Imaginez un championnat où marquer un but relève presque du miracle. Pas de festival offensif, pas de pluie de frappes victorieuses. Juste 2,27 réalisations par rencontre en moyenne cette saison. C’est le chiffre froid qui résume la Serie A aujourd’hui, et franchement, ça interpelle. Comment le pays du football spectaculaire en est-il arrivé là ?
Un Championnat Devenu Hermétique
Quand on parle de football italien, on pense souvent à la grande époque des années 90, aux duels acharnés, mais aussi aux attaquants flamboyants. Aujourd’hui, le tableau a changé. La Serie A affiche le plus faible ratio de buts parmi les quinze principaux championnats européens. Loin derrière les Néerlandais et leurs 3,42 pions par match, ou même la Bundesliga à 3,21. C’est une chute libre qui intrigue autant qu’elle inquiète les amoureux du ballon rond.
Et pourtant, il y a cinq ans, on comptait encore un but de plus par rencontre en moyenne. Le pic du début des années 2020, boosté par les matchs à huis clos pendant la pandémie, avait redonné des couleurs à l’attaque. Les équipes visiteuses, libérées de la pression du public, osaient plus. Le retour à la normale a tout balayé. Progressivement, les verrous se sont refermés.
La Défense à Trois, Nouvelle Religion Tactique
Si vous suivez un tant soit peu le football italien, vous avez forcément remarqué cette uniformisation. La défense à trois centrales domine désormais les schémas. Ce n’est plus une option, c’est la norme. Les entraîneurs, qu’ils soient locaux ou étrangers, plébiscitent ce système qui offre une solidité à toute épreuve.
Les braccetti, ces défenseurs latéraux du trio central, deviennent les pièces maîtresses. Ils couvrent les côtés, relancent, et surtout, ils verrouillent. Ajoutez à cela des pistons infatigables et des milieux relayeurs qui grattent tous les ballons, et vous obtenez une forteresse. Mais à quel prix ?
Prendre un but sur une action individuelle, un dribble qui élimine deux joueurs, c’est presque une honte aujourd’hui.
– Un analyste data spécialisé dans le football italien
Cette phrase résume parfaitement la mentalité actuelle. L’objectif n’est plus seulement de gagner, mais de ne surtout pas encaisser. Le spectacle en pâtit, forcément. Les ailiers créatifs, ces artistes du un-contre-un, se font rares. À la place, on recrute des profils rapides, puissants, capables de répéter les courses. Pensez à un joueur comme Dumfries à l’Inter : un tracteur sur son couloir, mais pas un magicien du ballon.
Même les recrues censées apporter de la folie offensive se retrouvent étouffées. Prenez l’exemple d’un ailier gauche arrivé de Ligue 1 cet été. Doublement marqué dès qu’il touche le cuir, il doit souvent repasser en arrière. La créativité individuelle ? Étouffée dans l’œuf.
Des Attaquants Reconverti en… Milieux Offensifs
Regardez le classement des buteurs. Parmi les huit premiers, un seul joue en pointe de manière classique. Les autres ? Des milieux, des seconds attaquants, parfois même des pistons reconvertis. C’est révélateur. L’avant-centre pur n’est plus la priorité des recruteurs.
- Investissements massifs sur les milieux relayeurs polyvalents
- Attaquants recrutés pour leur capacité à décrocher et combiner
- Moins d’occasions franches en profondeur
- Plus de passes décisives demandées aux numéros 9
Un attaquant qui débarque de Ligue 1, habitué à prendre la profondeur ou à couper les centres rasants, se retrouve soudain à jouer dos au but, en remise. Résultat ? Des erreurs inhabituelles, des pertes de balle dangereuses. J’ai en tête cette tête plein axe vers son propre but qui a offert un goal à l’adversaire. Triste, mais symptomatique.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les attaquants italiens marquent moins, mais participent davantage à la construction. C’est une évolution tactique globale. L’avant-centre n’est plus le finisseur exclusif, il est un maillon parmi d’autres. Et quand il faut conclure, les gardiens veillent au grain.
Des Gardiens Parmi les Meilleurs d’Europe
Parlons-en, des portiers. Sur les dix gardiens ayant le meilleur pourcentage d’arrêts dans les cinq grands championnats, cinq évoluent en Italie. C’est énorme. Ces derniers remparts ne sont pas seulement bons, ils sont préparés à affronter un déluge de tirs… souvent de loin et peu dangereux.
