Il y a des histoires qui marquent plus que des chiffres ou des palmarès. Celle d’une équipe cycliste née au cœur de la Bretagne, portée par la ferveur d’une région et la vision d’hommes passionnés, en est une. Pendant vingt ans, l’équipe aujourd’hui connue sous le nom d’Arkéa-B&B Hotels a incarné bien plus qu’un simple maillot dans le peloton. Elle a porté l’âme bretonne, un mélange de ténacité, de fierté et d’amour pour le vélo, jusqu’aux routes du Tour de France. Mais aujourd’hui, un voile de mélancolie plane : l’équipe tire sa révérence, laissant derrière elle un héritage riche et des questions sur l’avenir du cyclisme français. Alors, comment une structure partie d’un rêve local a-t-elle marqué l’histoire du sport ?
Une Saga Bretonne aux Racines Profondes
Quand on parle de cyclisme en Bretagne, on ne peut s’empêcher de penser à cette terre où les routes sinueuses et les côtes impitoyables semblent faites pour forger des champions. L’histoire d’Arkéa-B&B Hotels commence bien avant son statut professionnel, dans les années 1990, avec un homme : Jean Floc’h, industriel agroalimentaire de Locminé, dans le Morbihan. Ce passionné de vélo, casquette vissée sur la tête, avait une vision simple mais ambitieuse : créer une équipe qui porterait haut les couleurs de sa région.
Sa formation, d’abord amateur, s’est construite sur des bases solides, loin des excès financiers de certains sponsors. Les coureurs, motivés par des contrats clairs et des primes, étaient avant tout des Bretons fiers de défendre leur identité. Comme le disait un ancien coureur, “c’était plus qu’une équipe, c’était une famille”. Cette philosophie a posé les fondations d’une aventure qui allait bientôt dépasser les frontières régionales.
« C’était la plus belle équipe. On était en avance sur tout : matériel, logistique, encadrement. »
– Un ancien coureur, évoquant l’équipe amateur des années 90
Les Premiers Tours de Roue
En 2005, l’équipe prend un tournant décisif en accédant au statut professionnel sous le nom de Bretagne Jean Floc’h. Ce passage marque le début d’une épopée où chaque nom de sponsor – de Bretagne Armor Lux à Fortuneo-Samsic, jusqu’à Arkéa-B&B Hotels – raconte une étape de son évolution. Chaque changement reflétait une volonté farouche de préserver une identité régionale face à un cyclisme mondialisé, où les budgets colossaux des grandes équipes dominent.
Les débuts professionnels sont marqués par une domination sur les courses régionales. Entre 2008 et 2010, l’équipe enchaîne les victoires : trois Tours du Finistère consécutifs, un Tour de Bretagne en 2005 et 2008, un Grand Prix de Plumelec-Morbihan en 2006. Ces succès locaux, portés par des coureurs comme David Le Lay ou Benoît Poilvet, font de l’équipe un véritable étendard breton.
- Tour du Finistère : Victoires en 2008, 2009 et 2010.
- Tour de Bretagne : Succès en 2005 et 2008.
- GP de Plumelec-Morbihan : Triomphe en 2006.
L’Arrivée sur la Grande Boucle
2014 est une année charnière. Pour la première fois, l’équipe, alors nommée Bretagne-Séché Environnement, est invitée au Tour de France. Avec le plus petit budget des équipes engagées, elle représente fièrement les couleurs bretonnes sur la scène internationale. Ce n’est pas juste une participation : c’est une consécration. Les routes de France vibrent au passage des maillots blanc et noir, symboles du drapeau breton.
Mais cette entrée dans la cour des grands n’est pas sans défis. Le manager général de l’époque, Joël Blévin, insistait sur l’importance de rester fidèle à l’identité bretonne. Refusant des sponsors étrangers qui auraient dilué cet ADN, il voulait une équipe “100 % bretonne”. Une belle idée, mais parfois utopique dans un sport où les talents locaux, comme Johan Le Bon ou plus tard Kévin Vauquelin, finissent par rejoindre des équipes plus prestigieuses pour viser plus haut.
« Faire le Tour avec ces couleurs, c’est une forme de consécration. »
– Un dirigeant breton en 2014
Ce premier Tour marque un tournant. L’équipe ne se contente plus des courses régionales : elle vise désormais les grandes compétitions. La Coupe de France par équipes est remportée à cinq reprises (2010, 2012, 2014, 2015, 2017), preuve d’une progression constante malgré un budget limité.
