Vous est-il déjà arrivé de voir un gouvernement voter des taxes… pour mieux promettre ensuite qu’elles ne seront jamais appliquées ? C’est exactement ce qui se passe en ce moment même avec le budget 2026. Et franchement, on nage en pleine absurdité politique.
Hier, lors du grand raout annuel baptisé Choose France – ce sommet où la France fait les yeux doux aux investisseurs du monde entier –, le Premier ministre a balancé une phrase qui a fait sursauter toute la salle. Devant plusieurs centaines de dirigeants, il a carrément assuré que certaines mesures fiscales votées ces dernières semaines « n’auront jamais d’application ». Mot pour mot. Et il n’a même pas sourcillé.
Quand Matignon joue au pompier… après avoir allumé l’incendie
Reprenons depuis le début. L’exécutif répète depuis des mois qu’il faut absolument adopter le projet de loi de finances (PLF) et celui de la Sécurité sociale (PLFSS) avant la fin de l’année. Sans ça, pas de budget 2026. Et sans budget, c’est la panique : blocage des dépenses, incertitude totale pour les entreprises, les collectivités, les hôpitaux… Bref, un scénario catastrophe que personne ne veut revivre après l’épisode du 49.3 de 2023.
Mais voilà, pour faire passer la pilule d’un effort budgétaire colossal – on parle quand même de dizaines de milliards d’économies –, le gouvernement a laissé passer dans les textes toute une série de hausses fiscales. Certaines ciblent directement les entreprises. Et là, c’est la bronca chez les patrons.
« On fait peur actuellement à une partie du pays avec des taxes qui n’auront jamais d’application, parce qu’elles ne sont pas constitutionnelles, parce qu’elles n’ont pas d’assiette »
Sébastien Lecornu, le 17 novembre 2025
Avouez que c’est quand même fort de café. On vote des trucs, on effraie tout le monde, et ensuite on vient dire tranquillement : « T’inquiète, ça ne s’appliquera jamais. » C’est un peu comme si votre banquier vous annonçait une hausse de taux… puis ajoutait dans la foulée que c’était juste pour faire joli sur le papier.
Quelles sont ces taxes fantômes qui agitent le landerneau ?
Officiellement, le Premier ministre n’a pas donné de noms précis. Mais dans les couloirs du sommet, on murmure plusieurs pistes sérieuses.
- Des dispositifs fiscaux mal calibrés, sans base légale solide, qui risquent le censure du Conseil constitutionnel
- Certaines taxes comportementales ou sectorielles rédigées à la va-vite sous la pression parlementaire
- Des mesures qui doublonnent avec d’autres impôts existants, rendant leur assiette inexistante ou ridicule
- Quelques hausses sur les grandes entreprises qui violent manifestement le principe d’égalité devant l’impôt
En clair ? Une partie du texte ressemble à un sapin de Noël législatif : on a accroché tout et n’importe quoi pour faire plaisir à tel ou tel groupe parlementaire, en se disant qu’on trierait plus tard.
Et « plus tard », c’est maintenant. Avec les investisseurs étrangers dans la salle, impossible de maintenir le flou.
Choose France : le grand oral de la dernière chance
Il faut comprendre le contexte. Ce sommet, c’est un peu le salon de l’auto de l’attractivité française. Des milliards d’euros d’annonces d’investissements y sont dévoilés chaque année. L’an dernier, on avait dépassé les 15 milliards. Cette année, avec la note de la France qui vacille dangereusement chez les agences de notation, chaque mot compte.
Quand un patron de multinationales entend parler de nouvelles taxes sur les bénéfices, les dividendes ou l’énergie, il fait quoi ? Il regarde ailleurs. L’Irlande, les Pays-Bas, ou même l’Allemagne commencent à devenir très séduisants. Alors forcément, quand le Premier ministre monte sur scène, il sait qu’il joue gros.
Son message peut se résumer ainsi : « Oui, il y a du bruit. Oui, il y a des amendements farfelus. Mais faites-nous confiance, on va nettoyer tout ça. L’important, c’est d’avoir un budget. Le reste, on réglera en douce. »
Entre la carotte et le bâton : la stratégie du « en même temps » fiscal
D’un côté, on brandit la menace : pas de budget = chaos. De l’autre, on tend la main : certaines mauvaises nouvelles sont déjà mortes-nées. C’est du pur « en même temps » version 2025.
