Imaginez-vous faire la queue avec vos enfants, excités à l’idée de monter dans un roller coaster qui promet des sensations fortes. Et puis, en quelques secondes, tout bascule. Une vie s’arrête. Deux fois. C’est exactement ce qui s’est produit au Parc Saint-Paul, dans l’Oise, sur la même attraction baptisée Formule 1. Un manège qui, aujourd’hui, porte le poids insupportable de deux drames.
Ce n’est pas une histoire qu’on aime raconter, mais elle mérite d’être connue. Parce qu’elle parle de sécurité, de responsabilité, et surtout de familles brisées à jamais.
Un roller coaster sous scellés depuis cinq ans
Quand on passe aujourd’hui devant le Parc Saint-Paul, à quelques kilomètres de Beauvais, on aperçoit encore ces grands rails bleus qui dépassent des arbres. Ils sont là, immobiles, comme un fantôme de métal. L’herbe a envahi les abords, les panneaux sont délavés. Le Formule 1, ce roller coaster inauguré il y a plus de vingt ans, n’a plus tourné depuis l’été 2020.
Le 4 juillet 2020, Élodie, 32 ans, mère de deux enfants, monte avec son fils. Un tour comme tant d’autres. À la sortie d’un virage, la barre de sécurité se soulève. Elle est éjectée. Elle ne survivra pas à ses blessures. Cinq ans plus tard, l’émotion reste intacte dans la région.
Mais ce drame n’était pas le premier. En 2005 déjà, un jeune homme de 18 ans avait trouvé la mort sur cette même attraction. Deux accidents mortels en quinze ans. Deux fois trop.
Une condamnation qui clôt un long chapitre judiciaire
Le 17 novembre dernier, le tribunal correctionnel de Beauvais a rendu son verdict. L’ancien directeur du parc, jugé pour homicide involontaire, a été condamné à trois ans de prison avec sursis et 30 000 euros d’amende. Une peine lourde symboliquement, mais qui ne ramènera personne.
« Le parc gardera ce drame gravé dans son histoire. »
Une phrase entendue à plusieurs reprises lors du procès
Ce jugement a surtout débloqué une situation figée depuis des années : les scellés judiciaires posés sur le manège vont être levés. Les nouveaux propriétaires, le groupe Looping – qui a racheté le parc en 2021 – vont enfin pouvoir le démonter.
2005 : le premier accident qui aurait dû tout changer
Remontons un peu le temps. Été 2005. Un adolescent monte dans le Formule 1. À l’époque, l’attraction est déjà ancienne, mais elle fait partie des stars du parc. Lors d’un passage à forte vitesse, le jeune homme est éjecté. Mort sur le coup.
À l’époque, des manquements avaient été pointés : absence de certains contrôles, maintenance perfectible. Le parc avait été condamné, mais l’attraction avait rouvert. Avec, paraît-il, des améliorations. Quinze ans plus tard, on mesure à quel point cela n’a pas suffi.
2020 : le drame de trop
Élodie n’avait rien d’une casse-cou. Elle était juste une maman qui voulait faire plaisir à son fils. Ce jour-là, tout était normal : contrôle d’accès, harnais enclenché, départ du train. Et puis, dans un virage, la barre se soulève brutalement. Les images des caméras de surveillance sont insoutenables.
L’enquête révélera plusieurs choses accablantes :
- Le système de verrouillage de la barre de sécurité présentait des failles connues
- Des alertes techniques avaient été ignorées ou mal interprétées
- Le personnel, bien que formé, n’avait pas le niveau d’expérience requis sur ce type d’attraction ancienne
- Les contrôles annuels obligatoires avaient relevé des anomalies… mais le manège tournait quand même
Autant de dysfonctionnements qui ont conduit le tribunal à retenir la responsabilité pénale de l’ancien dirigeant.
Le groupe Looping : nettoyer les écuries d’Augias
Quand le groupe Looping rachète le Parc Saint-Paul en 2021, ils savent qu’ils héritent d’un lourd passif. Le parc est fermé depuis l’accident, l’image est catastrophique, les familles des victimes restent vigilantes.
Leur priorité ? Tourner la page, mais dignement. Ils ont attendu patiemment la fin de la procédure pour pouvoir agir. Dès que les scellés seront levés – probablement dans les toutes prochaines semaines –, les équipes spécialisées viendront découper les rails, démonter les wagons, faire disparaître cette attraction maudite.
« On veut que les visiteurs reviennent sans avoir cette ombre au-dessus de la tête. »
Un responsable du groupe, en off
La sécurité dans les parcs d’attractions : où en est-on vraiment ?
Franchement, cette affaire pose une question qui dérange : est-ce qu’on est vraiment à l’abri dans un parc d’attractions ? En France, les contrôles sont censés être parmi les plus stricts d’Europe. Un bureau d’étude indépendant doit valider chaque grande attraction tous les ans. Et pourtant…
Le Formule 1 était une attraction « maison », conçue et construite dans les années 90, bien avant les normes actuelles. Ce genre de manège artisanal, il en reste encore quelques-uns en France. Et c’est là que le bât blesse : plus l’attraction est ancienne, plus elle demande une vigilance extrême.
Depuis 2020, les choses bougent :
- Renforcement des formations du personnel
- Double vérification systématique des systèmes de retenue
- Installation de capteurs supplémentaires sur les barres de sécurité
- Transparence accrue sur les rapports de contrôle
Mais pour les familles d’Élodie et du jeune homme de 2005, ça arrive trop tard.
Et maintenant ? Un parc qui veut renaître
Le Parc Saint-Paul n’est pas énorme. Une quarantaine d’attractions, un public surtout familial et local. Il a survécu à la pandémie, à la fermeture forcée, au procès. Le groupe Looping y croit encore. Ils ont déjà investi dans de nouvelles zones thématiques, des animations, un parc aquatique.
Le départ du Formule 1, ce sera symboliquement la fin d’une ère. Un terrain libéré pour quelque chose de neuf, de sécurisé, de joyeux. Peut-être un jour, les rails bleus ne seront plus qu’un mauvais souvenir.
Mais pour l’instant, ils sont encore là. Témoins muets de deux vies fauchées trop tôt. Et d’une leçon que tout le secteur doit garder en tête : la sécurité, ce n’est jamais acquis. Jamais.
Cette histoire me laisse un goût amer. On parle beaucoup de sensations fortes, de frissons, d’adrénaline. Mais derrière chaque looping, il y a des vies humaines. Et parfois, le prix est bien trop élevé.
Le Parc Saint-Paul va continuer. Il le mérite sans doute. Mais il portera toujours cette cicatrice. Et nous, visiteurs, on regardera peut-être deux fois avant de boucler notre harnais.
