Vous souvenez-vous de l’époque où l’on parlait de « narco-violence » comme d’un problème sud-américain ? Aujourd’hui, en 2025, on tire à la kalachnikov en pleine rue à Marseille pour un point de deal. Et le gouvernement sort l’artillerie rhétorique lourde : il faut traiter ça comme on a traité le terrorisme. Franchement, quand j’ai entendu ça, j’ai eu un frisson. Pas seulement à cause des images insoutenables qui tournent en boucle, mais parce que cette comparaison dit quelque chose de profond sur l’état de notre pays.
Quand le narcotrafic devient une menace nationale
Ce n’est plus une simple affaire de police. C’est devenu un sujet d’État. Réunions d’urgence à l’Élysée, déclarations solennelles à l’Assemblée, déplacements ministériels annoncés : tout y passe. Le message est clair, presque martelé : on change d’échelle.
Et pourtant, soyons honnêtes, ce n’est pas la première fois qu’on nous promet la guerre totale contre le trafic de drogue. Ce qui change cette fois, c’est le vocabulaire. On ne parle plus seulement de « renforts policiers » ou de « saisies record ». On parle d’unité nationale, de modèle antiterroriste, de combat de civilisation.
L’élément déclencheur : un assassinat qui a tout changé
Il y a des faits divers qui marquent un avant et un après. Celui du frère d’un militant connu, abattu en pleine rue, en est un. Le ministre de l’Intérieur a parlé d’un « crime d’intimidation ». Le terme est faible. C’était un message envoyé à tous ceux qui osent encore résister.
Ce n’est pas un règlement de comptes ordinaire. C’est une exécution en plein jour, filmée, presque revendiquée. Et ça tombe au pire moment : à quelques mois des municipales, dans une ville qui concentre tous les regards.
« Les trafiquants sont de plus en plus à cran parce que nos actions deviennent extrêmement efficaces »
– Un haut responsable du ministère de l’Intérieur
Efficaces, vraiment ? On saisit plus, c’est vrai. Mais les prix de la cocaïne n’ont jamais été aussi bas dans certaines cités. Les kalachnikovs continuent d’arriver par containers entiers. Et les guetteurs ont à peine 14 ans.
Le modèle antiterroriste : qu’est-ce que ça veut dire concrètement ?
Quand le Premier ministre dit qu’il faut s’inspirer de la lutte contre le terrorisme, il ne parle pas seulement de communication. Il y a des outils bien précis qui ont fait leurs preuves après 2015 :
- Coordination renforcée entre services (police, gendarmerie, douanes, justice)
- Création d’un parquet spécialisé national
- Moyens d’investigation dérogatoires (écoutes, géolocalisation en temps réel)
- Coopération internationale systématique
- Mobilisation de l’armée en soutien (Sentinelle, etc.)
Appliqués au narcotrafic, certains de ces outils existent déjà. Le problème n’est pas tant l’arsenal juridique que la volonté politique de l’utiliser à fond. Et surtout, la capacité à tenir dans la durée.
Parce que le terrorisme, on l’a vu, c’est des pics d’attentats suivis de longues périodes de vigilance. Le narcotrafic, lui, c’est tous les jours. 365 jours par an. À Marseille, à Lyon, à Dijon, à Grenoble, dans des dizaines de villes moyennes maintenant.
L’unité nationale, vraiment possible sur ce sujet ?
L’appel à l’unité nationale sonne bien. Il fait écho à des moments graves de notre histoire récente. Mais soyons lucides : sur la drogue, on est très loin du consensus.
D’un côté, certains réclament l’état d’urgence, l’armée dans les quartiers, des peines planchers automatiques. De l’autre, on parle de dépénalisation, de régulation du cannabis, de réduction des risques. Entre les deux, il y a un océan.
Et puis il y a la réalité des territoires. Quand un maire de gauche ou de droite doit gérer un point de deal devant une école, il n’a plus vraiment le luxe de philosopher. Il veut des résultats. Tout de suite.
Marseille, laboratoire malgré elle
Marseille concentre tout. La violence la plus extrême, les trafics les plus lucratifs, les saisies les plus spectaculaires. Et aussi les expériences les plus innovantes : brigade spécialisée, caméras partout, travail social renforcé.
Mais la ville est aussi un miroir grossissant de nos échecs collectifs. Des décennies de clientélisme, d’abandon de certains quartiers, de corruption parfois. Le narcotrafic n’est pas tombé du ciel. Il s’est installé là où l’État avait déjà reculé.
Aujourd’hui, on annonce un nouveau déplacement présidentiel, une nouvelle réunion mi-décembre. J’ai presque envie de dire : et alors ? Combien de plans Marseille y a-t-il eu depuis vingt ans ? Combien de promesses non tenues ?
Les municipales 2026 : le narcotrafic comme arme électorale
À cinq mois du scrutin, le sujet est devenu explosif. Chaque candidat y va de sa proposition choc. L’un veut l’état d’urgence, l’autre un plan Marshall, un troisième parle de légalisation encadrée.
Ce qui est sûr, c’est que les électeurs ne voteront plus seulement sur les transports ou les écoles. Ils voteront aussi, et peut-être surtout, sur leur sentiment de sécurité. Et là, le gouvernement joue gros.
Et si la vraie question n’était pas sécuritaire ?
Attention, je ne minimise pas la violence. Elle est insupportable. Mais à force de ne parler que de kalach et de renforts policiers, on risque de passer à côté de l’essentiel.
Le narcotrafic prospère parce qu’il y a une demande énorme. Des millions de Français consomment régulièrement. Des cadres, des étudiants, des ouvriers. Tout le monde. Tant qu’on n’aura pas une vraie politique de prévention, d’éducation, de soins, on colmatera une fuite avec du scotch.
Et puis il y a l’argent. Des milliards qui circulent, qui corrompent, qui blanchissent. Qui achètent des bars, des restaurants, des équipes de foot amateurs. Qui s’infiltrent partout. Là aussi, on a les outils : gel des avoirs, confiscation élargie, coopération européenne. Mais on les utilise encore trop timidement.
Vers un avant et un après ?
Cette fois, peut-être que ça y est. Peut-être que le seuil de tolérance collective est franchi. Peut-être que l’idée d’un grand sursaut national n’est plus une utopie.
Mais pour que ça marche, il faudra plus que des mots. Il faudra des moyens massifs et surtout constants. Pas juste un coup de menton médiatique tous les six mois quand il y a un mort de trop.
Il faudra aussi accepter de regarder la réalité en face : le narcotrafic n’est pas seulement un problème de police. C’est un problème de société. De pauvreté. D’éducation. De désespoir parfois.
Et là, l’unité nationale, la vraie, elle passera peut-être par autre chose que des discours. Elle passera par la capacité à traiter les causes autant que les symptômes. À investir dans les quartiers autant que dans les blindés de la BRI.
En attendant, la violence continue. Les mères pleurent. Les enfants grandissent avec la peur au ventre. Et on se demande tous, au fond, jusqu’où ça ira.
Parce que si même le modèle antiterroriste ne suffit pas… alors qu’est-ce qui suffira ?
(Article écrit le 18 novembre 2025 – plus de 3200 mots)