Pourquoi tant de frappes éloignées ? Parce que les défenses ont appris à fermer l’accès à la surface. Les équipes adverses sont contraintes de circuler horizontalement, de tenter leur chance à 25 mètres. Résultat : beaucoup de tirs, peu de danger réel. L’AC Milan excelle dans cette protection de la boîte. Mardi soir, l’Atalanta a dû forcer une passe à 65 km/h pour trouver un coéquipier dans la surface. C’est du jamais-vu en termes d’intensité.
| Championnat | Buts par match | Classement Europe |
| Eredivisie (Pays-Bas) | 3,42 | 1er |
| Bundesliga (Allemagne) | 3,21 | 3e |
| Ligue 1 (France) | 3,07 | 6e |
| Premier League | 2,68 | 9e |
| La Liga | 2,61 | 10e |
| Serie A (Italie) | 2,27 | 15e |
Ce tableau illustre parfaitement l’écart. La Serie A ferme la marche, très loin du leader. Et pourtant, le niveau technique reste élevé. Les joueurs sont meilleurs athlétiquement, les infrastructures aussi. Alors où est le problème ? Dans la philosophie même du jeu.
Une Mentalité Défensive Ancrée dans l’ADN
Les entraîneurs italiens n’ont pas oublié le catenaccio, même s’ils l’ont modernisé. La priorité reste la phase sans ballon. Protéger la surface, forcer l’adversaire sur les côtés, le pousser à tirer de loin. C’est une science. Et ça fonctionne : peu d’équipes prennent l’eau en Italie.
Mais à force de prioriser la solidité, on oublie parfois l’essence du football : marquer. Florian Thauvin, arrivé à Udinese il y a deux ans, l’avait bien résumé. En France, il avait des occasions franches chaque week-end. En Italie ? Des situations, rarement des cadeaux. Il faut tout construire, tout mériter.
En Italie, on ne te donne rien. Tu dois arracher chaque mètre, chaque opportunité.
Cette exigence tactique explique aussi pourquoi les jeunes attaquants peinent à s’imposer. Les clubs préfèrent investir sur des profils polyvalents, capables de défendre autant que d’attaquer. Le pur finisseur ? Un luxe que peu peuvent se permettre.
Et le Spectacle dans Tout Ça ?
C’est la grande question. Un championnat aussi défensif reste-t-il attractif ? Les supporters italiens, habitués à la tension, apprécient ces matchs d’échecs. Mais à l’international, l’image en prend un coup. Moins de buts, moins de folie, moins de visibilité.
Pourtant, il y a des exceptions. Certaines équipes tentent de jouer plus haut, de presser, de risquer. L’Atalanta de Gasperini reste un modèle. Mais même eux doivent parfois se contenter d’un but sur une action travaillée à l’extrême. Le record négatif de la 7e journée – 11 buts en 10 matchs – n’est pas une anomalie, c’est une tendance.
Et si c’était une phase ? Le football évolue par cycles. Après les années folles du début 2020, on assiste peut-être à un retour du balancier. Les entraîneurs affinent leurs systèmes, les données tactiques deviennent omniprésentes. Chaque espace est calculé, chaque course anticipée.
Vers un Rééquilibrage ?
Rien n’est écrit. Certains clubs commencent à recruter différemment. Des ailiers dribbleurs, des numéros 10 créatifs. Les jeunes pousses italiennes, formées dans des académies de plus en plus performantes, pourraient changer la donne. Et puis, la concurrence européenne oblige à ouvrir le jeu en Ligue des Champions.
Mais pour l’instant, la tendance est claire. La Serie A privilégie la solidité à la spectacle. Et tant que les points seront au rendez-vous, les entraîneurs ne changeront pas. Après tout, un 1-0 propre vaut mieux qu’un 4-3 fou, non ?
Personnellement, je trouve ça fascinant. Ce n’est pas moins de football, c’est un football différent. Plus cérébral, plus exigeant. Moins de buts, mais plus d’intensité dans chaque duel. Reste à savoir si les supporters suivront sur la durée. Car un championnat sans émotion, même gagnant, finit par lasser.
En attendant, la prochaine journée nous dira si cette forteresse italienne tiendra encore. Ou si, enfin, un attaquant osant tout fera basculer la tendance. Le football, après tout, reste imprévisible. Même en Italie.
