Imaginez-vous un instant au cœur de la cité corsée, là où les montagnes plongent dans la mer et où la politique locale prend parfois des allures de tragédie grecque. Bastia, cette perle de 47 000 âmes, se prépare à un séisme électoral qui pourrait bien redessiner complètement la carte du pouvoir municipal. Et si la surprise venait d’une alliance que personne n’aurait osé prédire il y a encore quelques mois ?
J’ai suivi de près les soubresauts de la politique insulaire depuis des années, et je dois avouer que cette configuration m’a laissé pantois. Comment des sensibilités aussi opposées peuvent-elles soudainement faire front commun ? C’est la question qui taraude tous les observateurs, et c’est précisément ce que nous allons décortiquer ensemble dans les lignes qui suivent.
L’Alliance Improbable qui Fait Trembler l’Hôtel de Ville
Le mouvement s’appelle Uniti ! – unis, en français – et son ambition est claire : proposer une alternative crédible à la gestion nationaliste en place depuis plus d’une décennie. Dirigé par Julien Morganti, ce rassemblement transcende les clivages traditionnels pour fédérer autour d’un constat partagé : la ville traverse une période critique qui nécessite une rupture franche avec les pratiques actuelles.
Ce qui frappe d’emblée, c’est la diversité des profils qui composent cette liste. On y trouve pêle-mêle des figures issues de la gauche progressiste, des représentants de la droite traditionnelle bastiaise, et même des nationalistes historiques. Une telle configuration n’est pas seulement rare – elle est pratiquement inédite dans le paysage politique corse contemporain.
Nous avons fait le choix de la responsabilité face à une situation qui menace l’avenir même de notre cité.
– Extrait du texte fondateur du mouvement
Cette union sacrée s’est concrétisée autour d’un diagnostic sans concession de la situation municipale. Mais avant d’entrer dans les détails de leur programme, il convient de comprendre comment une telle coalition a pu voir le jour dans un contexte où les divergences idéologiques sont habituellement exacerbées.
Les Origines d’une Convergence Inattendue
Pour bien saisir la genèse de ce mouvement, il faut remonter à la prise de pouvoir nationaliste en 2014. À l’époque, l’élection avait marqué un tournant historique : pour la première fois, une grande commune corse tombait dans l’escarcelle des indépendantistes modérés. Pierre Savelli, alors adjoint, avait hérité du fauteuil de maire lorsque son mentor avait accédé à la présidence du conseil exécutif.
Dix ans plus tard, le bilan apparaît contrasté aux yeux de l’opposition. Ce qui était présenté comme une révolution gestionnaire s’est progressivement transformé, selon les critiques, en une série de dysfonctionnements cumulés. C’est dans ce terreau de mécontentement que les graines de l’union transpartisane ont pu germer.
Julien Morganti, figure centrale de cette initiative, n’est pas un novice en politique locale. Son parcours éclectique lui confère une légitimité certaine pour fédérer des sensibilités différentes. Autour de lui, on retrouve notamment :
- Marie-Claire Poggi, issue d’un mouvement de gauche démocrate corse
- Sylvain Fanti, représentant la droite bastiaise traditionnelle
- Matthieu Ricci, nationaliste membre d’un parti historique
Cette composition hétéroclite n’est pas le fruit du hasard. Elle répond à une stratégie mûrement réfléchie : démontrer que les problèmes de gestion transcendalent les clivages partisans classiques. L’idée force ? Seule une alliance large peut espérer déloger une majorité solidement implantée depuis 2014.
Le Diagnostic Sans Concession de la Gestion Sortante
Le 11 octobre dernier, le mouvement Uniti ! a officiellement lancé sa campagne avec un texte programmatique qui ne fait pas dans la dentelle. Les termes employés sont sans ambiguïté : gestion chaotique, décennie perdue, rupture nécessaire. Autant d’expressions qui traduisent une volonté de marquer clairement la frontière avec l’équipe en place.
La première conférence de presse publique, organisée devant le théâtre municipal temporairement fermé, a été l’occasion de déployer l’artillerie lourde. Cinq alertes majeures ont été formulées, chacune étayée par des chiffres et des exemples concrets. Examinons-les plus en détail.
