Vous êtes-vous déjà demandé ce qu’il reste d’un village quand son café ferme ? Plus de journaux le matin, plus de partie de cartes le dimanche, plus ce bruit de fond rassurant des conversations qui débordent jusque sur le trottoir. À Saint-Aubin-sur-Gaillon, dans l’Eure, on a vécu ça pendant quarante-quatre longues années. Et puis, un jour d’octobre dernier, les lumières se sont rallumées. Franchement, ça fait chaud au cœur.
J’ai toujours trouvé que les cafés de village, c’est un peu le pouls d’une commune. Quand il s’arrête, tout semble ralentir. Alors quand j’ai appris qu’un bistrot rouvrait après presque un demi-siècle de silence, j’ai eu envie d’aller voir ça de plus près. Et je n’ai pas été déçu.
Un café qui renaît de ses cendres
Retour en arrière rapide. En 2024, la mairie décide de racheter l’ancien « Café de l’église », fermé depuis 1980. Un bâtiment qui dormait depuis l’époque où les gens se souvenaient encore du goût du café filtré dans un verre Duralex. Le maire et son équipe se lancent : travaux, normes, plomberie, électricité… près de 100 000 euros plus tard, l’endroit est méconnaissable.
Le nouveau nom ? Bistrot du clocher. Un clin d’œil malin au clocher tors de l’église voisine – oui, un vrai clocher qui vrille, une rareté qui attire déjà les curieux. Le jour de l’ouverture, le 17 octobre, c’était la folie douce : les 2 200 habitants (et pas mal de voisins) se sont pressés pour retrouver ce lieu qu’ils n’avaient connu que sur les cartes postales jaunies de leurs grands-parents.
« Un monde de dingue », raconte un adjoint au maire qui n’en revenait pas de voir autant de sourires en même temps.
Plus qu’un bar : un mini-supermarché du quotidien
Parce qu’en campagne, un café qui ne fait que servir des demis, ça ne suffit plus. Ici, on a pensé à tout :
- dépôt de pain et viennoiseries dès le matin,
- journaux frais,
- petite épicerie de dépannage,
- et même, pour Noël, une vitrine de produits locaux (miel, cidre, confitures…).
En clair, c’est le genre d’endroit où tu viens chercher ton baguette et tu repars une heure plus tard après avoir discuté météo, tracteurs et politique avec les habitués. Le vrai lien social, quoi.
Un restaurateur du coin prend le pari
La mairie a reçu des dizaines de candidatures. Elle a choisi quelqu’un du territoire, un gars qui connaît la musique : Stéphane Dubourg. Depuis 2009, il tient un restaurant à huit kilomètres de là. Il loue les murs et se lance dans l’aventure.
« C’est un nouveau défi que je suis heureux de relever », confie-t-il avec ce sourire tranquille des gens qui savent que rien n’est gagné d’avance.
Dès le 7 décembre, le bistrot deviendra aussi un restaurant de 45 couverts, ouvert tous les midis en semaine. Au menu ? Des plats traditionnels, simples, généreux – le genre de cuisine qui fait que tu repars avec l’envie de revenir la semaine suivante.
Et il y croit, le patron. L’emplacement est stratégique : en face de la mairie, juste à côté de l’église, et surtout à deux pas d’une grosse zone d’activité près de l’autoroute A13. Les ouvriers, les commerciaux, les habitants… il y a du passage. Reste à transformer l’essai.
La mairie voit plus loin
Parce que, attention, ce bistrot n’est qu’une première étape. Après les municipales, l’équipe envisage :
- une salle de jeux (billard, fléchettes, peut-être un coin pour les ados),
- des chambres d’hôtes au-dessus,
- et même la restauration d’une grange pour en faire une salle des fêtes.
On sent la volonté farouche de redonner vie au centre-bourg. Et déjà, les téléphones sonnent à la mairie pour réserver des repas de groupe. Preuve que le bouche-à-oreille fonctionne à plein régime.
Pourquoi ça nous touche autant ?
Franchement, cette histoire dépasse le simple fait divers local. Elle parle de tous ces villages qui luttent pour ne pas devenir des dortoirs. En France, on ferme encore trop de cafés, trop de boulangeries, trop d’écoles. Chaque réouverture est une petite victoire contre la désertification rurale.
J’ai discuté avec des habitants. Une dame m’a dit, les yeux brillants : « Avant, on allait boire le café chez les uns ou chez les autres. Maintenant, on a enfin un endroit à nous. » C’est tout bête, mais c’est énorme.
Et puis il y a cette idée que, parfois, il suffit d’un lieu pour recréer du lien. Un comptoir, quelques tables, un patron qui connaît ton prénom. Dans un monde où tout va vite, où on commande son pain en drive, retrouver ça, c’est précieux.
Les ingrédients d’une réussite (ou pas)
Bon, soyons honnêtes : rien n’est gagné. Tenir un commerce en zone rurale, c’est un sport de combat. Il faudra :
- fidéliser les habitués,
- attirer les travailleurs de la zone industrielle,
- proposer des prix accessibles,
- et surtout, beaucoup, beaucoup de cœur à l’ouvrage.
Mais quand on voit l’énergie mise par la mairie et par le restaurateur, on se dit que c’est possible. Et si ça marche ici, ça peut inspirer d’autres communes. Parce que des vieux cafés qui dorment, il y en a encore des centaines en Normandie – et ailleurs.
Et vous, quel est votre café de village préféré ?
Personnellement, j’en connais un dans le Perche où le patron sert encore le blanc limé à l’ancienne. Un autre dans le Cotentin où on joue à la belote en attendant la marée. Ces endroits, on les défend bec et ongles.
Alors si vous passez près de Saint-Aubin-sur-Gaillon, faites un crochet. Prenez un café, une part de tarte, discutez cinq minutes. Vous participerez, à votre échelle, à ce que ce bistrot reste ouvert encore quarante-quatre ans. Voire plus.
Parce qu’un village sans café, c’est un peu comme une maison sans cuisine : on y dort, mais on n’y vit plus vraiment.
(Article rédigé après avoir bu un excellent café au Bistrot du clocher – oui, j’y suis allé exprès. Et non, je n’ai pas regretté le détour.)
