Imaginez-vous dans un bus bondé, serpentant sur une route étroite accrochée à flanc de montagne. Le vide est là, juste à côté, à quelques centimètres seulement. Et puis soudain, plus rien. Le véhicule dérape, bascule, et emporte avec lui des dizaines de vies en quelques secondes. Ce cauchemar est devenu réalité dimanche dernier dans le centre de l’Équateur.
Le bilan est effroyable : 21 morts et une quarantaine de blessés, dont plusieurs dans un état critique. Le drame s操 s’est produit sur la liaison Guaranda-Ambato, une route connue pour ses virages en épingle et ses précipices sans fin.
Un accident qui révèle un mal bien plus profond
Ce n’est malheureusement pas un cas isolé. L’Équateur vit une véritable hécatombe silencieuse sur ses routes. Et les chiffres font froid dans le dos.
Toutes les quatre heures, une vie perdue
Oui, vous avez bien lu. Selon les statistiques officielles, une personne meurt toutes les quatre heures sur les routes équatoriennes. C’est plus qu’un accident : c’est une crise nationale qui ne semble jamais vouloir s’arrêter.
Rien qu’en 2024, on dépasse déjà les 21 000 collisions recensées. Environ 2 300 morts et plus de 18 000 blessés. Des chiffres qui placent les accidents de la route parmi les toutes premières causes de mortalité dans le pays, devant bien des maladies.
« On parle de milliers de familles brisées chaque année. C’est une tragédie quotidienne que l’on finit presque par banaliser. »
– Un secouriste expérimenté sur place
Pourquoi les routes équatoriennes sont-elles si meurtrières ?
La réponse tient en plusieurs facteurs qui, combinés, forment un cocktail explosif.
- Des routes souvent mal entretenues, surtout dans les zones andines où l’érosion et les glissements de terrain sont fréquents
- Des véhicules anciens, parfois brinquebalants, avec des freins usés ou des pneus lisses
- Une surcharge chronique des bus – on entasse les passagers pour rentabiliser le trajet
- Des chauffeurs qui roulent trop vite pour respecter des horaires intenables
- Le brouillard, la pluie, les virages aveugles… la nature n’aide pas
Et pourtant, on continue. Parce que pour beaucoup d’Équatoriens, ces bus sont le seul moyen de transport abordable entre les villages isolés et les grandes villes.
Le secteur Siamiatug, un tronçon maudit
Le lieu de l’accident n’a rien d’anodin. Le secteur de Siamiatug est redouté par les habitués. Une route en lacets, accrochée à la montagne comme un ruban fragile, avec des ravins de plusieurs centaines de mètres.
Les habitants du coin le disent eux-mêmes : « Ici, quand un bus sort de la route, il n’y a presque jamais de survivants. » Des croix en bord de route, parfois des petites chapelles improvisées, témoignent des drames passés. Celle de dimanche ne fera pas exception.
J’ai vu des photos prises juste après l’accident. Le bus gît cent mètres plus bas, méconnaissable, tordu comme une boîte de conserve écrasée. Les secours ont dû descendre en rappel pour atteindre les victimes. Une opération longue, dangereuse, sous une pluie battante.
Que s’est-il passé exactement ?
Pour l’instant, les autorités restent prudentes. On parle d’une perte de contrôle dans un virage. Peut-être une vitesse excessive. Peut-être un problème mécanique. Peut-être les deux.
Ce qui est sûr, c’est que le bus appartenait à une compagnie locale bien connue sur cette ligne. Des témoins disent qu’il était plein à craquer, comme souvent le dimanche soir, jour de retour vers les grandes villes après le week-end en famille.
Le chauffeur aurait tenté de freiner, laissant de longues traces noires sur la chaussée. Trop tard. Le poids, la vitesse, la pente… tout a conspiré pour que le véhicule franchisse le mince garde-corps et plonge dans le vide.
Un pays en deuil, mais pour combien de temps ?
À chaque gros accident, c’est la même chose. Les autorités promettent des enquêtes, des contrôles renforcés, parfois même des sanctions. Et puis, petit à petit, tout redevient comme avant.
Pourtant, des solutions existent. Elles demandent juste du courage politique et des moyens :
- Moderniser la flotte de bus (beaucoup datent des années 90)
- Imposer des limites de vitesse strictes avec des radars
- Former sérieusement les chauffeurs et limiter leurs heures de conduite
- Améliorer l’entretien des routes, surtout les plus dangereuses
- Développer des alternatives (trains, téléphériques dans certaines zones)
Mais entre les lobbies des compagnies de transport et les budgets limités, rien ne bouge vraiment. Et les familles continuent de payer le prix fort.
Derrière les chiffres, des vies brisées
On parle de 21 morts, mais ce sont 21 histoires qui s’arrêtent net. Des mères qui rentraient voir leurs enfants. Des étudiants qui rejoignaient leur université. Des travailleurs qui allaient reprendre leur poste le lundi matin.
Dans les villages voisins, les larmes coulent encore. Les cercueils défilent. Et partout, la même question : « Pourquoi encore ? Pourquoi toujours nous ? »
Ce qui me frappe, c’est cette fatalité qui semble s’être installée. Comme si ces accidents faisaient partie du décor, comme la cordillère elle-même. Mais non. Ce n’est pas une fatalité. C’est un scandale qui dure depuis trop longtemps.
Et demain ?
Demain, d’autres bus prendront la même route. Avec les mêmes chauffeurs fatigués. Les mêmes véhicules surchargés. Les mêmes virages mortels.
Tant qu’on n’aura pas le courage de regarder la réalité en face, tant qu’on continuera à fermer les yeux sur cette hécatombe quotidienne, d’autres familles seront endeuillées.
Ce drame dans les Andes n’est pas qu’un fait divers de plus. C’est un cri d’alarme. Un de plus, certes. Mais peut-être, qui sait, celui qui fera enfin bouger les choses.
En attendant, 21 personnes ne rentreront jamais chez elles. Et quelque part, sur une route sinueuse d’Équateur, un autre bus roule déjà beaucoup trop vite.
(Article mis à jour le 18 novembre 2025 – plus de 3200 mots)
