Imaginez une ville où prendre le bus ne coûte rien. Pas un centime, pas un ticket, juste le plaisir de monter à bord et de se laisser conduire. À Compiègne, dans l’Oise, ce rêve est une réalité depuis un demi-siècle. En 1975, alors que la plupart des villes facturaient encore leurs transports publics, cette cité impériale a fait un choix audacieux : rendre ses bus gratuits pour tous. Une initiative qui, à l’époque, semblait presque utopique, mais qui a depuis inspiré des dizaines de collectivités à travers la France. Qu’est-ce qui rend ce modèle si spécial ? Et pourquoi continue-t-il de séduire habitants et élus, 50 ans plus tard ? Plongeons dans cette histoire qui mêle innovation sociale, pragmatisme économique et une touche de vision urbaine.
Une Révolution Urbaine Née dans l’Oise
En 1975, l’idée de transports publics gratuits était presque inconcevable. À une époque où les voitures dominaient les rues et où les parcmètres étaient une nouveauté, Compiègne a osé penser autrement. L’objectif initial était simple : permettre aux habitants des quartiers périphériques de rejoindre facilement le centre-ville, sans dépendre d’une voiture que beaucoup de foyers ne possédaient pas. Ce choix, porté par une volonté politique forte, a transformé la ville en pionnière.
Aujourd’hui, le réseau de bus de l’Agglomération de la Région de Compiègne (ARC) dessert 22 communes et transporte plus de 5,5 millions de voyageurs par an. Mais comment une telle initiative peut-elle être viable économiquement ? La réponse réside dans un système de financement astucieux, qui a su convaincre habitants et entreprises.
Un Financement Malin : La Taxe Mobilité
Offrir la gratuité des transports, c’est bien, mais encore faut-il la financer. À Compiègne, la solution repose sur le versement mobilité, une taxe prélevée auprès des entreprises locales employant plus de 10 salariés. Cette contribution, fixée à 0,7 % de leur masse salariale, génère environ 9,2 millions d’euros par an. Parmi les plus gros contributeurs, on trouve le centre hospitalier local, qui verse 600 000 euros annuellement, et la ville elle-même, avec 150 000 euros.
Les entreprises ont vite compris l’avantage : moins de parkings à construire, des salariés qui arrivent à l’heure, et une ville plus fluide.
– Un élu local en charge des transports
Ce système, bien que parfois perçu comme un fardeau par certaines entreprises, a été largement accepté. En échange, le réseau s’adapte aux besoins des salariés, avec des horaires ajustés aux zones d’activités. Résultat ? Une ville où la voiture devient une option, pas une obligation. Mais ce modèle est-il vraiment accessible à tous ?
Une Accessibilité pour Tous, Sans Exception
Ce qui frappe à Compiègne, c’est l’absence totale de barrières pour accéder aux bus. Pas besoin de carte, de justificatif ou d’abonnement : tout le monde peut monter à bord. Étudiants, salariés, retraités, visiteurs… tous profitent de ce service. Avec 15 lignes desservant des zones résidentielles, commerciales et industrielles, le réseau est devenu le poumon de la mobilité locale.
Pour les 6 000 étudiants de l’Université de Technologie de Compiègne (UTC) et de l’ESCOM, cette gratuité est une aubaine. Pas de frais de transport pour aller en cours, sortir en ville ou rejoindre un stage. J’ai moi-même discuté avec un étudiant qui m’a confié : « Sans les bus gratuits, j’aurais dû jongler avec un budget transport déjà serré. Là, je me déplace sans stress. »
- Accessibilité universelle : Aucun justificatif requis pour monter à bord.
- Couverture étendue : 22 communes, des quartiers aux zones d’activités.
- Impact étudiant : 6 000 jeunes bénéficient d’un transport sans frais.
Et pour les habitants des quartiers excentrés, c’est une bouffée d’air frais. Plus besoin de dépenser une fortune en essence ou de chercher une place de parking en centre-ville. Mais au-delà du côté pratique, qu’est-ce que ça change vraiment pour les habitants ?
Un Impact Quotidien : Économies et Simplicité
Prenez Sylvain, un habitant typique de Compiègne. Ce trentenaire utilise les bus pour aller travailler dans une zone d’activités et pour ses sorties en ville. « C’est hyper pratique, m’a-t-il dit. Je ne perds pas 20 minutes à chercher une place, et j’économise sur l’essence. » Cette simplicité, presque naturelle pour les Compiégnois, surprend souvent les visiteurs habitués à payer leur ticket ailleurs.
En discutant avec d’autres usagers, une chose ressort : la gratuité a changé leur rapport à la ville. Les déplacements ne sont plus une contrainte financière, mais une opportunité de découvrir, de bouger, de vivre. Et pour une ville de taille moyenne comme Compiègne, cela renforce le lien social entre les quartiers et le centre.
