Imaginez rentrer chez vous un soir et apprendre que, non seulement votre appartement a brûlé, mais que vous ne pourrez peut-être plus jamais y remettre les pieds avant des années. Pas à cause des flammes, non, celles-ci sont éteintes depuis longtemps. Mais parce que personne ne veut prendre la responsabilité de rétablir le courant. C’est exactement ce que vivent, depuis sept mois maintenant, les habitants d’un petit immeuble de la rue Alexis-Bouvier à Colombes.
Je passais dans le coin l’autre jour et j’ai été frappé par le silence. Un silence lourd, presque irréel devant un bâtiment qui, vu de l’extérieur, semble presque normal. Seules quelques fenêtres noircies trahissent le drame. Et pourtant, derrière ces murs, c’est toute une vie qui est suspendue.
Un incendie banal qui révèle un système à bout de souffle
Le 13 avril dernier, un feu se déclare au deuxième étage. Rien d’exceptionnel en soi : un accident domestique, comme il en arrive malheureusement tous les jours. Les pompiers interviennent rapidement, l’incendie est maîtrisé. On se dit que c’est la tuile, mais que ça va s’arranger. Sauf que non.
Le feu a détruit la colonne montante électrique, cette artère vitale qui alimente tout l’immeuble. Sans elle, pas d’électricité. Sans électricité, pas d’habitabilité. L’immeuble est déclaré inhabitable jusqu’à réparation complète. Et là, c’est le début d’un long tunnel administratif dont personne ne voit le bout.
Enedis au cœur du blocage
La colonne montante, c’est la responsabilité du gestionnaire de réseau, donc Enedis dans la quasi-totalité des cas. Logique. Sauf que sept mois plus tard, aucun technicien n’est venu faire un constat détaillé, aucun devis n’a été établi, aucun chantier n’a commencé. Rien.
« On nous dit que c’est prioritaire, mais on attend toujours. On a l’impression d’être des numéros de dossier, pas des gens qui ont tout perdu. »
– Une copropriétaire excédée
Et le pire, c’est que tout le monde se renvoie la balle. La copropriété dit qu’elle ne peut pas avancer sans l’accord d’Enedis. Enedis répond qu’il faut un accord collectif et un devis validé. Les assurances, elles, attendent que les travaux soient chiffrés pour débloquer les fonds. Résultat : un cercle vicieux qui dure depuis le printemps.
Les familles dispersées aux quatre coins
Pendant ce temps-là, que deviennent les habitants ? Certains ont pu se réfugier chez des proches, d’autres ont pris un Airbnb à leurs frais (quand les assurances acceptent de rembourser), d’autres encore se retrouvent à l’hôtel depuis sept mois. Sept mois.
- Des enfants qui changent d’école tous les deux mois
- Des couples qui vivent séparés faute de place
- Des personnes âgées qui dépérissent à l’hôtel
- Des objets personnels qui moisissent dans des appartements fermés
Et l’odeur, me disent-ils. Cette odeur de brûlé qui s’incruste partout, même dans les vêtements qu’ils ont pu récupérer. « On a tout lavé dix fois, ça part pas », confie une maman en retenant ses larmes.
Un préjudice qui va bien au-delà du matériel
Quand on parle sinistre, on pense souvent aux biens détruits. Mais là, c’est autre chose. C’est une vie entière mise sur pause. Les gens n’ont plus de chez-eux. Ils n’ont plus cette base stable dont on a tous besoin pour tenir debout. Et la colère monte, sourde, contenue, mais bien réelle.
« On a la rage. Vraiment. On paie nos charges, nos impôts, nos assurances… Et quand on a besoin qu’on soit là, personne. »
Et cette colère, elle est légitime. Parce que derrière les discours sur la « résilience » et la « solidarité », il y a une réalité brutale : quand vous êtes sinistré en copropriété, vous tombez dans un vide juridique et administratif effrayant.
Un cas loin d’être isolé
Ce qui arrive à Colombes, je l’ai déjà vu ailleurs. À Marseille, à Lyon, en région parisienne… À chaque fois le même scénario : un incendie détruit la colonne montante, et c’est la galère pendant des mois, parfois des années. Pourquoi ? Parce que la loi est floue sur la propriété de ces colonnes dans les immeubles anciens, parce que les délais d’intervention d’Enedis peuvent atteindre 18 mois dans certains cas, parce que les assurances profitent du flou pour limiter leurs indemnisations.
Et pendant ce temps, les gens paient. Littéralement. Loyer d’un logement temporaire, doubles factures d’électricité, stockage des meubles, perte de valeur de leur bien immobilier… Sans parler du stress, de l’anxiété, des disputes de couple qui explosent sous la pression.
Que faire quand plus personne ne bouge ?
Certains habitants ont décidé de ne plus attendre. Ils envisagent des actions collectives, une mise en demeure, peut-être même une procédure judiciaire. D’autres ont contacté leur député, la mairie, les associations de consommateurs. Mais la lassitude est là. Après sept mois à se battre pour le minimum, l’énergie commence à manquer.
Et pourtant, il suffirait de peu. Qu’Enedis envoie enfin une équipe pour expertiser. Que les assurances anticipent une partie des fonds. Que la copropriété soit accompagnée par un vrai professionnel du sinistre. Mais non. On est en France, et parfois, les choses mettent un temps fou à avancer.
>Et demain ?
Aujourd’hui, l’immeuble est toujours là, silencieux, avec ses fenêtres noircies. Les habitants, eux, continuent de payer pour un logement qu’ils ne peuvent pas occuper. Certains commencent à parler de vendre, même à perte, juste pour tourner la page. D’autres s’accrochent, parce que c’est chez eux, parce qu’ils y ont tout construit.
Moi, ce qui me frappe le plus, c’est cette sensation d’abandon. Comme si, une fois l’incendie éteint et les caméras parties, plus personne ne se sentait concerné. Pourtant, ces gens-là pourraient être vous, moi, n’importe qui.
Un accident, un court-circuit, une étourderie… Et d’un seul coup, plus de maison. Plus de repères. Et un parcours du combattant qui dure des mois, voire des années.
Alors oui, on a la rage. Et on a bien raison.
(Article rédigé à partir de témoignages recueillis sur place et d’informations vérifiées auprès des parties concernées. Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat.)
