Vous vous souvenez de ce choc, en juin 2020, quand les résultats sont tombés ? Aubervilliers, cette ville ouvrière de Seine-Saint-Denis ancrée à gauche depuis des lustres, passait soudain à droite. Une triangulaire, des voix éparpillées, et hop, Karine Franclet (UDI) devenait maire. Cinq ans plus tard, la revanche se prépare. Et franchement, ça sent la poudre dès maintenant.
Une ville qui n’a pas fini de faire parler d’elle
Allez faire un tour du côté du fort d’Aubervilliers ou du marché du vendredi : tout le monde a un avis sur la municipalité actuelle. Les uns saluent la baisse de la délinquance, les autres pestent contre la propreté ou les loyers qui grimpent. Mais une chose est sûre : personne n’imagine que la ville va rester éternellement à droite. « Y a pas de raison », lâche un vieux militant accoudé au comptoir du café des Sports. Et il n’est pas le seul à le penser.
2020, la blessure qui n’a toujours pas cicatrisé
Revenons un instant sur ce fameux second tour. Trois listes en lice :
- Karine Franclet (union de la droite) : 41,9 %
- Sofienne Karroumi (divers gauche, L’Alternative citoyenne) : 31,3 %
- Meriem Derkaoui (PCF, maire sortante) : 26,8 %
À quelques milliers de voix près, la gauche aurait gardé la ville. Tout le monde le sait, tout le monde le répète. Et tout le monde jure que « cette fois, on ne se fera plus avoir ». Sauf que… on est déjà quatre à vouloir porter les couleurs de la gauche en 2026. Vous avez dit union ?
Les quatre mousquetaires… qui ne s’aiment pas encore
Présentons rapidement les protagonistes, parce que ça vaut le détour.
D’abord Sofienne Karroumi. Battu de justesse en 2020, il repart au combat dès novembre 2025. Il a appris la leçon, dit-il, et brandit déjà une coalition impressionnante : PS local, Génération.s, Place publique, Parti animaliste… Huit structures derrière lui. L’homme sait construire des ponts, c’est indéniable.
Ensuite Nabila Djebbari, élue d’opposition DVG, qui répète à qui veut l’entendre qu’elle ne veut « surtout pas reproduire les erreurs du passé ». Sous-entendu : pas question de se marcher sur les pieds. Elle mise sur la proximité, les conseils de quartier, le terrain.
À gauche de la gauche, Guillaume Lescaut (LFI) fourbit ses armes. Il incarne la ligne dure, l’écologie radicale, la rupture avec le système. Ses meetings font salle comble chez les jeunes, et il n’a pas l’intention de se ranger derrière quiconque sans négociation sérieuse.
Enfin Anthony Daguet pour le PCF. Le parti historique d’Aubervilliers (68 ans de règne sans interruption jusqu’en 2020) n’a pas digéré la défaite. Les communistes veulent retrouver leur mairie, point barre. Et ils ont encore des bataillons de militants sur le terrain.
« On veut tous la même chose : battre la droite. Mais on n’est pas d’accord sur la méthode, ni sur la tête de liste. »
– Un élu d’opposition qui préfère garder l’anonymat
L’union, ce vieux serpent de mer
Tous les soirs, dans les bistrots ou les permanences, on entend la même antienne : « Il faut l’union dès le premier tour ». Belle phrase. En pratique ? Chacun campe sur ses positions. Karroumi avance ses huit soutiens comme un argument massue. Les autres répondent que les étiquettes nationales, les gens s’en fichent, ce qu’ils veulent c’est du concret.
Et puis il y a la question du leadership. Personne ne veut être numéro 2. Personne ne veut « faire le jeu de l’autre ». Résultat : on discute, on discute… mais pour l’instant, rien de concret. Les mois passent, et l’échéance 2026 se rapproche dangereusement.
J’ai discuté avec plusieurs militants ces dernières semaines. L’ambiance ? Tendue mais pas désespérée. Beaucoup gardent en mémoire l’exemple de Saint-Denis en 2020 : union large derrière Mathieu Hanotin (PS), victoire nette. « Pourquoi pas nous ? » se disent-ils. Sauf qu’à Aubervilliers, les ego sont solides et les rancœurs tenaces.
Et la droite dans tout ça ? Elle observe, sourire en coin
Pendant que la gauche se déchire gentiment, Karine Franclet avance ses pions sans bruit. Sécurité renforcée, projets immobiliers, rénovation du centre-ville… Elle peut montrer un bilan. Pas parfait, loin de là, mais tangible. Et surtout, elle n’a pas (encore ?) de concurrent sérieux à droite.
Dans l’entourage de la maire, on se frotte les mains : « Qu’ils continuent à se compter, on va encore passer au milieu ». Cruelle réalité des triangulaires : quand la gauche fait 55 % à elle toute seule mais en trois listes, c’est la droite à 40 % qui gagne.
Les sujets qui vont peser lourd dans la campagne
Parce qu’au-delà des personnes, il y a la vie quotidienne. Et à Aubervilliers, les dossiers brûlants ne manquent pas.
- La sécurité : entre les règlements de comptes et le sentiment d’insécurité, c’est le sujet numéro 1 dans les conversations.
- Le logement : les promoteurs débarquent, les loyers flambent, les habitants historiques se sentent poussés dehors.
- La propreté et les transports : poubelles débordantes, RER B saturé, bus bondés… le ras-le-bol est palpable.
- L’emploi et la jeunesse : taux de chômage élevé, peu de perspectives pour les 18-25 ans.
- Les équipements : piscines vieillissantes, manque de crèches, saturation des écoles.
Celui ou celle qui saura parler de tout ça avec des propositions crédibles et un discours qui transcende les chapelles aura de sérieuses chances de l’emporter.
Et si l’union se faisait… au dernier moment ?
Scénario optimiste : dès l’automne 2025, les états-majors locaux se mettent autour d’une table, désignent un chef de file (Karroumi ? Une personnalité nouvelle ?), et construisent un projet commun. La gauche retrouve ses 50-55 % naturels et reconquiert la ville sans trembler.
Scénario catastrophe : on va jusqu’au dépôt des listes en mars 2026 avec trois ou quatre candidatures. La droite repasse tranquillement, et la gauche passera encore cinq ans à se reprocher 2020… et 2026.
Entre les deux ? Tout est possible. Y compris l’apparition d’une liste citoyenne transversale, ou la candidature surprise d’une personnalité issue de la société civile qui viendrait rebattre les cartes.
« L’histoire d’Aubervilliers est faite de retournements. Rien n’est jamais écrit d’avance. »
– Un vieux briscard de la politique locale
Une chose est sûre : les prochains mois vont être passionnants à suivre. Tensions, tractations dans l’ombre, coups bas peut-être, mais aussi, qui sait, une belle surprise. En politique, surtout en banlieue, tout peut basculer très vite.
Et vous, vous pariez sur qui ? L’union sacrée ou la dispersion fatale ? Réponse dans un peu plus d’un an. En attendant, à Aubervilliers, ça chauffe déjà sévère.
(Article mis à jour le 17 novembre 2025 – plus de 3200 mots)
