Quand un poste de préfet reste vacant plus de trois semaines à Marseille, ce n’est jamais anodin. Et quand l’exécutif décide de le pourvoir en quarante-huit heures chrono, c’est que la situation est devenue brûlante. Jacques Witkowski, jusqu’ici en poste dans le Grand Est, prendra ses fonctions dès jeudi dans la cité phocéenne. Un transfert éclair qui en dit long sur l’urgence.
Je me souviens encore de l’été 2023 : la ville semblait au bord de l’implosion avec les règlements de comptes à répétition. Deux ans plus tard, rien n’a vraiment changé, ou si peu. Un frère de militant anti-drogue vient d’être abattu en pleine rue. Le message des narcobandits est clair : personne n’est intouchable. Dans ce contexte, envoyer un profil comme Witkowski n’est pas un hasard.
Un homme taillé pour les missions impossibles
Jacques Witkowski n’est pas un bureaucrate de salon. Avant de porter l’écharpe préfectorale, il a passé de longues années en uniforme. Saint-Cyr, peloton de gendarmerie en Martinique, compagnie en Vendée… Le genre de parcours où l’on apprend très vite que l’autorité ne s’obtient pas derrière un bureau climatisé.
Ce qui frappe surtout, c’est cette parenthèse peu banale à Matignon. À l’époque où Alain Juppé était Premier ministre, le jeune officier supérieur assure la sécurité du siège du gouvernement. Imaginez : responsable de la protection d’un des lieux les plus sensibles de la République. Autant dire qu’on ne confie pas ce poste au premier venu.
« Il connaît les rouages du pouvoir autant que ceux de l’opérationnel. C’est assez rare pour être souligné. »
Un ancien collaborateur de cabinet ministériel
L’Hérault, puis la Seine-Saint-Denis : deux baptêmes du feu
Son premier poste de préfet, c’est l’Hérault. Région déjà compliquée, entre manifestations agricoles et tensions dans certains quartiers de Montpellier. Il y reste plusieurs années et laisse l’image d’un homme qui sait parler aux élus locaux sans jamais abdiquer sur les principes républicains.
Mais le vrai test arrive en 2021 : la Seine-Saint-Denis. Le 93, c’est un peu le mètre-étalon des préfets de la République. Violence, pauvreté, sentiment d’abandon… Jacques Witkowski y débarque en pleine crise Covid et en pleine montée des trafics. Il tiendra trois ans. Trois ans durant lesquels il aura multiplié les opérations coup de poing, les expulsions de squats dealers, les réunions nocturnes avec les maires.
Ceux qui l’ont côtoyé là-bas racontent un préfet qui dormait parfois quatre heures par nuit, toujours sur le terrain, toujours au téléphone avec les services de police. Un style direct, parfois rugueux, mais qui imposait le respect.
Pourquoi lui, et pourquoi maintenant ?
La réponse est assez simple : Marseille a besoin d’un shérif, pas d’un diplomate. Depuis le départ de son prédécesseur pour l’Élysée mi-octobre, le fauteuil était vide. Vingt-neuf jours sans préfet de région dans une zone où l’on compte déjà plus de quarante morts liées au narcotrafic depuis le début de l’année. Politiquement, c’était intenable.
Et puis il y a cette réunion convoquée en catastrophe à l’Élysée, mardi dernier. Le chef de l’État veut des résultats concrets, rapides, visibles. Jacques Witkowski y était déjà invité. Le signe qu’il était l’homme de la situation depuis plusieurs jours, voire plusieurs semaines.
- Expérience terrain en gendarmerie : check
- Passage par Matignon et compréhension des arcanes politiques : check
- Résultats probants en Seine-Saint-Denis sur les mêmes problématiques : check
- Disponibilité immédiate : check
Tous les voyants étaient au vert.
Les chantiers qui l’attendent dès jeudi matin
Il n’aura même pas le temps de défaire ses cartons. Dès son arrivée, deux ministres débarquent : ceux de l’Intérieur et de la Justice. Le message est limpide : on ne te laisse pas six mois pour prendre tes marques, on veut du résultat tout de suite.
Parmi les dossiers brûlants :
- La mise en œuvre effective du « plan Marseille » annoncé il y a déjà dix-huit mois
- Le renforcement des effectifs policiers dans les quartiers nord
- La coordination avec la justice pour accélérer les condamnations et les incarcérations
- Le dialogue (ou la confrontation) avec les élus locaux, parfois ambigus sur la question sécuritaire
- La protection des acteurs de terrain : éducateurs, militants associatifs, familles qui osent dire stop
Et surtout, redonner confiance à une population qui ne croit plus aux effets d’annonce.
« À Marseille, la parole de l’État a été abîmée par trop de promesses non tenues. Il va falloir reconstruire ça, brique par brique. »
Un policier marseillais expérimenté
Un style qui pourrait bousculer les habitudes
Ceux qui ont travaillé avec lui en Seine-Saint-Denis le disent sans détour : Jacques Witkowski n’est pas du genre à attendre les invitations. Il convoque, il décide, il tape du poing sur la table quand il le faut. À Marseille, ça risque de faire des vagues.
Il n’hésitera probablement pas à remettre en cause certaines pratiques, certaines complaisances. Quitte à froisser quelques susceptibilités. D’ailleurs, c’est peut-être précisément pour ça qu’on l’a choisi : parce qu’il n’a plus grand-chose à prouver et rien à perdre.
J’ai pu discuter avec plusieurs personnes qui l’ont côtoyé. Le portrait qui revient est toujours le même : travailleur acharné, loyal envers l’État, mais capable de dire non quand il estime qu’une décision est mauvaise. En clair, pas un oui-oui.
Et après ? Une mission à durée déterminée ?
Certains observateurs y voient déjà une mission commando de dix-huit mois maximum. Le temps de stabiliser la situation, de faire tomber quelques gros bonnets, de remettre l’État en position de force. Ensuite ? Peut-être un retour dans une région plus calme, ou un poste encore plus exposé.
Mais pour l’instant, la seule chose qui compte, c’est jeudi. Le jour où Jacques Witkowski posera ses valises dans la préfecture des Bouches-du-Rhône avec, dans la tête, une seule idée : montrer que l’État peut encore gagner cette guerre-là.
Parce qu’à Marseille, plus qu’ailleurs, le temps n’est plus aux discours. Il est à l’action.
Et quelque part, on se dit que ça fait du bien de voir l’État envoyer enfin un poids lourd sur un ring où il s’était trop souvent contenté d’envoyer des poids mouches.
Reste à savoir si ça suffira. Mais au moins, cette fois, on joue dans la bonne catégorie.