1. Les Investissements Artificiellement Gonflés
Premier point d’achoppement : la présentation des comptes d’investissement. Selon les opposants, les chiffres avancés par la municipalité sortante seraient maquillés pour donner une illusion de dynamisme. Des projets phares seraient comptabilisés plusieurs fois ou valorisés bien au-delà de leur réalisation effective.
Prenez l’exemple du théâtre : les travaux, censés redonner vie à ce joyau patrimonial, s’éternisent depuis des années. Les crédits débloqués se succèdent sans que les Bastiais puissent profiter de la salle rénovée. Une situation qui illustre parfaitement, selon Uniti !, la déconnexion entre les annonces et la réalité du terrain.
2. L’Explosion des Frais de Fonctionnement
Deuxième cible : la gestion courante de la ville. Les dépenses de fonctionnement auraient connu une inflation préoccupante, grevant d’autant les marges de manœuvre pour les investissements structurants. Personnel, frais généraux, communication institutionnelle : rien n’échappe à la critique.
Dans une commune de cette taille, chaque euro compte. Quand les charges courantes grignotent plus de 70% du budget, comme le prétendent les opposants, il devient difficile de financer les équipements dont les habitants ont réellement besoin. Écoles, crèches, voirie : autant de secteurs qui pâtiraient de cette dérive.
3. Une Dette Municipale Hors de Contrôle
Le chiffre avancé fait froid dans le dos : 52 millions d’euros de dette municipale. Pour une ville de 47 000 habitants, cela représente plus de 1 100 euros par tête – un ratio qui place Bastia parmi les communes les plus endettées de l’île.
Mais au-delà du montant brut, c’est la structure même de cette dette qui pose problème. Emprunts à court terme pour financer des dépenses courantes, renégociation permanente des échéances : des pratiques qui rappellent les pires heures de certaines collectivités territoriales.
| Année | Dette (M€) | Évolution |
| 2014 | 28 | Reference |
| 2020 | 41 | +46% |
| 2025 | 52 | +86% |
Ce tableau, bien que simplifié, donne une idée de la trajectoire. En dix ans, la dette aurait presque doublé. Une performance qui contraste singulièrement avec les promesses initiales de bonne gestion portées par les nationalistes en 2014.
4. La Pression Fiscale sur les Bastiais
Quatrième grief : l’augmentation continue de la fiscalité locale. Taxe d’habitation, taxe foncière, redevances diverses : les contribuables bastiais auraient vu leur pression fiscale s’alourdir sensiblement au fil des mandats.
Dans un contexte où le pouvoir d’achat des ménages est déjà fragilisé par l’insularité et le coût de la vie, ces hausses successives passent mal. D’autant qu’elles ne semblent pas corrélées à une amélioration perceptible des services rendus.
5. Les Marchés Publics : un Vrai Far West ?
Enfin, dernier volet et non des moindres : la gestion des marchés publics. Des procédures entachées d’irrégularités, des projets qui s’enlisent, des surcoûts inexplicables – voilà le tableau dressé par l’opposition.
La gare de Bastia, censée devenir un pôle multimodal moderne, en est l’illustration la plus flagrante. Annoncé en grande pompe, le chantier accumule les retards et les dépassements budgétaires. Résultat : une infrastructure toujours pas opérationnelle et des millions d’euros engloutis.
La Stratégie d’Uniti ! pour les Municipales 2026
Face à ce constat accablant, le mouvement propose une feuille de route en rupture. Mais attention : l’alliance reste prudente sur ses contours. Julien Morganti l’a répété à plusieurs reprises – cette coopération est strictement limitée au champ municipal.
Cet accord n’a pas vocation à porter sur l’avenir institutionnel de l’île. Chaque sensibilité politique reste libre d’exprimer ses convictions.
Une précision importante dans le contexte corse, où la question de l’autonomie reste brûlante. L’objectif ? Éviter que les divergences sur le statut de l’île ne viennent parasiter la campagne municipale.
Concrètement, le programme d’Uniti ! s’articule autour de plusieurs axes prioritaires :
- La transparence absolue dans la gestion des deniers publics
- La relance immédiate des grands projets structurants
- Une fiscalité locale maîtrisée et équitable
- Le renforcement des services de proximité
- Une concertation citoyenne renforcée
Des engagements qui peuvent sembler classiques, mais qui prennent une dimension particulière dans le contexte bastiais. Car au-delà des mesures techniques, c’est bien une nouvelle méthode de gouvernance qui est promise aux électeurs.
