Imaginez une petite fille de neuf ans, pancarte à la main, criant haut et fort son refus d’un avenir pollué par la violence. C’est la scène qui m’a marqué ce samedi en Corse, où des milliers de personnes ont envahi les rues pour dire stop à un fléau qui ronge l’île depuis trop longtemps. Et si c’était le début d’un vrai réveil collectif ?
Un Ras-le-Bol Qui Explose Dans Les Rues Corses
Ce 15 novembre, la Corse a vibré d’une colère contenue. À Bastia comme à Ajaccio, environ un millier de manifestants par ville ont marché ensemble, unis par un même cri : assez de mafia. Pas de violence, juste des voix qui portent, des banderoles qui claquent au vent méditerranéen. J’ai rarement vu une mobilisation aussi transversale, mélangeant générations et sensibilités politiques.
Ce qui frappe d’abord, c’est la diversité des profils. Des familles entières, des retraités, des jeunes actifs. Tous portent ce bout de tissu blanc au bras, symbole d’une union sacrée. « A Maffia Tomba, U Silenzu Dinò ! » scande la foule. La mafia tue, le silence aussi. Un slogan simple, mais qui résume tout le problème.
Des Enfants En Première Ligne
Parmi les images qui restent, celle de Lina-Maria, neuf ans, tenant fièrement sa pancarte maison. Mafieux non. Ses mots sont directs, sans filtre. Elle parle de son avenir, de cette Corse qu’elle ne veut pas voir ensanglantée. Ses parents l’accompagnent, fiers mais inquiets. Combien d’enfants corses grandissent aujourd’hui avec cette peur diffuse ?
Ils salissent notre Corse, et moi je pense beaucoup à mon avenir. Je n’aimerais pas qu’il y ait beaucoup de morts comme aujourd’hui.
– Lina-Maria, 9 ans, manifestante à Bastia
Cette présence des plus jeunes change la donne. Ce n’est plus seulement une affaire d’adultes. C’est une transmission, une éducation à la résistance civique. Et franchement, voir une enfant s’impliquer ainsi, ça donne de l’espoir. Peut-être que la nouvelle génération saura briser le cycle.
Une Coordination Unique En Son Genre
Derrière ces manifestations, une structure peu commune : une coordination anti-mafia rassemblant une dizaine d’associations. C’est du jamais-vu sur le continent. Ils ont orchestré les deux rassemblements simultanés, prouvant une organisation rodée. À Ajaccio, c’est la deuxième fois cette année. À Bastia, une première historique.
- Initiative citoyenne pure, sans récupération politique évidente
- Partenariat entre associations locales et collectifs historiques
- Objectif clair : briser l’omerta et pousser les institutions à agir
- Projet innovant : un rapport régulier sur la criminalité mafieuse
Ce projet de rapport mérite qu’on s’y arrête. Imaginé par des membres du collectif, il viserait à recenser systématiquement les actes criminels, les secteurs touchés, les profils des condamnés. Un outil factuel pour contrer le déni. Parce que tant qu’on ne nomme pas le problème, il prospère dans l’ombre.
La Spéculation Foncière, Cancer Économique
Parmi les griefs principaux, la spéculation immobilière revient en boucle. Marie, 27 ans, l’explique simplement : la mafia prospère sur le béton. Terrains achetés à bas prix, constructions illégales, blanchiment. L’île de beauté devient un paradis pour les investisseurs douteux. Et les Corses ? Ils peinent à se loger décemment.
J’ai discuté avec plusieurs manifestants sur ce point. Tous s’accordent : sans contrôle renforcé, la situation va empirer. Les prix flambent, les jeunes partent. La mafia ne tue pas que physiquement, elle vide aussi l’île de sa substance. C’est une forme de colonisation économique.
Et pourtant, des solutions existent ailleurs. L’Italie a mis en place des mécanismes efficaces : confiscation des biens mafieux, protection des témoins, éducation anti-mafia dès l’école. Pourquoi pas en Corse ? La question brûle les lèvres de nombreux participants.
Des Chiffres Qui Glacent Le Sang
Parlons concret. Entre 2004 et 2019, pas moins de 451 homicides ou tentatives d’homicides. Sur ces affaires, 159 restent non élucidées. Ça fait froid dans le dos. La Corse affiche un taux de 3,7 meurtres pour 100 000 habitants. C’est le record métropolitain. Derrière ces statistiques, des familles brisées, des enfants orphelins.
| Période | Homicides/Tentatives | Non élucidés |
| 2004-2019 | 451 | 159 |
| Taux pour 100 000 hab. | 3,7 (record national) | |
Ces chiffres ne sortent pas de nulle part. Ils sont le résultat d’années d’impunité relative. Quand un meurtre sur trois reste sans réponse, ça encourage les suivants. C’est un cercle vicieux qu’il faut briser. Et les manifestations de ce samedi visent précisément cela.
Un Spectre Politique Large
Ce qui surprend, c’est l’étendue politique des participants. Nationalistes, radicaux de gauche, droite traditionnelle : tous dans le même cortège. Pas de bannières partisanes dominantes. Juste des individus venus comme citoyens. Ça change des habituelles divisions insulaires.
