Il y a des soirs où le football dépasse le simple résultat. Hier, au Stade de France, la victoire 4-0 contre l’Ukraine a validé le billet des Bleus pour la Coupe du monde 2026. Objectif atteint, mission accomplie. Et pourtant… l’ambiance n’était pas à l’euphorie débordante que l’on connaît d’habitude.
Parce que le 13 novembre reste une date à part dans le cœur des Français.
Une soirée où le sport s’efface devant l’Histoire
Avant même le coup d’envoi, la minute de silence a figé 80 000 personnes. On a rarement vu un hommage aussi dense, aussi lourd. Pas un bruit, pas un téléphone allumé, juste le poids de la mémoire collective. Dix ans après les attentats, le Stade de France – qui avait déjà vécu l’horreur en 2015 – vibrait d’une émotion différente.
Kylian Mbappé, capitaine ce soir-là, a senti tout ça. Il l’a dit, redit, avec une maturité qui impressionne toujours un peu plus :
« On va essayer de mettre des sourires sur les visages pendant 90 minutes, mais l’événement de la journée, ce n’était pas nous. »
Kylian Mbappé, en conférence d’après-match
Et il a raison. Le foot, aussi beau soit-il, reste secondaire face à la douleur des familles qui ont perdu un proche. Mbappé, qui n’avait que 16 ans en 2015, porte aujourd’hui le brassard et une forme de responsabilité nouvelle. Il parle comme un leader qui sait ce que représente le maillot.
Deux mi-temps, deux visages
Sur le terrain, le scénario a été presque trop parfait pour être vrai. Première période poussive, les Bleus pris dans le piège ukrainien, peu de rythme, quelques sifflets même. On s’est tous dit : « Tiens, ça va être plus compliqué que prévu. »
Puis la seconde période a tout emporté. Quatre buts, une avalanche, une démonstration. Mbappé a ouvert son compteur sur penalty – une panenka délicieuse – avant de doubler la mise d’une frappe pure. Michael Olise a enfoncé le clou, Bradley Barcola a conclu le festival. 4-0, score presque irréel.
- Première mi-temps : rythme lent, peu d’occasions, public un peu endormi
- Seconde mi-temps : pressing haut, mouvements fluides, buts en cascade
- Résultat : qualification directe validée avec la manière
Mbappé l’a résumé lui-même : « On a été pris au piège, on n’a pas d’excuse. Mais on a su réagir. » Simple, honnête, efficace.
Le cap des 400 buts : « Il y en a un à 950… »
Avec son doublé, Kylian a franchi la barre symbolique des 400 réalisations en carrière. À 26 ans. Le chiffre donne le vertige. Mais quand un journaliste lui demande ce que ça représente, il sourit et lâche :
« Vingt ans plus tôt, j’aurais dit que c’était fantastique. Maintenant qu’il y a un joueur à 950 et un autre à 900… il faut que j’en remette 400 pour qu’on me remarque un peu ! »
Autodérision, clin d’œil à Messi et Ronaldo, mais aussi une forme de pression qu’il se met tout seul. Parce qu’il sait qu’on attend toujours plus de lui. Et parce qu’il veut toujours plus de lui-même.
« Je ne comprends pas ce truc de demi-finale »
À sept mois du Mondial, la question classique tombe : quel objectif ? Certains parlent de demi-finale, comme un plafond réaliste après deux finales perdues. Mbappé, lui, balaie l’idée d’un revers de main.
« Si l’objectif c’est demi-finale, on arrive en demi-finale et on fait quoi, on rentre ? L’objectif, c’est gagner. »
Clair, net, tranchant. Il n’y a pas de demi-mesure avec lui. C’est tout ou rien. Et franchement, on commence à s’habituer à ce qu’il aille jusqu’au bout.
Une communion malgré tout
À la fin du match, les joueurs sont allés saluer le public. Pas de tour d’honneur interminable, pas de musique à fond, juste des applaudissements chaleureux et des écharpes bleues agitées. Une célébration sobre, presque recueillie.
Et pourtant, les supporters ont compris. Ils n’ont pas banalisé la qualification, même si, oui, la France est abonnée aux phases finales. Ils ont fêté leurs joueurs, mais sans excès. Comme si tout le monde avait conscience que la soirée appartenait d’abord aux victimes et à leurs proches.
Moi, ça m’a marqué. Ce mélange rare de joie sportive et de gravité nationale. Ce respect collectif. Cette capacité à célébrer sans oublier.
Et maintenant ?
Les Bleus sont qualifiés, point. Plus de barrages, plus de stress inutile. Place à la préparation du Mondial nord-américain, avec un groupe qui prend forme et une génération dorée qui continue de grandir.
Olise qui explose, Barcola qui confirme, Cherki qui cherche encore sa place, Camavinga et Tchouaméni qui verrouillent le milieu… Et devant, un Mbappé qui porte le brassard comme personne.
Didier Deschamps, lui, a déjà le regard tourné vers l’été 2026. Il sait que cette équipe a le potentiel pour ramener une troisième étoile. Il sait aussi que rien n’est jamais acquis.
En attendant, cette soirée du 13 novembre 2025 restera spéciale. Pas seulement pour les quatre buts ou la qualification. Mais parce qu’elle a montré que le football français pouvait être grand, même – et surtout – quand il accepte de rester à sa place.
Parce qu’il y a des victoires qui comptent plus que trois points ou un ticket pour une Coupe du monde.
Celle-là, elle était pour eux. Pour tous ceux qui n’étaient plus là pour voir le maillot bleu flotter à nouveau.
Et quelque part, je suis sûr qu’ils ont souri en regardant les gamins d’aujourd’hui leur rendre l’hommage le plus beau : jouer, gagner, et ne jamais oublier.
