Il est des nouvelles qu’on préférerait ne jamais lire. Vers trois heures du matin, dans une rue de Grenoble que beaucoup connaissent pour de mauvaises raisons, un enfant de douze ans s’est effondré sous les balles. Trois projectiles l’ont atteint. Le dos, les jambes. Arrêt cardiorespiratoire. Réanimé sur place, puis emmené en urgence au CHU. Ce lundi, il est toujours dans le coma. Et son pronostic vital reste engagé.
Comment en est-on arrivé là ? Comment un gosse, qui devrait être en train de jouer à la console ou de râler pour aller au collège, se retrouve au cœur d’une tentative d’assassinat ? La réponse, malheureusement, tient en quelques mots devenus trop familiers : narcotrafic et règlement de compte.
Grenoble, une ville sous tension permanente
Ce n’est pas la première fois que la préfecture de l’Isère fait la une pour des fusillades. Loin de là. Ces dernières années, certaines zones de la ville – et particulièrement le quartier Chorier-Berriat, avec la célèbre place Saint-Bruno – ressemblent parfois à un terrain de guerre entre bandes rivales. Les points de deal s’y succèdent, les guetteurs y pullulent, et les armes parlent quand les mots ne suffisent plus.
En 2024 déjà, plusieurs échanges de tirs avaient marqué les esprits. Les riverains, eux, vivent avec cette menace au quotidien. Une étudiante du quartier, réveillée par les détonations cette nuit-là, a confié avoir entendu cinq coups de feu distincts, puis des cris : « Non, arrêtez, arrêtez ! » avant un silence de plomb. Le genre de silence qui pèse plus lourd que tout.
Que s’est-il passé exactement cette nuit-là ?
Les faits sont simples, brutaux. Rue du Drac, croisement avec la rue Boucher de Perthes. Un secteur connu, très connu même, des forces de l’ordre. Un véhicule s’approche, des tirs éclatent, neuf douilles sont retrouvées au sol. Le ou les tireurs repartent aussi vite qu’ils sont arrivés. Le gamin reste là, inerte.
Les pompiers et le SAMU le trouvent en arrêt cardiorespiratoire. Ils parviennent à le ramener, le stabilisent tant bien que mal, puis filent vers l’hôpital. Depuis, c’est l’attente. L’attente insoutenable de savoir si ce petit corps va tenir le choc.
« J’ai juste entendu cinq coups. Et quelqu’un criait Non, arrêtez, arrêtez !, et après plus rien… »
Témoignage d’une riveraine recueilli sur place
Qui est cette victime beaucoup trop jeune ?
Officiellement, son identité n’est même pas encore certaine à 100 %. On parle d’un adolescent né fin 2011 en Algérie, donc presque 14 ans aujourd’hui. Mais il a donné plusieurs noms, plusieurs dates de naissance, plusieurs nationalités au fil des procédures. Un parcours déjà chaotique.
Ce qu’on sait, en revanche, c’est qu’il était connu des services policiers. Et pas pour des bêtises de gamin. Trafic de stupéfiants, ici à Grenoble, mais aussi en région parisienne. Placés en foyer, il fuguait systématiquement. Retrouvé sur des points de deal, avec de la résine, de la cocaïne, de l’argent liquide.
Il devait d’ailleurs comparaitre devant le juge des enfants début décembre pour une affaire récente : 75 grammes de cannabis et 25 grammes de cocaïne saisis lors d’un contrôle sur le secteur Saint-Bruno. À douze ans. Douze.
Un individu se présentant comme son grand frère s’est rendu à l’hôpital. Lui aussi connu sous plusieurs identités, lui aussi dans le viseur de la justice pour des faits similaires. La boucle est bouclée, ou presque.
Une piste claire : le règlement de compte
L’enquête a été confiée à la division spécialisée dans la criminalité organisée. Ce n’est pas anodin. À ce stade, aucune piste n’est écartée, mais tout pointe vers un acte ciblé. Le gosse n’était pas là par hasard. Il travaillait, ou du moins gravissait les échelons, dans le milieu du deal. Et dans ce milieu-là, les erreurs se payent cash.
Si cette hypothèse se confirme – et tout laisse penser que oui –, cet enfant deviendra l’une des victimes les plus jeunes jamais prises pour cible dans un règlement de compte lié au narcobanditisme en France. Un triste record dont on se serait bien passé.
- Des mineurs de plus en plus impliqués dans le trafic
- Des armes de plus en plus accessibles
- Des zones de deal qui se multiplient
- Des rivalités qui s’exacerbent
- Et maintenant, des gamins qui tombent sous les balles
On a franchi un cap. Et pas le bon.
Les mineurs, nouvelle chair à canon du narcotrafic
Ce n’est pas un phénomène nouveau, mais il prend une ampleur terrifiante. Les réseaux n’hésitent plus à recruter très jeune. Pourquoi ? Parce que les peines sont moindres. Parce que les gamins sont malléables, discrets, et qu’ils coûtent moins cher. Certains n’ont même pas treize ans et déjà ils tiennent des guettes ou transportent la marchandise.
À Grenoble comme ailleurs – Marseille, Lyon, certaines banlieues parisiennes –, on voit arriver des MNA (mineurs non accompagnés) qui, faute de prise en charge suffisante, se retrouvent rapidement happés par ces réseaux. Un foyer, une fugue, un contact, et c’est parti. Le cercle vicieux.
Et quand il y a de l’argent en jeu, des territoires à défendre, la violence suit. Inévitablement. Sauf que là, on ne parle plus de jeunes adultes armés jusqu’aux dents. On parle d’un gosse qui n’a même pas encore mué.
Que fait l’État face à cette dérive ?
La question brûle les lèvres. On entend régulièrement des annonces : renforts policiers, opérations coup de poing, démantèlements de réseaux. Oui, il y a des résultats. Mais force est de constater que ça ne suffit pas. Les points de deal se déplacent, se reconstituent ailleurs. Les armes circulent toujours. Et les gamins continuent de tomber dedans.
Il y a un vrai sujet sur la prise en charge des mineurs isolés. Un vrai sujet sur la prévention. Un vrai sujet sur la répression aussi, bien sûr, mais pas seulement. Parce que quand un enfant de douze ans se retrouve avec trois balles dans le corps à cause de la came, c’est toute la chaîne qui a failli quelque part.
On ne peut plus se contenter de dire « c’est choquant » et passer à autre chose. Il faut agir, vite et fort.
Ce gamin, aujourd’hui entre la vie et la mort, est le symptôme d’une maladie bien plus profonde. Une maladie qu’on laisse gangrener certains quartiers depuis trop longtemps.
Et maintenant ?
Les enquêteurs vont éplucher les vidéosurveillances, les téléphones, les témoignages. Ils finiront probablement par identifier les tireurs. Peut-être même les arrêter. Mais après ? Un autre gamin prendra la place. Un autre point de deal ouvrira. Une autre fusillade éclatera.
Tant qu’on n’aura pas coupé l’arrivée d’argent facile et l’impunité relative dont bénéficient certains réseaux, la spirale continuera. Et d’autres enfants paieront le prix fort.
Ce matin, dans une chambre du CHU de Grenoble, un gosse de douze ans se bat pour respirer. Et quelque part, dans la ville, d’autres gamins du même âge sont déjà en train de prendre la relève sur les points de deal. C’est ça, la réalité. Douloureuse, brutale, insupportable.
Il est temps que ça change. Vraiment.
(Article mis à jour le 17 novembre 2025 – suivi en continu si évolution de l’état de santé de la victime)