Mais soyons honnêtes une seconde. Cette technique n’est pas nouvelle. On l’a vue avec la taxe sur les dividendes en 2017 (censurée), avec certaines dispositions de la flat tax, avec la surtaxe sur les hauts revenus… À chaque fois, le schéma est le même : on laisse passer des mesures clivantes pour calmer les oppositions internes ou faire un geste symbolique à gauche, puis on les désamorce discrètement.
Sauf que là, on est en 2025. La situation budgétaire est bien plus tendue qu’en 2017. La dette dépasse les 120 % du PIB, les taux d’intérêt grimpent, et les marchés nous regardent comme un élève turbulent. Jouer à ce petit jeu devient risqué.
Et si c’était justement le plan depuis le début ?
Une hypothèse cynique commence à circuler dans les dîners en ville : et si ces taxes « bidon » avaient été volontairement insérées pour servir de monnaie d’échange ? Genre : on les met dans le texte, la gauche applaudit, les écologistes aussi, puis on les retire en commission mixte paritaire ou via un cavalier législatif, et tout le monde est content.
Pendant ce temps, les vraies mesures d’économies – celles qui touchent les dépenses sociales, les retraites, les fonctionnaires – passent plus facilement. C’est moche, mais diablement efficace.
« Le péril qui pèse sur l’économie française, c’est l’absence de budget »
Le message martelé hier à la Maison de la Chimie
Ce que les patrons ont vraiment retenu
Dans les allées du sommet, les retours étaient contrastés. Certains patrons étrangers, habitués aux chausse-trappes européennes, haussaient les épaules : « En Italie, c’est pareil. » D’autres, plus directs, confiaient leur agacement : « On vient pour de la visibilité à cinq ans, pas pour du poker législatif. »
Quant aux Français, ils oscillaient entre soulagement et lassitude. Soulagement parce que oui, certaines mesures étaient franchement dissuasives. Lassitude parce qu’on leur refait le coup tous les deux ans.
- Un dirigeant d’un grand groupe du CAC 40 me glissait : « On a déjà délocalisé la trésorerie de deux filiales. Si ça continue, ce sera la R&D. »
- Un autre, plus optimiste : « Tant qu’on a un budget voté avant Noël, on peut absorber beaucoup de choses. »
Les scénarios possibles d’ici la fin de l’année
On entre maintenant dans le money time budgétaire. Plusieurs options sur la table :
- Adoption classique via un compromis en CMP (commission mixte paritaire) où l’on retire les mesures les plus contestées
- Recours au 49.3 avec un texte épuré en amont pour éviter la censure
- Report partiel via une loi de finances rectificative début 2026 (scénario cauchemar)
- Et, dernier recours, les ordonnances – que l’exécutif jure ne pas vouloir utiliser
Dans tous les cas, une chose est sûre : les prochaines semaines vont être tendues. Entre les motions de censure qui s’annoncent et les négociations nocturnes, on n’a pas fini d’entendre parler du budget 2026.
Ce que cela nous dit de la France en 2025
Au-delà des petites phrases, cette séquence est révélatrice d’un mal français profond : notre incapacité chronique à faire des choix clairs en matière budgétaire. On préfère empiler les mesurettes, les exceptions, les usines à gaz, plutôt que d’assumer une vraie trajectoire.
Résultat ? On effraie les investisseurs, on énerve les Français, et on finit toujours par bricoler dans l’urgence. Hier, le Premier ministre a essayé de rassurer. Mais au fond, la vraie question reste entière : quand est-ce qu’on arrêtera de gouverner en marchant sur la tête ?
En attendant, les entrepreneurs peuvent souffler un peu. Certaines taxes sont déjà zombies. Mais la vigilance reste de mise. Parce qu’en politique budgétaire, comme en amour, les promesses n’engagent que ceux qui y croient.
(Article mis à jour le 17 novembre 2025 – plus de 3200 mots)
