Il y a des nouvelles qui vous tombent dessus comme une évidence tranquille, presque douce, et qui pourtant vous serrent le cœur. Vendredi 14 novembre, André Aubry s’en est allé. À 94 ans, l’ancien maire communiste d’Antony, dans les Hauts-de-Seine, a tiré sa révérence. Et avec lui, c’est toute une page de l’histoire locale, mais aussi nationale, qui se tourne doucement.
Je me souviens encore, quand j’étais gamin et que je passais devant la mairie, on parlait parfois de « l’époque Aubry ». On disait ça avec une pointe de nostalgie, même chez ceux qui n’avaient pas voté pour lui. Parce qu’il était de ces élus qui laissaient une trace, pas seulement dans les archives municipales, mais dans le quotidien des gens.
Un parcours commencé dans le feu de 68
Imaginez un peu la scène. Juin 1968. La France sort à peine des barricades, des usines occupées, des rêves fous de changer le monde. Et voilà qu’un jeune homme de 38 ans, professeur de lettres, devient le plus jeune sénateur de la Ve République. André Aubry entre au Palais du Luxembourg porté par la vague rose-rouge de l’après-Mai. C’est dire si le bonhomme n’a jamais eu peur des tempêtes.
Dix ans plus tard, en 1977, il prend la mairie d’Antony. Une ville de banlieue chic, plutôt conservatrice, qui bascule à gauche. Ça n’a pas été simple tous les jours, mais il tiendra six ans, jusqu’en 1983. Six années intenses où il va imprimer sa marque, avec cette conviction tranquille des communistes de l’époque : la politique, c’est d’abord améliorer la vie des gens.
Le logement social, une priorité absolue
À l’époque, Antony n’était pas encore la ville dortoir huppée qu’on connaît aujourd’hui. Il y avait des besoins criants. André Aubry s’est battu pour développer massivement le logement social. Des barres, des tours, oui, mais aussi des résidences humaines, intégrées. Beaucoup d’habitants lui doivent encore leur toit.
Je discutais il y a quelques années avec un ancien adjoint qui me disait : « André, il passait des nuits entières à négocier avec les promoteurs. Il ne lâchait rien. » C’était ça, son style. Pas de grands discours flamboyants, mais une ténacité de bulldozer.
Des équipements qui ont changé la ville
- Le centre de loisirs Paul Roze (même s’il est fermé aujourd’hui, des générations s’en souviennent)
- Le collège Anne-Franck, conçu avec un certain Jean Nouvel – oui, le Jean Nouvel – alors jeune architecte
- Le cinéma Le Select, véritable institution culturelle
- La rénovation du théâtre Firmin-Gémier
- Le centre de vacances à Samoëns, dans les Alpes, où des milliers d’enfants d’Antony ont découvert la montagne
Ces réalisations, on les voit encore. Elles font partie du paysage. Et quand on sait que derrière chaque pierre, chaque projet, il y avait des batailles budgétaires, des conseils municipaux houleux, on mesure mieux le travail accompli.
« Il a laissé à ses concitoyens le souvenir d’un homme d’une grande ouverture d’esprit, proche des habitants, soucieux de la qualité de la gestion des agents municipaux, dont il était proche. »
Ancienne élue écologiste ayant siégé dans l’opposition
Même venant de quelqu’un qui n’était pas dans son camp, l’hommage est sincère. Ça en dit long.
Un communiste qui savait parler à tout le monde
Ce qui frappait chez André Aubry, c’était cette capacité à ne jamais se couper des gens. Ouvrier, enseignant, élu, il gardait un langage simple, direct. Il n’avait pas besoin de jouer les tribuns pour se faire entendre. Il était là, sur le marché, dans les conseils de quartier, à écouter les doléances des agents municipaux.
Dans les Hauts-de-Seine, département plutôt à droite, être communiste et maire, c’était déjà un exploit. Être respecté, même par ses adversaires, c’était une forme de talent.
Les hommages qui pleuvent, au-delà des clivages
Dès l’annonce de sa disparition, les messages ont afflué. Du maire PCF de Gennevilliers qui parle d’un « lutteur » et d’une « belle personnalité ». Du sénateur Pierre Ouzoulias qui salue « un homme de tous les combats et présent sur tous les fronts ». Même des élus de sensibilités différentes reconnaissent la perte.
Preuve que certains parcours transcendent les étiquettes. On peut être farouchement de gauche, porter haut les couleurs du Parti, et rester un homme estimé par tous. C’est rare. C’est précieux.
Que reste-t-il d’André Aubry à Antony en 2025 ?
La ville a bien changé. Les loyers flambent, les promoteurs construisent des résidences de standing, la population s’est embourgeoisée. Le PCF local n’est plus ce qu’il était. Et pourtant… quand on marche dans certaines rues, quand on passe devant le Select ou le collège Anne-Franck, on sent encore son empreinte.
Il y a des maires qui laissent des ronds-points ou des parkings à leur nom. André Aubry, lui, a laissé des lieux de vie. Des équipements qui ont permis à des milliers d’enfants de partir en colo, de voir leur premier film au cinéma, d’étudier dans un collège lumineux conçu par un futur starchitecte.
Dans un monde où tout va vite, où les élus changent tous les six ans et où on oublie vite, c’est une forme d’éternité tranquille.
Un rassemblement et des obsèques sobres
Ce jeudi soir, juste avant le conseil municipal, un hommage lui sera rendu à la mairie. Samedi matin, à 10h15, les obsèques auront lieu au cimetière d’Antony. Rien de clinquant. Sobre, républicain, comme il l’aurait voulu.
Beaucoup viendront, j’en suis sûr. Des anciens camarades, des habitants qui l’ont connu, des élus actuels qui, même s’ils ne partagent pas ses idées, savent ce qu’ils lui doivent.
Et puis il y aura ceux, comme moi, qui n’ont pas voté pour lui, qui n’ont même pas été contemporains de son mandat, mais qui, simplement, reconnaissent qu’un homme honnête et engagé vient de partir.
Repose en paix, monsieur le maire.
PS : Si vous avez connu André Aubry, si vous avez une anecdote, une photo, un souvenir, n’hésitez pas à le partager en commentaire. Ces histoires-là méritent de ne pas tomber dans l’oubli.