Les Défis d’une Alliance Transpartisane
Maintenant, soyons honnêtes : faire vivre une telle coalition jusqu’au scrutin de mars 2026 ne sera pas une mince affaire. Les divergences idéologiques, même mises entre parenthèses pour la campagne, risquent de resurgir à tout moment.
Comment gérer, par exemple, les positions divergentes sur la question linguistique ? La gauche progressiste défend souvent une vision inclusive de la lingua materna, tandis que certains nationalistes prônent une politique plus offensive. Des sujets qui, s’ils ne sont pas municipaux au sens strict, influencent forcément le quotidien des Bastiais.
Autre écueil potentiel : la cohérence programmatique. Comment concilier les attentes d’une droite soucieuse de rigueur budgétaire avec celles d’une gauche attachée aux services publics ? Le mouvement devra démontrer qu’il est capable de dépasser les contradictions apparentes.
Enfin, il y a la question de la légitimité. Certains électeurs nationalistes historiques pourraient reprocher à leurs représentants de s’allier avec des forces traditionnellement hostiles à leurs idées. Un risque de fracture au sein même de la mouvance indépendantiste.
Le Contexte Politique Corse en Toile de Fond
Pour comprendre pleinement les enjeux de cette élection bastiaise, il faut la resituer dans le contexte plus large de la politique insulaire. Depuis 2014, les nationalistes dominent largement les institutions corses – collectivité unique, assemblée, grandes communes.
Mais cette hégémonie commence à montrer des signes d’essoufflement. Les promesses d’une gestion exemplaire, portées comme un étendard lors de la victoire historique, se heurtent à la réalité du terrain. Bastia, en tant que deuxième ville de l’île, constitue un test grandeur nature pour l’ensemble du projet nationaliste.
Une défaite en mars 2026 serait un camouflet retentissant. Elle démontrerait que même dans leurs bastions, les nationalistes ne sont pas à l’abri d’un rejet populaire. À l’inverse, une victoire d’Uniti ! pourrait créer une dynamique favorable à d’autres oppositions dans l’île.
Les Bastiais Face à ce Choix Historique
Et les habitants dans tout ça ? C’est peut-être la question la plus cruciale. Après dix ans de gestion nationaliste, quel est leur état d’esprit réel ? Les discours de l’opposition rencontrent-ils un écho dans la population ?
Difficile de répondre avec certitude à ce stade. Les enquêtes d’opinion locales sont rares, et les Bastiais, comme souvent en Corse, gardent leurs intentions de vote pour eux jusqu’au dernier moment. Mais plusieurs indices laissent penser que le mécontentement est réel.
La fermeture prolongée du théâtre, les embouteillages chroniques, le stationnement anarchique, la propreté défaillante dans certains quartiers : autant de sujets qui reviennent régulièrement dans les conversations. Des problèmes concrets, du quotidien, qui pèsent souvent plus lourd dans l’isoloir que les grandes déclarations idéologiques.
Vers un Scrutin à Haut Risque
À cinq mois du premier tour, la campagne s’annonce déjà électrique. D’un côté, une majorité sortante qui joue sa survie politique. De l’autre, une coalition hétéroclite mais déterminée à provoquer l’alternance.
Les prochaines semaines seront décisives. Uniti ! devra transformer l’essai en affinant son programme et en évitant les divisions internes. Pierre Savelli, de son côté, pourra compter sur la force de l’incumbent et sur le bilan qu’il estime positif malgré les critiques.
Une chose est sûre : les municipales bastiaises de 2026 entreront dans l’histoire politique corse. Soit comme le début d’une nouvelle ère de gouvernance partagée, soit comme la confirmation de la domination nationaliste. Le verdict des urnes, dans cette configuration, promet d’être passionnant à analyser.
En attendant, une question me taraude particulièrement : cette alliance contre-nature tiendra-t-elle la route jusqu’au bout ? L’histoire politique locale nous a habitués à bien des surprises. Bastia, une fois de plus, pourrait nous réserver son lot d’imprévus. Affaire à suivre, donc, avec la plus grande attention.