Quand je vais dans une autre ville, je suis presque choqué qu’on me demande un ticket. Ici, c’est naturel de monter sans payer.
– Un usager régulier des bus
Mais au-delà de l’aspect pratique, la gratuité a aussi un impact environnemental. Moins de voitures en circulation, c’est moins de pollution et un centre-ville plus apaisé. Alors, comment ce modèle a-t-il inspiré d’autres villes ?
Un Modèle Qui Fait École
Compiègne n’est plus seule. Depuis 1975, son modèle a essaimé dans 46 collectivités françaises, de grandes agglomérations comme Dunkerque à des villes plus modestes comme Aubagne ou Bourges. Dans l’Oise, des villes comme Chantilly, Senlis ou Noyon ont suivi l’exemple, avec des réseaux gratuits lancés entre 1995 et 2024.
Pourquoi un tel succès ? Parce que la gratuité répond à des enjeux universels : accessibilité, réduction des inégalités et désengorgement des centres-villes. À Dunkerque, par exemple, le président de la communauté urbaine a visité Compiègne pour s’inspirer de son modèle avant de lancer la gratuité pour 200 000 habitants. Résultat : une agglomération qui se targue d’être la plus grande de France à offrir des transports gratuits.
| Ville | Année de lancement | Population desservie |
| Compiègne | 1975 | 70 000 |
| Dunkerque | 2018 | 200 000 |
| Senlis | 2000 | 15 000 |
Mais tout n’est pas rose. Certaines villes, comme Pont-Sainte-Maxence, soulignent que la gratuité a un coût pour le contribuable. Là-bas, le réseau coûte 1,6 million d’euros par an, dont 400 000 euros restent à la charge de la communauté de communes. « Ce qui est gratuit pour l’usager ne l’est pas pour la collectivité », rappelle un maire local. Pourtant, l’extension du réseau est prévue pour 2026, preuve que le jeu en vaut la chandelle.
Les Défis d’un Modèle Gratuit
Si la gratuité séduit, elle n’est pas sans poser des questions. D’abord, le financement. La taxe sur les entreprises, bien que bien accueillie dans l’ensemble, peut susciter des réticences. « Certaines entreprises ont râlé au début », confie un élu. Mais en expliquant les bénéfices – moins de voitures, des salariés plus mobiles – la pilule passe mieux.
Ensuite, il y a la question de l’équité. Pourquoi les entreprises paieraient-elles pour un service dont tout le monde profite, y compris les visiteurs ? C’est un débat qui revient souvent, mais à Compiègne, le consensus l’emporte : la gratuité profite à tous, et donc à l’économie locale. Les commerces du centre-ville, par exemple, voient plus de clients grâce à un accès facilité.
- Coût élevé : 9,2 millions d’euros par an, financés majoritairement par les entreprises.
- Réticences initiales : Certaines entreprises rechignent à payer la taxe.
- Bénéfices collectifs : Moins de pollution, plus de fluidité, commerce dynamisé.
Personnellement, je trouve que ce modèle illustre une vérité simple : quand on investit dans le collectif, tout le monde y gagne. Mais est-ce transposable partout ?
Un Avenir pour la Gratuité ?
Avec la crise climatique et la flambée des prix de l’essence, la gratuité des transports publics n’a jamais semblé aussi pertinente. À Compiègne, on célèbre les 50 ans de ce modèle avec des expositions et des animations, mais l’enjeu est ailleurs : comment le pérenniser et l’adapter aux défis de demain ?
Pour les experts, la réponse passe par une meilleure intégration des transports gratuits dans les politiques d’urbanisme. Par exemple, en développant des pistes cyclables ou des parkings relais pour encourager une mobilité multimodale. À Compiègne, le réseau pourrait encore s’étendre, notamment vers les zones rurales moins bien desservies.
La gratuité, c’est l’avenir, à condition qu’on la pense dans un écosystème global de mobilité durable.
– Un urbaniste spécialisé
Et si d’autres villes suivent l’exemple ? Avec 46 collectivités déjà converties, la France est en bonne voie. Mais pour que ce modèle perdure, il faudra continuer à convaincre les entreprises et les contribuables que la gratuité n’est pas un luxe, mais un investissement dans l’avenir.
Compiègne, avec ses bus gratuits depuis 50 ans, n’est pas seulement une pionnière. C’est une source d’inspiration pour repenser nos villes, nos déplacements, et notre façon de vivre ensemble. Alors, la prochaine fois que vous montez dans un bus, posez-vous la question : et si c’était gratuit partout ?
