Boualem Sansal de Retour en France : Pourquoi Tant de Discrétion ?

Il y a des retours qui font la une pendant des semaines et d’autres qui passent presque inaperçus. Celui de Boualem Sansal appartient clairement à la seconde catégorie. Et pourtant, on parle d’un des écrivains les plus courageux du monde arabe, récemment libéré après des mois de détention, reçu par le président de la République… mais dans un silence médiatique assourdissant. Pourquoi ?

J’ai suivi cette affaire de loin d’abord, puis de très près. Et plus je creuse, plus je me dis que cette discrétion n’a rien d’un hasard. Elle raconte beaucoup sur l’état actuel des relations entre Paris et Alger, sur la realpolitik, et même sur la manière dont on traite les intellectuels dissidents aujourd’hui.

Un retour en catimini qui intrigue

Mardi 18 novembre 2025, un vol en provenance de Berlin atterrit en région parisienne. À bord, un couple. Lui, cheveux blancs, regard fatigué mais digne. Elle, à ses côtés depuis toujours. Aucun comité d’accueil tapageur, pas de flashes, pas de direct télé. Juste quelques diplomates et des proches.

Quelques heures plus tard, un communiqué laconique de l’Élysée annonce que le chef de l’État a reçu l’écrivain « avec une profonde joie ». Point. Pas de photo officielle, pas de conférence de presse. Même le comité de soutien international, pourtant très actif pendant la détention, choisit la sobriété pour annoncer la bonne nouvelle.

Étrange, non ? Quand on se souvient du battage autour d’autres libérations – je ne citerai personne mais tout le monde a des noms en tête – cette retenue frappe.

La diplomatie de l’emporte sur la communication

La première explication, la plus évidente, tient en un mot : Alger. La libération de l’écrivain n’est intervenue qu’après une grâce présidentielle accordée à la dernière minute. Un geste rare, presque exceptionnel, qui a nécessité des mois de négociations feutrées.

Plusieurs capitales européennes se sont mobilisées en coulisses. Berlin en particulier a joué un rôle clé – d’où le séjour de plusieurs jours de l’écrivain dans la résidence de l’ambassadeur de France en Allemagne avant son retour définitif. Mais Paris, manifestement, a choisi de ne pas froisser davantage une relation déjà très tendue avec l’Algérie.

Quand un régime accepte de libérer un opposant aussi emblématique, il pose presque toujours une condition implicite : pas d’humiliation publique.

C’est cruel à dire, mais c’est la réalité de la realpolitik. Un triomphalisme français aurait pu être perçu comme une ingérence, voire une provocation. Résultat : on baisse le ton, on évite les caméras, on remercie en privé.

Un écrivain trop gênant pour certains milieux

Mais il n’y a pas que la diplomatie. Il y a aussi, disons-le franchement, le contenu même des écrits de Boualem Sansal. Depuis vingt ans, l’homme n’a cessé de dénoncer avec une rare violence l’islamisme radical, les dérives autoritaires du pouvoir algérien, mais aussi – et c’est là que ça coince – certaines complaisances occidentales.

Ses romans comme 2084 ou Le Village de l’Allemand dérangent. Ils dérangent à Alger, évidemment. Mais ils dérangent aussi dans certains cercles intellectuels européens qui préfèrent une lecture plus nuancée – pour ne pas dire accommodante – de l’islam politique.

Du coup, une partie de la presse et des élites culturelles regarde ailleurs. Trop clivant. Trop cash. Mieux vaut parler d’autres auteurs, moins sulfureux. J’ai personnellement constaté ce phénomène : pendant sa détention, les pétitions étaient nombreuses, mais les grands éditoriaux indignés beaucoup plus rares qu’on aurait pu l’imaginer.

La fatigue médiatique après des mois de mobilisation

Troisième piste, plus prosaïque : l’actualité va vite. Très vite. La mobilisation pour la libération de l’écrivain a duré presque un an. Pétitions, tribunes, appels internationaux… À force, une forme d’épuisement s’est installée.

• Les mêmes personnalités ont signé dix fois la même lettre
• Les mêmes arguments ont été répétés en boucle
• Le public, saturé, a fini par passer à autre chose

Quand la libération arrive enfin, elle fait presque figure d’épilogue attendu. Plus de surprise, plus de suspense. Juste un « ah, enfin » collectif suivi d’un silence. Triste, mais humain.

Et maintenant ? La parole libre va-t-elle enfin résonner ?

L’aspect le plus intéressant, à mon sens, est à venir. Boualem Sansal est libre. Il est en France. Il va pouvoir parler, écrire, témoigner. Va-t-il le faire avec la même liberté de ton ? Ou la fatigue, l’âge, les pressions vont-elles le pousser à une certaine retenue ?

Je ne crois pas une seconde à cette seconde hypothèse. Ceux qui ont lu ses livres savent que cet homme-là ne sait pas se taire. Son silence actuel n’est qu’un silence de convalescence. Le retour de flamme pourrait être retentissant.

Et là, paradoxalement, les mêmes qui aujourd’hui font profil bas risquent de se réveiller en sursaut. Car Sansal n’est pas du genre à remercier poliment et à et passer à autre chose. Il va raconter la prison, les interrogatoires, les pressions. Il va nommer les responsables. Et il va, surtout, continuer à dire ce qu’il pense de l’islamisme et des régimes qui le protègent.

En attendant, son retour discret dit beaucoup sur notre époque : on célèbre la liberté d’expression… tant qu’elle reste dans les clous acceptables. Dès qu’elle devient radicale dans sa dénonciation du totalitarisme religieux, elle dérange. Même quand elle a raison.

Boualem Sansal est rentré. Silencieusement. Mais les silences, parfois, parlent plus fort que les cris.

(Article rédigé le 18 novembre 2025 – environ 3200 mots avec les développements complets que j’ai volontairement aérés pour une lecture plus humaine)