Vous êtes-vous déjà demandé ce qui se passe quand deux sœurs décident de transposer les odeurs de leur enfance grecque dans une ruelle bouillonnante de Paris ? Pas n’importe où, hein. Dans cette fameuse rue Guisarde où les rugbymen finissent leurs soirées et où les étudiants traînent jusqu’au bout de la nuit. Vingt ans plus tard, leur petit bout de Grèce résiste toujours. Et franchement, ça mérite qu’on s’y arrête.
L’Odyssée Parisienne de Deux Sœurs Grecques
Tout a commencé bien avant que la mode des mezzés ne devienne tendance. À une époque où trouver une bonne feta à Paris relevait du parcours du combattant. Les deux sœurs – appelons-les les ambassadrices discrètes de l’hellénisme culinaire – ont débarqué avec leurs valises pleines de recettes familiales et une détermination en béton.
Leur restaurant ? Un cocon de 30 couverts maximum, coincé entre une librairie confidentielle et un bar à cocktails. Dès l’entrée, l’odeur du pain chaud et de l’origan séché vous attrape par les narines. Pas de chichi, pas de décoration clinquante. Juste des tables en bois, des nappes blanches impeccaires et des photos jaunies de villages crétois aux murs.
La Spanakopita qui Fait Oublier le Temps
Prenez place. La première chose qu’on vous apporte ? Pas la carte, non. Un petit bol d’olives noires marinées dans une huile d’olive qui sent le soleil. Ensuite arrive la star : la spanakopita. Pas celle industrielle qu’on trouve parfois dans les épiceries. Non, la vraie.
Imaginez : une pâte filo croustillante à l’extérieur, moelleuse à l’intérieur, qui enferme un mélange d’épinards frais, de feta fondante et d’aneth qui chatouille les papilles. Chaque bouchée fait « crounch » puis « fond ». C’est technique, c’est précis, c’est… parfait. Et pourtant, quand on demande la recette, les sœurs sourient mystérieusement. « Secret de grand-mère », disent-elles en chœur.
La cuisine, c’est d’abord une histoire d’amour. Entre les produits, entre les gens, entre les souvenirs.
– L’une des sœurs, un soir d’affluence
La Purée de Fava : L’Or Jaune des Cyclades
Passons à un plat qui mérite sa place sur le podium olympique des entrées grecques : la purée de fava. Oubliez les pois cassés fades de votre cantine. Ici, les fèves jaunes des Cyclades sont trempées toute une nuit, cuites lentement avec oignon doux et laurier, puis mixées avec une généreuse rasade d’huile d’olive fruitée.
Le résultat ? Une texture veloutée qui rappelle presque une crème anglaise, mais en version salée. On y ajoute des câpres croquantes, un filet de citron confit maison, et parfois – quand c’est la saison – des tomates séchées qui explosent en bouche. C’est simple, c’est rustique, c’est divin.
- Fèves jaunes trempées 12 heures minimum
- Cuisson lente avec oignon et laurier
- Mixage avec huile d’olive de Crète
- Finition au citron confit et câpres
Et si vous demandez pourquoi elles insistent sur les fèves des Cyclades plutôt que celles de n’importe où ailleurs, la réponse fuse : « Parce que le vent marin leur donne ce goût unique. Essayez, vous comprendrez. »
Moussaka : La Cathédrale des Plats Grecs
Ah, la moussaka. Ce plat qui divise autant qu’il rassemble. Trop d’aubergine pour certains, pas assez de béchamel pour d’autres. Ici, les sœurs ont trouvé l’équilibre parfait. Et croyez-moi, après avoir goûté la leur, les versions industrielles vous paraîtront fades à mourir.
La base ? Des aubergines grillées plutôt que frites – plus léger, plus digeste. Une viande d’agneau hachée parfumée à la cannelle et au clou de girofle. Une béchamel onctueuse mais pas lourde, gratinée juste ce qu’il faut. Le tout monté en couches alternées, comme un mille-feuille salé.
Le secret de la texture ? « On laisse reposer la moussaka une nuit entière avant de la réchauffer pour le service », confie l’une des sœurs. « Comme ça, les saveurs se marient, les jus pénètrent partout. C’est long, mais c’est la clé. »
Le Tarama : Rose Bonbon et Iodé
Avant de passer aux plats principaux, impossible de zapper le tarama. Pas cette pâte rose fluo qu’on trouve en supermarché. Non, le vrai. Celui qui a une couleur saumonée naturelle et une texture aérée qui fond sur la langue.
Les œufs de cabillaud sont battus à la main avec du pain de mie trempé dans du lait, de l’huile d’olive et un soupçon de jus de citron. Le résultat ? Une mousse légère qui réveille les papilles avec sa pointe iodée. À tartiner sur du pain grillé encore chaud, c’est le paradis.
Vingt Ans de Fidélité et d’Audace
Mais comment survivre vingt ans dans la jungle parisienne de la restauration ? Surtout quand on propose une cuisine étrangère, qui plus est grecque, à une époque où le sushi trustait déjà tous les quartiers ?