Des Noms Prestigieux pour de Grandes Ambitions
Pour se hisser au plus haut niveau, l’équipe a su attirer des coureurs de renom. Warren Barguil, revenu en 2018 après ses débuts en tant que stagiaire, Nairo Quintana en 2020, ou encore Arnaud Démare en 2022 : ces noms ont porté l’équipe vers de nouveaux horizons. En 2023, l’accession au World Tour, l’élite du cyclisme, est un exploit pour une structure aux moyens modestes.
Mais tout n’a pas été rose. L’arrivée de Quintana, censée propulser l’équipe vers de nouveaux sommets, a été entachée par une disqualification controversée lors du Tour de France 2022. Cet épisode a secoué la structure, comme l’a souligné un dirigeant : “C’est une trahison qui nous a tous touchés.” Malgré cela, l’équipe a su rebondir, notamment grâce à l’émergence de jeunes talents comme Kévin Vauquelin.
| Coureur | Année d’arrivée | Impact majeur |
| Warren Barguil | 2018 | Retour d’un talent local |
| Nairo Quintana | 2020 | Ambition mondiale, mais controverse |
| Arnaud Démare | 2022 | Chasse aux victoires (97 au total) |
| Kévin Vauquelin | Émergence récente | Victoire d’étape au Tour 2024 |
Les Moments de Gloire
Si l’équipe a brillé sur les courses régionales, elle a aussi marqué les esprits sur les grandes scènes. En 2024, Kévin Vauquelin offre à l’équipe une victoire d’étape mémorable à Bologne lors du Tour de France. L’année suivante, il termine 7e au classement général, un exploit pour une équipe au budget six fois inférieur à celui des géants du peloton.
Un autre moment fort ? La deuxième place de Luca Mozzato au Tour des Flandres 2024, premier podium de l’équipe sur un Monument. Ces performances montrent que, même avec des moyens limités, l’envie et le talent peuvent faire des miracles. Comme je l’ai souvent remarqué, c’est dans l’adversité que les équipes comme Arkéa-B&B Hotels révèlent leur vraie force.
- Victoire d’étape : Kévin Vauquelin, Tour de France 2024.
- Podium historique : Luca Mozzato, 2e au Tour des Flandres 2024.
- Classement général : 7e place de Vauquelin au Tour 2025.
Une Fin Brutale, mais un Héritage Durable
Octobre 2025 marque la fin d’une ère. Après le retrait des sponsors Arkéa et B&B Hotels, l’équipe ne trouve pas de repreneur. Emmanuel Hubert, manager général et figure clé de l’équipe, avait pourtant tout tenté pour maintenir la structure à flot. Ses mots, prononcés un an plus tôt, résonnent comme un avertissement : “60 % des équipes françaises risquent de disparaître d’ici cinq ans.”
Cette disparition soulève des questions sur l’avenir du cyclisme français. Comment préserver l’identité régionale dans un sport dominé par l’argent ? Faut-il repenser le modèle économique des équipes professionnelles ? Pour ma part, je trouve que la perte d’une équipe comme Arkéa-B&B Hotels est plus qu’une simple fermeture : c’est un pan de l’histoire bretonne et du cyclisme français qui s’éteint.
« Ne pas voir mes coureurs retrouver une équipe, c’est lourd. »
– Un coureur emblématique de l’équipe, en 2025
Pourtant, l’héritage reste. Les victoires, les moments de gloire, les maillots noir et blanc flottant sur les routes bretonnes : tout cela continuera d’inspirer. Les coureurs comme Arnaud Démare, qui a pris sa retraite en 2025 avec 97 victoires, ou Kévin Vauquelin, désormais chez une équipe internationale, porteront cet ADN breton ailleurs.
Quel Avenir pour le Cyclisme Régional ?
La fin d’Arkéa-B&B Hotels n’est pas qu’une mauvaise nouvelle pour la Bretagne. Elle met en lumière les fragilités du cyclisme professionnel, où les petits budgets peinent à rivaliser avec les mastodontes du World Tour. Mais elle rappelle aussi une vérité : le vélo, en Bretagne, est plus qu’un sport. C’est une culture, une passion qui transcende les résultats.
Alors, que faire maintenant ? Certains appellent à un soutien financier local pour préserver les équipes régionales. D’autres estiment qu’il faut repenser le modèle, peut-être en misant sur la formation des jeunes talents. Une chose est sûre : l’esprit d’Arkéa-B&B Hotels, fait de courage et de fierté, ne s’éteindra pas si facilement.
En repensant à cette équipe, je ne peux m’empêcher de me demander : et si la Bretagne trouvait un nouveau porte-drapeau ? Un projet qui, comme celui de Jean Floc’h il y a trente ans, redonnerait vie à cette passion cycliste ? L’avenir nous le dira. Pour l’instant, les routes bretonnes gardent en mémoire les exploits d’une équipe qui a su faire vibrer une région entière.
