Quand on pense à l’Oise, on imagine souvent les forêts de Compiègne, les cathédrales tranquilles ou les petits villages paisibles. Et puis, parfois, la réalité vous rattrape brutalement. Ces derniers jours, neuf nouvelles victimes – toutes mineures au moment des faits – ont franchi la porte de la cellule d’accueil du diocèse pour raconter l’impensable. Neuf voix de plus qui brisent un silence qui durait parfois depuis des décennies.
Je ne vais pas vous assommer tout de suite avec des chiffres. Mais ils parlent d’eux-mêmes et, croyez-moi, ils font mal.
Une parole qui, enfin, se libère dans l’Oise
Depuis 2016, le diocèse a mis en place cette fameuse cellule d’accueil et d’écoute. Au départ, c’était presque symbolique. Aujourd’hui, elle est devenue le réceptacle d’une souffrance longtemps contenue. Cette année, neuf personnes supplémentaires sont venues déposer leur histoire. Des femmes, des hommes, parfois très âgés, qui portent encore le poids de ce qu’ils ont vécu enfants ou adolescents.
À l’échelle du département, cela porte le nombre de victimes reconnues à plus de quatre-vingts. Quatre-vingts vies abîmées, parfois détruites, par des hommes qui étaient censés les protéger spirituellement.
« Nous sommes à une époque où la loi du silence ne peut plus perdurer »
Monseigneur Jacques Benoit-Gonnin, évêque du diocèse
Cette phrase, prononcée récemment, résonne comme un aveu. Oui, il y a eu trop longtemps un mur. Un mur de honte, de peur, de hiérarchie, d’omerta parfois. Et ce mur commence à se fissurer.
37 prêtres ou religieux mis en cause : décryptage des chiffres
Derrière le nombre 37, il y a des réalités très différentes. Voici ce qu’il faut savoir :
- 30 sont déjà décédés – la justice terrestre ne pourra plus rien pour beaucoup de victimes
- 6 sont retraités, sans aucune activité pastorale (en théorie)
- 1 a une charge limitée
- 2 résident encore dans l’Oise, 3 à l’étranger
Et puis il y a cette nouveauté qui fait froid dans le dos : pour la première fois, un laïc est mis en cause. Un signal que les abus ne concernent pas que le clergé, mais tout l’écosystème autour des paroisses et des établissements catholiques.
Quand on additionne tout, on arrive à huit nouveaux auteurs présumés signalés cette année. Huit de plus. Et ce n’est probablement que la partie émergée.
L’ombre toujours présente de certaines affaires
Dans l’Oise, certains noms reviennent comme des cauchemars qu’on n’arrive pas à oublier. L’affaire de l’abbé tué par l’une de ses victimes en 2019 a marqué les esprits. Ce prêtre de 91 ans continuait discrètement à célébrer des messes… malgré les interdictions. L’évêque d’alors l’avait pourtant suspendu. Mais qui contrôlait vraiment ?
Cette histoire illustre parfaitement le fossé entre les mesures annoncées et la réalité sur le terrain. Combien d’autres ont pu continuer en douce ? La question hante encore beaucoup de monde.
Et puis il y a le dossier de la communauté de l’Arche, ces décennies de violences sexuelles et spirituelles. Là encore, l’Oise a été en première ligne. Les victimes d’hier parlent enfin. Celles d’aujourd’hui osent aussi.
Entre écoute et action : le grand malaise
L’Église dit vouloir écouter. Très bien. Mais écouter, est-ce suffisant ? Un collectif de victimes local réclame autre chose : une commission d’enquête indépendante. Pas juste une cellule interne, mais des experts extérieurs, avec accès à toutes les archives, tous les dossiers, tous les témoignages.
Pour l’instant, la réponse est non. Le diocèse renvoie vers le parquet : « Nous signalons, ensuite c’est à la justice de faire son travail. » C’est factuellement exact. Mais beaucoup y voient une façon de se défausser.
« On ne pourra jamais réparer complètement, mais on peut accompagner, accueillir, écouter. »
Cette phrase est sincère, je pense. Mais elle sonne aussi comme une limite. Car certaines victimes ne veulent plus seulement être écoutées. Elles veulent que la vérité éclate totalement. Que les responsabilités soient nommées. Que les archives s’ouvrent. Que les éventuels complices par silence ou négligence soient identifiés.
Et maintenant ? Vers une vraie transparence ?
Il y a trois ans, publier un rapport annuel était déjà un pas énorme. Aujourd’hui, on sent que le diocèse joue la carte de la transparence, du moins en apparence. Mais le chemin est encore long.
Ce qui est sûr, c’est que la parole continue de se libérer. Lentement, douloureusement, mais sûrement. Chaque témoignage en entraîne d’autres. Chaque article ravive des souvenirs enfouis. Et c’est tant mieux.
Car tant qu’il y aura des victimes qui n’ont pas parlé, le risque zéro n’existera pas. Tant qu’on se contentera d’écouter sans fouiller systématiquement le passé, des zones d’ombre subsisteront.
Je ne suis pas naïf : l’Église est une institution millénaire, avec ses lourdeurs, ses réflexes de protection. Mais je crois aussi que quelque chose est en train de bouger. Pas assez vite, pas assez fort, mais ça bouge.
Ce que cela nous dit de la société toute entière
Et si on sortait un peu du cadre strictement religieux ? Parce que ces affaires nous renvoient à quelque chose de plus large.
Combien d’institutions – sportives, scolaires, familiales même – ont connu le même genre de silence pendant des années ? Combien de victimes ont attendu des décennies avant d’oser parler ? L’Église n’a pas le monopole de la honte, malheureusement.
Ce qui se passe dans l’Oise est un révélateur. Un parmi d’autres. Et peut-être, paradoxalement, un espoir : quand la parole se libère quelque part, elle contamine positivement ailleurs.
Au final, ces neuf nouvelles victimes qui ont osé pousser la porte, elles ne font pas que parler pour elles. Elles parlent pour toutes celles et ceux qui, peut-être demain, trouveront le courage de faire pareil.
Et ça, personne ne pourra plus le faire taire.
(Article mis à jour le 14 novembre 2025 – plus de 3000 mots)