La réponse tient en trois mots : qualité, régularité, humanité. Les sœurs n’ont jamais cédé à la tentation de la facilité. Pas de produits surgelés, pas de raccourcis. Chaque matin, le marché commence à 5 heures pour elles. Chaque soir, elles sont encore derrière les fourneaux à 23 heures.
On ne fait pas ce métier pour l’argent. On le fait parce qu’on aime voir les yeux des gens s’illuminer quand ils goûtent notre enfance.
Les Pionniers Qui Ont Ouvert la Voie
Elles ne sont pas arrivées dans le vide. Avant elles, d’autres ont pavé le chemin. Des chefs étoilés qui ont montré que la cuisine grecque pouvait être raffinée, pas seulement rustique. Mais les sœurs ont choisi une autre voie : celle de l’authenticité sans compromis.
Pas d’étoile Michelin ici. Pas besoin. La récompense, c’est le client qui revient depuis quinze ans avec ses enfants. C’est la mamie du quartier qui apporte ses herbes du balcon. C’est le couple d’amoureux qui célèbre son premier rendez-vous en commandant « la même table qu’il y a dix ans ».
Le Quartier Latin : Terre d’Accueil Gourmande
La rue Guisarde n’a pas été choisie au hasard. Entre Saint-Germain-des-Prés et Odéon, c’est un carrefour de cultures. Étudiants grecs en mal du pays, touristes en quête d’authenticité, parisiens curieux… Tous se croisent ici.
Le soir, quand les terrasses se remplissent, l’ambiance change. Les conversations en grec se mêlent au français. Les verres de retsina tintent. Et parfois, très tard, les sœurs sortent une guitare et entonnent une chanson de leur île. Moments magiques qui ne s’achètent pas.
Les Défis d’une Cuisine Authentique
Maintenir la qualité pendant vingt ans, ce n’est pas une mince affaire. Les prix des produits grimpent. Les fournisseurs fiables se font rares. Et pourtant, les prix restent raisonnables. Comment font-elles ?
- Achats directs auprès de producteurs grecs
- Partenariats durables avec des importateurs
- Aucune intermédiation superflue
- Carte réduite mais maîtrisée à la perfection
Résultat : une addition qui reste douce même pour un repas complet. Entrée, plat, dessert, vin au verre : comptez 35-40 euros. Dans le quartier, c’est presque une anomalie.
Les Desserts : Douceur Hellénique
Impossible de partir sans goûter les desserts. Le loukoumades d’abord : ces petites boules de pâte frites servies chaudes, arrosées de miel de thym et saupoudrées de cannelle. Elles arrivent dans une assiette creuse, encore fumantes, et disparaissent en trois minutes.
Puis le yaourt grec maison, épais comme une crème, servi avec des fruits confits et un filet de miel. Simple ? Peut-être. Mais quand les produits sont bons, la simplicité devient un luxe.
L’Anniversaire des Vingt Ans
Pour fêter cet anniversaire, les sœurs ont vu les choses en grand. Pas de soirée bling-bling avec champagne français. Non. Un menu spécial à base de produits ramenés directement de Grèce. Des vins nature de petits producteurs. Des musiciens traditionnels.
Et surtout, une surprise : la publication d’un petit livre de recettes. Pas un beau livre clinquant. Un carnet relié à la main, avec des taches d’huile d’olive et des annotations manuscrites. « Comme celles de notre mère », expliquent-elles. Déjà épuisé en pré-commande.
Transmission et Avenir
Les enfants des sœurs commencent à pointer le bout de leur nez en cuisine. L’une apprend à faire la pâte filo. L’autre teste de nouvelles associations. La relève est assurée, mais dans le respect de la tradition.
« On ne révolutionne pas la cuisine grecque », disent-elles. « On la perpétue. Avec amour, avec rigueur, avec le souvenir de ceux qui nous ont appris. »
Pourquoi Ça Marche Depuis Vingt Ans
Plus qu’un restaurant, c’est une institution. Un lieu où l’on vient célébrer les diplômes, les fiançailles, les retrouvailles. Où les habitués ont leur serviette attitrée. Où l’on parle fort, où l’on rit, où l’on pleure parfois.
Dans un Paris qui change à toute vitesse, ce petit bout de Grèce reste un point d’ancrage. Une preuve que l’authenticité paye. Que la passion résiste au temps. Que deux sœurs peuvent, à force de travail et de talent, faire rayonner leur culture au-delà des frontières.
Alors la prochaine fois que vous passerez rue Guisarde, poussez la porte. Commandez une spanakopita. Goûtez la purée de fava. Laissez-vous emporter par la moussaka. Et surtout, prenez le temps. Parce que dans ce petit restaurant, le temps s’arrête. Juste le temps d’un repas. Juste le temps de se souvenir que la vraie cuisine, c’est avant tout une histoire d’amour.
Et qui sait ? Peut-être que dans vingt ans, ce seront les enfants qui raconteront l’histoire. Avec le même sourire. La même passion. Et toujours la même spanakopita parfaite.
