai ne sont pas un simple groupe de femmes endeuillées. Elles sont une force collective, née dans les années 80, pour retrouver les enfants disparus sous la dictature militaire argentine (1976-1983). Pendant cette période sombre, environ 30 000 personnes ont été enlevées, torturées et assassinées. Parmi elles, des femmes enceintes dont les bébés, nés en captivité, étaient souvent arrachés pour être placés dans des familles proches du régime.
Nous ne cherchons pas la vengeance, mais la vérité. Ces enfants sont notre avenir, et nous devons les ramener chez eux.
– Une militante des Grands-Mères
Rosa a été l’une des fondatrices de ce mouvement. Son rôle ? Ne jamais laisser l’histoire effacer ces crimes. Avec ses compagnes, elle a manifesté, enquêté, et surtout, elle a porté l’espoir de réunir des familles brisées. Leur méthode était révolutionnaire pour l’époque : utiliser des tests génétiques pour identifier les enfants volés. Grâce à ce travail titanesque, 140 enfants ont retrouvé leur identité. Parmi eux, le petit-fils de Rosa, Guillermo.
Une Blessure qui Ne Guérit Jamais
Le 6 octobre 1978, la vie de Rosa a basculé. Sa fille, enceinte de huit mois, et son gendre ont été emmenés dans un centre de détention clandestin. Leur fille, Mariana, alors âgée de 15 mois, a été rendue à la famille. Mais le nouveau-né, arraché à sa mère après sa naissance, a disparu dans les méandres de la dictature. Rosa a passé plus de 20 ans à le chercher, jusqu’à ce qu’en 2000, elle retrouve Guillermo, son petit-fils.
Cette réunion aurait pu être une fin heureuse, mais pour Rosa, ce n’était qu’une étape. Elle disait souvent que la douleur d’avoir perdu sa fille ne s’effaçait pas, même avec le retour de son petit-fils. J’ai toujours trouvé ça bouleversant : comment continuer à vivre avec une telle blessure ? Pourtant, Rosa ne s’est jamais arrêtée. Elle a assisté aux procès des responsables, voyant trois militaires condamnés pour l’enlèvement de Guillermo. Mais elle savait que la justice, même rendue, ne comble pas le vide.
- 1978 : Enlèvement de la fille et du gendre de Rosa.
- 2000 : Retrouvailles avec son petit-fils Guillermo.
- 2000-2021 : Rosa reste active au sein des Grands-Mères, devenant présidente d’honneur.
Un Combat Plus Grand que Soi
Ce qui m’impressionne le plus chez Rosa, c’est qu’elle n’a jamais lutté pour elle seule. Son combat était pour toutes les familles argentines, pour toutes les générations marquées par la dictature. Les Grands-Mères ont estimé qu’environ 300 enfants nés en captivité restent à retrouver. C’est un chiffre qui donne le vertige. Comment ne pas être admiratif face à une femme qui, à 97 ans, déclarait encore : « Je n’arrêterai jamais » ?
Les manifestations des Grands-Mères, souvent sur la Place de Mai à Buenos Aires, étaient bien plus que des rassemblements. Elles étaient un cri, un refus de l’oubli. Chaque pancarte, chaque photo brandie, était un rappel que la vérité ne peut être enterrée. Rosa, avec son regard perçant et sa voix douce mais ferme, incarnait cette lutte.
Nos enfants ont donné leur vie pour un pays meilleur. Ce sont eux, les héros.
– Une figure du mouvement
Un Héritage pour l’Avenir
La disparition de Rosa, à 106 ans, n’est pas la fin de son combat. Son héritage vit à travers les Grands-Mères, à travers les familles réunies, et à travers chaque Argentin qui refuse de fermer les yeux sur le passé. Mais il y a un hic, et c’est là que je me permets une petite réflexion personnelle : aujourd’hui, certains remettent en question l’importance de cette mémoire. En Argentine, des voix s’élèvent pour minimiser les crimes de la dictature, qualifiant ces récits de « négationnisme ».
Pourtant, des avancées récentes montrent que la lutte continue. En 2025, des archives du renseignement de la dictature ont été déclassifiées, offrant peut-être de nouvelles pistes pour retrouver les disparus. Mais ce n’est pas suffisant. La suppression de postes dans les institutions des droits humains, sous des politiques d’austérité, inquiète. Comment honorer la mémoire sans moyens pour enquêter ?
| Aspect | Impact | Statut actuel |
| Recherche des disparus | 140 enfants retrouvés | Environ 300 encore à identifier |
| Justice | Condamnations de militaires | Procès toujours en cours |
| Mémoire collective | Manifestations annuelles | Menacée par des politiques récentes |
Pourquoi Cette Histoire Nous Parle
Si je devais résumer pourquoi l’histoire de Rosa me marque autant, je dirais que c’est une leçon d’humanité. Elle nous rappelle que derrière chaque statistique, il y a des vies, des familles, des espoirs brisés. La dictature argentine n’est pas juste un chapitre d’histoire ; c’est une blessure encore ouverte pour beaucoup. Et pourtant, des femmes comme Rosa ont transformé cette douleur en force.
Quand Mariana, la petite-fille de Rosa, a partagé une photo d’elles deux riant ensemble, elle a écrit : « Pour moi, tu es éternelle. » Cette phrase, toute simple, m’a fait réfléchir. Rosa n’est plus là, mais son combat, lui, est immortel. Et si on se demandait tous, juste une seconde, ce qu’on ferait à sa place ? Continuer à se battre, ou baisser les bras ?
L’histoire de Rosa Roisinblit, c’est plus qu’un récit d’une femme extraordinaire. C’est un miroir tendu à chacun de nous, un rappel que la justice et la mémoire ne sont jamais acquises. Les Grands-Mères de la Place de Mai continuent leur mission, et nous, lecteurs, avons un rôle à jouer : ne pas oublier. Parce que, comme Rosa l’a prouvé, l’oubli est le pire des silences.
