Imaginez un peu la scène : des gamins de dix ans qui apprennent à marcher sur un fil ou à jongler sous un chapiteau coloré, et soudain, tout ça devient le centre d’une tempête politique nationale. C’est exactement ce qui se passe en ce moment à Reims. Franchement, on se croirait dans un mauvais scénario de série politique, sauf que c’est bien réel.
Quand le cirque devient un enjeu de campagne électorale
Depuis quelques semaines, une association qui gère une école de cirque et un chapiteau culturel dans la ville est dans le viseur d’une candidate aux prochaines municipales. Le reproche ? Accueillir des événements jugés trop marqués à gauche, notamment un festival de films présenté comme antifasciste. Et hop, on sort la calculette : 43 000 euros de subventions municipales seraient, selon elle, détournés pour financer de l’agit-prop.
Mais quand on gratte un peu, la réalité est bien plus nuancée. Et c’est là que ça devient intéressant.
Une association ancrée depuis près de quarante ans
L’association en question n’est pas née de la dernière pluie. Presque quarante ans qu’elle propose des ateliers cirque, des spectacles, des résidences d’artistes. Chaque année, des milliers de jeunes – souvent issus des quartiers prioritaires – passent sous le chapiteau baptisé Le Temps des Cerises. Pour beaucoup d’entre eux, c’est la première fois qu’ils touchent à une discipline artistique.
Et ça, ce n’est pas de la communication : c’est du concret. Des gamins qui découvrent qu’on peut faire autre chose que traîner dans la rue. Des ados qui trouvent une famille dans une troupe. Des spectacles qui tournent dans toute la région. Bref, du lien social en barre.
« Ce type de dispositif permet chaque année à des milliers de jeunes rémois de découvrir des pratiques artistiques dont les arts du cirque. »
Communiqué du conseil d’administration de l’association
Le chiffre qui fait bondir… ou pas
La candidate pointe du doigt une subvention de 43 000 euros. Le chiffre claque, forcément. Sauf que l’association a vite rectifié : la somme réellement consacrée aux ateliers périscolaires – ceux qui concernent directement les enfants – tourne plutôt autour de 2 900 euros. Le reste finance l’ensemble des activités sur l’année.
Entre nous, 2 900 euros pour toucher des milliers de jeunes, c’est presque ridicule quand on compare aux budgets communication de certaines campagnes électorales. Mais bon, ça fait moins peur dans un post Facebook.
- Ateliers cirque dans les écoles : inclusion sociale
- Spectacles tout public : animation du territoire
- Accueil de compagnies : dynamisme culturel
- Festival organisé par une grande association de défense des droits humains : ouverture et débat
Le festival qui déclenche la foudre
Le vrai casus belli, c’est un festival de films. Oui, un festival qui porte le mot antifasciste dans son titre. Organisé depuis quatre ans par une association historique de défense des droits humains, il passe sous le chapiteau comme bien d’autres événements. Des documentaires, des débats, des rencontres. Rien de clandestin, tout est déclaré, tout est public.
Mais le terme « antifasciste » semble agir comme un chiffon rouge. Pourtant, dans le contexte historique français, c’est un mot qui a du sens. On parle d’un pays qui a connu l’Occupation, la Collaboration, la Résistance. Refuser le fascisme, c’est un peu le minimum syndical, non ? Apparemment plus pour tout le monde.
Une stratégie de campagne qui ne surprend plus personne
Soyons clairs : on sent la campagne municipale à plein nez. À quelques mois des élections, sortir l’artillerie lourde sur une association culturelle qui travaille avec des enfants, c’est un grand classique. Ça fait réagir, ça fait cliquer, ça fait parler. Mission accomplie, en somme.
L’association, elle, parle d’« accusations grotesques ». Le terme est fort, mais on comprend la colère. Se faire traiter de proche des milieux radicaux quand on apprend à des gosses à faire des roulades, il y a de quoi grincer des dents.
« La campagne des municipales vient juste de commencer. Car c’est avant tout de cela qu’il s’agit dans ces accusations grotesques. »
Le chapiteau, espace ouvert ou terrain miné ?
Le chapiteau Le Temps des Cerises n’est pas un lieu privatisé. C’est un espace municipal mis à disposition, comme tant d’autres salles des fêtes ou théâtres en France. Des associations, des compagnies, des collectifs y passent. Certains événements sont engagés, d’autres moins. C’est la vie culturelle normale d’une ville de 180 000 habitants.
Vouloir faire le tri idéologique sur chaque manifestation accueillie, c’est ouvrir une boîte de Pandore énorme. Demain, on reprochera à une MJC d’avoir prêté sa salle à un concert de rap contestataire ? À une médiathèque d’avoir exposé des photos sur les migrations ? Où s’arrête-t-on ?
Le silence du maire sortant
Pour l’instant, le maire actuel n’a pas souhaité réagir publiquement. Stratégie de l’évitement ou simple prudence ? Difficile à dire. Rester au-dessus de la mêlée quand on est régulièrement cité dans les publications adverses, c’est une position tenable… jusqu’à un certain point.
D’un autre côté, défendre une association qui fait du lien social depuis quarante ans, ce n’est pas vraiment un positionnement extrême. C’est même plutôt consensuel. Mais en période électorale, le consensus a parfois du plomb dans l’aile.
Ce que cette polémique dit de notre époque
Franchement, cette histoire est révélatrice. On assiste à une politisation à outrance de la culture. Un festival de films devient un danger public. Une école de cirque, un nid d’extrémistes. On marche sur la tête, ou alors on a très peur de quelque chose.
Et pendant ce temps, les vrais sujets – la sécurité, le logement, l’emploi, l’éducation – passent parfois au second plan. C’est plus facile de taper sur un chapiteau que de proposer un projet cohérent pour une ville, non ?
J’ai vu des spectacles sous ce chapiteau, il y a quelques années. Des gamins qui volaient littéralement dans les airs, des parents émus aux larmes, des sourires partout. Si c’est ça l’antifascisme, alors qu’on m’en donne tous les jours.
En attendant, l’association continue son travail. Les ateliers reprennent, les spectacles se préparent, le chapiteau reste debout. Et quelque part, c’est peut-être la plus belle réponse : continuer à faire vivre la culture, envers et contre tout.
Parce qu’au fond, c’est ça le plus important. Pas les petites phrases, pas les polémiques stériles. Mais des enfants qui apprennent qu’on peut voler, même quand tout semble nous retenir au sol.
