Vous êtes-vous déjà retrouvé à slalomer entre des tentes Quechua en plein cœur de Paris, à deux pas du Louvre ou de l’Hôtel de Ville ? Moi oui, et franchement, ça serre le ventre. Ce n’est plus un phénomène marginal : c’est devenu le décor quotidien de certains quartiers centraux. Et quand un maire socialiste, pourtant habitué à travailler main dans la main avec l’État, finit par écrire une lettre rageuse au préfet, c’est que la coupe est vraiment pleine.
Paris Centre au bord de la rupture
En cette mi-novembre 2025, les températures flirtent déjà avec zéro. Et dans les 1er, 2e, 3e et 4e arrondissements, les campements de fortune se multiplient à une vitesse folle. Le maire de Paris Centre ne mâche plus ses mots : il parle d’une immense frustration, partagée par tous ses collègues parisiens. Et il a raison de monter au créneau.
Trois points chauds qui cristallisent la crise
Pour comprendre l’ampleur du problème, il suffit de faire le tour des lieux emblématiques. Trois campements concentrent aujourd’hui l’essentiel des tensions :
- Le quartier Arsenal, près de la Bastille : près de 80 personnes vivent là, certaines depuis plus d’un an. Mobilier récupéré, abris qui se pérennisent, sentiment d’abandon total.
- Devant le centre sportif et l’école Saint-Merri : des femmes isolées, parfois avec enfants, dorment sous des tentes. Harcèlement, vols, insécurité permanente.
- Les tunnels et abords des Halles : un monde souterrain où s’entassent ceux que plus personne ne voit.
Et puis il y a ces petits groupes qui surgissent rue de l’Hôtel de Ville, square Albert-Schweitzer, ou même place Baudoyer. Des jeunes, souvent mineurs non accompagnés en attente de reconnaissance, qui bloquent parfois l’accès aux espaces publics.
« On n’a jamais eu autant de campements »
Ariel Weil, maire de Paris Centre
La Ville fait ce qu’elle peut… mais ce n’est pas son boulot
Chaque semaine, la mairie de secteur envoie la police municipale et les équipes de propreté. Nettoyage, enlèvement des encombrants, maraudes renforcées. On bricole, on court, on dépense une énergie folle. Résultat ? À peine le camion parti, les tentes réapparaissent. Parce que le vrai problème, c’est la mise à l’abri. Et ça, c’est une compétence régalienne, donc de l’État.
Et là, c’est le grand silence. Ou pire : des réponses qui donnent envie de hurler.
Des réponses « lunaires » qui exaspèrent
Quand le maire écrit au préfet de région pour demander une mise à l’abri d’urgence, on lui répond… qu’on reste « vigilant ». Quand il signale que le campement de l’Arsenal dure depuis plus d’un an, on lui dit qu’un « travail a été engagé ». Traduction : on va refaire un énième diagnostic social. Sérieusement ?
« J’ai presque l’impression qu’on me dit : “On en a déjà fait quatre, c’est pas mal” »
Cette phrase résume tout. Quatre opérations dans l’année pour tout Paris Centre, c’est présenté comme une performance. Pendant ce temps, les maires ouvrent eux-mêmes leurs locaux la nuit – oui, comme la mairie du 20e qui a hébergé des familles dans son hall il y a quelques jours. On est loin du « quoi qu’il en coûte ».
Un sentiment d’abandon qui gangrène
Ce qui frappe, c’est le fossé entre la splendeur touristique de Paris et la misère qui s’étale à ses pieds. Des seringues par terre, des rixes, un feu qui a failli tout ravager en juin dernier à l’Arsenal. Des parents qui n’osent plus laisser leurs enfants jouer dans certains squares. Des riverains qui baissent les yeux en passant, culpabilisés mais épuisés.
Et pourtant, personne ne nie la complexité du sujet. Il y a des personnes en grande précarité, parfois toxicomanes, souvent en situation irrégulière, parfois les deux. Mais laisser pourrir la situation n’aide personne – ni les personnes à la rue, ni les habitants, ni les commerçants.
Pourquoi c’est maintenant que tout explose ?
Plusieurs facteurs se cumulent. D’abord, la fin des dispositifs Covid et des trêves hivernales exceptionnelles a refermé des milliers de places d’hébergement. Ensuite, l’arrivée continue de personnes migrantes ou en grande précarité, sans solution adaptée. Enfin, une forme de lassitude des services : on tourne en rond entre diagnostics, réunions et reports.
Résultat ? Les campements se pérennisent. Ce qui était censé être temporaire devient structurel. Et quand l’hiver arrive vraiment – on parle de -5°C certaines nuits en décembre – la situation va devenir inhumaine.
Et demain ?
Les maires, eux, n’ont plus envie d’attendre. Ils veulent des arrêtés de mise à l’abri immédiate, des hébergements adaptés (pas juste un gymnase ouvert trois nuits), et surtout une vraie coordination. Parce que bricoler en ouvrant les mairies ou les gymnases quand il gèle, ce n’est pas une politique digne de la cinquième puissance mondiale.
Je ne suis pas naïf : résoudre la grande précarité prendra des années. Mais laisser des femmes et des enfants dormir dehors à deux pas de l’Hôtel de Ville en 2025, ça, c’est un choix politique. Et pour l’instant, ce choix semble être l’inaction.
Alors oui, la colère des maires est légitime. Et elle nous concerne tous. Parce que derrière les tentes, il y a des visages. Et derrière les visages, une question simple : jusqu’à quand va-t-on accepter ça au cœur de Paris ?
(Article écrit après avoir marché dans ces quartiers ces derniers jours. La réalité dépasse parfois ce qu’on lit dans les courriers officiels. Et ça fait mal.)
