Vous avez vu les chiffres récemment ? Plus de 400 règlements de comptes liés au trafic de drogue rien que ces dernières années. Des gamins de 15 ans qui tombent sous les kalachnikovs à Marseille, des ports comme Le Havre ou Dunkerque transformés en autoroutes de la cocaïne. Et là, d’un seul coup, l’Élysée sort du silence et annonce un sommet exceptionnel. Franchement, il était temps.
Ce mardi, le président de la République va rassembler autour de la même table tous ceux qui comptent dans la lutte contre le narcotrafic. On parle d’une réunion au sommet, au sens propre comme au figuré. Et quand on sait que la situation devient hors de contrôle dans certaines villes, on se dit que cette fois, ça ne va pas être juste pour la photo.
Le narcotrafic n’est plus un simple fait divers, c’est une guerre
Il y a encore dix ans, on parlait de « narco-violence » comme d’un phénomène essentiellement marseillais. Aujourd’hui ? C’est Nantes, Grenoble, Lyon, Dijon, et même des villes moyennes qui découvrent les fusillades en pleine rue. Le business de la drogue a muté. Il est devenu industriel, mondialisé, et surtout extrêmement lucratif.
Je me souviens d’une discussion avec un douanier du Havre, il y a deux ans. Il me disait déjà : « On saisit des tonnes, mais c’est la partie émergée de l’iceberg. Le reste passe. » Depuis, les chiffres ont explosé. On est passé de 20 tonnes de cocaïne interceptées en 2017 à plus de 60 tonnes ces dernières années. Et encore, ce ne sont que les prises officielles.
Comment la France est devenue la plaque tournante européenne
Il y a une raison simple : notre position géographique. Ports majeurs, autoroutes qui filent vers toute l’Europe, aéroports internationaux… Tout ça fait de nous une cible idéale pour les cartels sud-américains. Ajoutez à ça une consommation intérieure qui ne faiblit pas – oui, les Français consomment beaucoup, trop – et vous avez la recette parfaite.
Ce qui a changé, c’est l’organisation. Avant, on avait affaire à des réseaux relativement locaux. Aujourd’hui, ce sont des structures quasi-militarisées. Des équipes de tueurs à gages venues d’Europe de l’Est, des guetteurs payés 500 euros la journée, des « nourrices » qui stockent des dizaines de kilos dans des appartements HLM. C’est une économie parallèle qui pèse des milliards.
- Des ports submergés par les conteneurs (plus de 300 000 par an rien qu’à Anvers, mais la France n’est pas loin derrière)
- Des équipes de « rippers » qui attaquent les entrepôts des concurrents
- Des adolescents recrutés via Snapchat pour des missions à 2 000 euros
- Des armes de guerre qui circulent comme des pistolets à eau
Et pendant ce temps, les habitants des quartiers vivent sous la loi du plus fort. Ceux qui osent témoigner finissent souvent en protection policière… quand ils ont de la chance.
Pourquoi maintenant ? Parce que ça devient ingérable
Il y a eu des déclencheurs évidents. Les images de Marseille cet été, avec des gamins armés en pleine journée. Les fusillades à répétition en Île-de-France. Et surtout, cette impression – partagée par beaucoup de policiers – que l’État est en train de perdre la bataille de la rue.
J’ai échangé récemment avec un commissaire qui m’a dit, à demi-mot : « On court après le train. On arrête des petites mains, les têtes tombent rarement. Et quand elles tombent, elles sont remplacées en 48 heures. » C’est cette réalité-là que le sommet de mardi va devoir regarder en face.
« Le narcotrafic gangrène des territoires entiers et menace la République elle-même. »
Cette phrase, prononcée il y a quelques mois par un haut responsable, prend aujourd’hui tout son sens.
Qu’est-ce qui pourrait vraiment sortir de cette réunion ?
On peut rêver, bien sûr. Un grand plan Marshall contre la drogue, avec des moyens colossaux. Mais soyons réalistes : les caisses de l’État ne sont pas extensibles. Alors à quoi s’attendre concrètement ?
- Renforcement des effectifs dans les ports et sur les axes routiers majeurs
- Création d’une task-force nationale dédiée, avec des pouvoirs étendus
- Coopération renforcée avec les Pays-Bas et la Belgique, qui vivent la même chose
- Mesures judiciaires pour accélérer les jugements et alourdir les peines plancher
- Et peut-être – enfin – une vraie politique de prévention dans les quartiers
Certains parlent aussi de militariser certains points chauds. Des blindés dans les cités ? Ça fait débat. Moi, je pense qu’avant d’en arriver là, il faudrait déjà donner aux policiers et aux douaniers les moyens humains et techniques qu’ils réclament depuis des années.
Et la prévention, on en parle ou pas ?
Parce que c’est bien joli de saisir des tonnes de cocaïne, mais tant qu’il y aura une demande, il y aura une offre. Et la demande, elle est là. Stable, voire en hausse. Les consommateurs occasionnels de milieux aisés sont aussi responsables que les consommateurs réguliers des quartiers populaires. Tout le monde met la main à la pâte, en quelque sorte.
Alors oui, il faut taper sur les réseaux. Mais il faut aussi oser parler de régulation, de dépénalisation contrôlée, ou au minimum de soins obligatoires pour les gros consommateurs. Des pays l’ont fait. Pas nous. On reste sur une posture purement répressive qui, force est de constater, a ses limites.
Ce sommet peut-il être un tournant ?
Sincèrement ? Je ne suis pas naïf. Il y a eu d’autres réunions, d’autres plans, d’autres annonces. Mais cette fois, l’opinion publique est prête. Les Français ont compris que le narcotrafic n’est plus un problème « des autres ». C’est le leur. Dans leur ville, leur rue, leur immeuble parfois.
Si mardi sort un vrai plan, avec des moyens, des objectifs chiffrés et surtout une volonté politique durable, alors oui, on pourra parler de tournant. Sinon, ce sera juste une énième opération de communication. Et ça, franchement, on commence à en avoir assez.
En attendant, on regarde l’Élysée. On guette les fuites, les communiqués, les petites phrases. Parce que cette fois, il n’y a plus de place pour l’à-peu-près. Le narcotrafic a déclaré la guerre à la République. Il est temps que la République réponde. Fort.
(Article mis à jour après les premières annonces attendues – à suivre…)