Même des figures historiques du nationalisme corse étaient présentes. Léo Battesti, ancien dirigeant du FLNC, a pris la parole devant la préfecture. Ses mots ont résonné : « Nous aurions dû faire des armées avec des juristes et des lanceurs d’alerte plutôt que des armées avec des cagoules. » Une autocritique rare, qui montre l’évolution des mentalités.
Est-il normal de se taire ? Est-il normal que l’université n’ait jamais étudié la mafia ? L’université a fait l’impasse totale sur la réalité mafieuse de l’île.
– Léo Battesti, devant la préfecture de Haute-Corse
Cette présence d’ex-combattants reconvertis dans le civisme marque un tournant. La lutte anti-mafia devient un combat commun, transcendant les anciennes fractures. Peut-être le début d’une réconciliation autour d’un ennemi partagé.
Le Silence, Complice Involontaire
Le slogan sur le silence n’est pas anodin. En Corse, l’omerta a longtemps été une seconde nature. Peur des représailles, liens familiaux, méfiance envers l’État : tout concourt à faire taire les témoins. Mais ce samedi, des voix se sont élevées pour dire que le silence tue autant que les balles.
Lisa, la quarantaine, porte son tissu blanc avec détermination. Elle insiste : il faut que la justice prenne le dossier à bras-le-corps. Que les politiques arrêtent de regarder ailleurs. Son témoignage rejoint celui de beaucoup d’autres. Le changement viendra par la parole libérée.
Et pourtant, briser l’omerta reste dangereux. Les exemples ne manquent pas de témoins menacés, de familles sous pression. C’est pourquoi la protection des repentis devient cruciale. Sans sécurité, pas de témoignages. Sans témoignages, pas de condamnations.
L’Université Dans Le Viseur
Un point soulevé par Léo Battesti mérite réflexion : l’absence totale d’études universitaires sur la mafia corse. Comment comprendre un phénomène si on ne l’étudie pas ? Les facs locales ont-elles peur ? Manque-t-il de moyens ? Ou est-ce une forme de déni institutionnel ?
- Création d’un département d’études criminologiques corses
- Partenariats avec des universités italiennes expertes en mafia
- Programmes éducatifs dès le lycée sur la citoyenneté active
- Financement public pour des thèses sur la criminalité insulaire
Ces idées circulent parmi les manifestants. Former les jeunes esprits à analyser, à comprendre, à résister intellectuellement. Parce que la mafia prospère aussi sur l’ignorance. L’éducation pourrait être l’arme la plus puissante à long terme.
La Musique Comme Vecteur D’Unité
Jean-François Bernardini, chanteur du groupe I Muvrini, était au micro. Sa présence n’est pas anodine. La culture corse a toujours été un ciment identitaire. Utiliser la musique pour porter le message anti-mafia, c’est toucher les cœurs. Ses statistiques sur les homicides ont douché l’assistance.
La chanson traditionnelle revisitée, les slogans rythmés : tout participe à l’ambiance. Ce n’est pas une manif morose, mais une fête de la résistance. Les Corses savent marier revendication et célébration. Ça donne une énergie particulière, presque contagieuse.
Et Maintenant, Quelles Suites Concrètes ?
La grande question reste en suspens. Ces manifestations déboucheront-elles sur du tangible ? Les institutions vont-elles enfin bouger ? Plusieurs pistes émergent des discussions de rue.
D’abord, renforcer la coopération avec les modèles italiens. Confiscation systématique des biens mafieux, création d’une unité spécialisée. Ensuite, protéger vraiment les témoins. Sans ça, les dossiers restent vides. Enfin, impliquer la société civile dans le suivi des affaires.
Le projet de rapport annuel pourrait être un premier pas. Un thermomètre régulier de la criminalité mafieuse. Publier les chiffres, nommer les secteurs touchés, suivre les condamnations. Transparence totale pour forcer l’action.
En marchant parmi les manifestants, j’ai senti une détermination nouvelle. Ce n’est pas qu’une énième protestation. C’est un mouvement qui mûrit, qui s’organise. Les tissus blancs au bras, les pancartes des enfants, les discours sans concession : tout annonce que la Corse ne veut plus se taire.
Mais le chemin sera long. Les clans ne lâcheront pas facilement. Ils ont des ramifications profondes, des protections parfois insoupçonnées. La lutte anti-mafia demandera constance, courage, et surtout unité. Ce samedi n’était qu’un début.
Et vous, qu’en pensez-vous ? La Corse peut-elle vraiment se libérer de cette emprise ? Les manifestations citoyennes suffiront-elles, ou faut-il une révolution institutionnelle ? L’avenir nous le dira. Mais une chose est sûre : le silence n’est plus une option.
En attendant, les images de cette journée restent en tête. Des familles unies, des enfants engagés, des anciens qui regrettent le passé pour mieux construire l’avenir. La Corse montre qu’elle sait encore se mobiliser pour ses valeurs. Espérons que ce soit le début d’une ère nouvelle, où la beauté de l’île ne sera plus entachée par la violence.
Parce qu’au fond, c’est ça l’enjeu : préserver une identité, un mode de vie, un territoire. La mafia ne vole pas que des vies, elle vole aussi l’âme d’une région. Et ce samedi, des milliers de Corses ont dit non. Fort. Ensemble. Pour de bon, espérons-le.
