Il y a des jours où une ville entière semble retenir son souffle. Aujourd’hui, c’est Marseille. Une poignée de balles tirées en pleine rue il y a cinq jours seulement, et voilà qu’un jeune homme de 22 ans, sans histoire avec la justice, repose dans un cercueil. Mehdi Kessaci n’était pas un nom connu des journaux avant jeudi dernier. Il l’est devenu brutalement, parce qu’il portait le même nom de famille qu’un frère qui gêne beaucoup de monde dans les cités.
Quatre projectiles, tirés à bout portant. Un « message » que tout le monde comprend ici, même ceux qui préfèrent détourner le regard. On n’abat pas quelqu’un au hasard dans le IVe arrondissement en plein après-midi. On signe un avertissement.
Un drame qui dépasse largement la simple affaire criminelle
Quand un frère tombe, c’est toute une famille qu’on vise. Et quand cette famille porte la voix de ceux qui disent stop au trafic, c’est la société tout entière qui prend une claque. J’ai couvert pas mal d’homicides liés au narcobanditisme ces dernières années, mais celui-ci laisse une empreinte différente. Parce que Mehdi, d’après tous ceux qui l’ont connu, était juste un gamin qui bossait, qui rêvait d’une vie normale, loin des kalachs et des go-fast.
Et pourtant, il est mort pour ce que son grand frère représente.
Qui était vraiment Mehdi Kessaci ?
À 22 ans, il travaillait dans la restauration, souriant, poli, le genre de garçon que les mamans du quartier citaient en exemple. Aucun antécédent, aucun lien connu avec le milieu. Son seul « tort » ? Être le petit frère d’Amine Kessaci, figure de la lutte citoyenne contre le narcobanditisme, et surtout le frère d’un autre jeune homme abattu en 2020 dans des circonstances jamais totalement élucidées.
Deux frères tués à cinq ans d’intervalle. Même famille. Même violence froide. Il y a de quoi faire frissonner n’importe qui.
« C’était un bon garçon, toujours respectueux, jamais dans les histoires de drogue. »
– Un voisin du quartier, encore sous le choc
Les obsèques sous haute tension ce mardi
Ce mardi après-midi, la famille a choisi la discrétion. Pas de caméras, pas de journalistes devant la mosquée ou au cimetière. Un souhait respectable quand la douleur est encore à vif. En soirée, un repas sera organisé au siège de l’association Conscience, dans le XIIIe arrondissement, là où Amine Kessaci et les siens tentent depuis des années de redonner espoir aux gamins des quartiers.
Mais discrétion ne veut pas dire absence de moyens. Un important dispositif policier sera déployé autour des lieux de recueillement. On ne prend plus aucun risque. La préfète de police déléguée sera personnellement sur place. Preuve que l’État a bien compris la portée symbolique du moment.
Une marche blanche pour dire stop
Le week-end prochain, la famille appelle à une grande marche blanche. Pas de slogans politiques, pas de récupération. Juste des Marseillais qui marcheront ensemble pour dire que ça suffit. Que tuer le frère de quelqu’un parce qu’il dérange, c’est franchir une ligne rouge que plus personne ne peut accepter.
J’ai vu ces marches-là par le passé. Elles rassemblent parfois des milliers de personnes. Elles font du bruit. Et parfois, elles font bouger les lignes. On peut l’espérer.
Un « assassinat d’avertissement » assumé
Le procureur de Marseille n’a pas tourné autour du pot : l’hypothèse principale est celle d’un meurtre commandité pour faire taire, ou du moins intimider, ceux qui luttent de l’intérieur. Un message clair : « Touche à nos affaires, on touche à ta famille. »
C’est une escalade terrifiante. On passait déjà des guetteurs aux tueurs à moto, des kalachnikovs aux fusils de précision. Maintenant, on s’attaque directement aux proches de ceux qui osent parler. C’est la méthode mafia pure et dure.
« Ce drame doit faire prendre conscience du danger de cette mafia du narcobanditisme à l’ensemble de la société française. »
– Le ministre de la Justice, quelques heures après les faits
Des mots forts. Mais derrière les mots, il y a urgence. Urgence à mettre plus de moyens, urgence à protéger ceux qui prennent des risques pour dénoncer, urgence à couper les flux d’argent qui font vivre ces réseaux.
La réponse de l’État : réunion à l’Élysée ce mardi même
Ce n’est pas un hasard si, le jour même des obsèques, le président de la République réunit à l’Élysée le Premier ministre, plusieurs ministres clés, le patron de la police nationale et celui de la police judiciaire. Ordre du jour : la mise en œuvre de la loi narcotrafic et, surtout, la situation à Marseille.
On parle de renforcement des effectifs, de moyens techniques, de coordination entre services. Mais aussi, et c’est nouveau, de protection des acteurs associatifs et des témoins qui osent parler. Parce que oui, aujourd’hui, dénoncer le trafic peut coûter la vie à vos proches.
- Renforcement des équipes de la PJ spécialisée
- Déploiement de technologies de surveillance avancées
- Création d’un statut de protection pour les militants anti-trafic
- Accélération des saisies d’avoirs criminels
- Coopération renforcée avec l’Espagne et le Maroc sur les routes de la drogue
Des mesures déjà évoquées par le passé, mais qui prennent une autre dimension après ce drame.
Marseille, ville sous perfusion de violence
2025 aura été une année particulièrement sanglante. Plus de trente morts liés au narcobanditisme depuis janvier, des mineurs qui tombent comme des soldats de première ligne, des fusillades en plein jour. Et maintenant, cette nouvelle étape : s’attaquer aux familles des opposants.
Dans certains quartiers, les habitants n’osent plus sortir après 20 heures. Les commerçants baissent le rideau tôt. Les parents gardent leurs enfants à la maison. La peur s’est installée durablement, et elle ronge la ville de l’intérieur.
Et le pire, c’est qu’on sent une forme de résignation chez certains. « De toute façon, ils sont plus forts que l’État », m’a glissé un vieux Marseillais la semaine dernière. Je refuse de croire que c’est une fatalité.
Et maintenant ?
La marche blanche du week-end prochain sera un test. Combien serons-nous dans la rue ? Combien d’élus viendront vraiment, pas juste pour la photo ? Et surtout, est-ce que ce drame sera le déclencheur d’une mobilisation durable, ou juste une émotion passagère ?
Je ne suis pas naïf. La drogue rapporte trop, les réseaux sont trop puissants, l’argent trop sale et trop abondant. Mais je crois encore que quand une ville entière se lève, quand les « gens d’en haut » et les « gens d’en bas » marchent côte à côte, quelque chose peut bouger.
Mehdi Kessaci n’avait rien demandé. Il voulait juste vivre. Aujourd’hui, il repose en paix, et c’est à nous, les vivants, de faire en sorte que sa mort ne soit pas vaine.
Repose en paix, Mehdi. Et que ta mémoire nous pousse à ne plus détourner le regard.
