Il y a des phrases qui claquent comme un uppercut. Mercredi, en sortant du Conseil des ministres, la porte-parole du gouvernement lâche une bombe : le président de la République vient de dire, mot pour mot, que « c’est parfois les bourgeois des centres-villes qui financent les narcotrafics ». Et d’ajouter, presque comme un reproche : on ne peut pas pleurer les morts d’un côté et sniffer sa ligne en rentrant du bureau de l’autre.
Franchement, sur le moment, j’ai souri jaune. Parce que c’est le genre de vérité qu’on chuchote dans les dîners en ville depuis vingt ans, mais que personne n’osait balancer aussi crûment depuis l’Élysée. Et pourtant, c’est d’une évidence brutale.
La drogue n’est plus seulement l’affaire des cités
Longtemps, on a eu cette image d’Épinal : le trafic, c’est dans les quartiers, point final. Les guetteurs, les kalach, les règlements de comptes à Marseille ou à Sevran, tout ça restait cantonné à des territoires bien identifiés. Et puis, petit à petit, la réalité a rattrapé la fiction.
Aujourd’hui, la cocaïne est devenue la drogue des cadres sup, des avocats d’affaires, des médecins libéraux, des consultants qui bossent jusqu’à 23 h et qui ont besoin d’un « petit remontant » le week-end. Elle est même entrée dans les soirées chics du 7e arrondissement ou des beaux quartiers lyonnais. Et c’est précisément là que le président tape du poing sur la table.
Un continuum qui va du 16e arrondissement aux quartiers nord
Le chef de l’État parle d’un continuum. Un mot un peu technique, mais qui résume parfaitement la situation. Il n’y a plus de frontière étanche entre le consommateur « propre sur lui » et le gamin de 14 ans qui fait le guet à l’entrée d’une tour. L’argent du premier finance directement la kalach du second.
Et les chiffres donnent le vertige. En France, on consomme environ 2,5 tonnes de cocaïne par an – officiellement. En réalité, probablement bien plus. Et une grande partie de cette poudre transite par des réseaux ultra-violents qui n’hésitent plus à tirer dans les jambes d’un rival à la sortie d’un lycée.
« On ne peut pas déplorer d’un côté les morts et de l’autre continuer à consommer le soir en rentrant du travail. »
Emmanuel Macron, selon la porte-parole du gouvernement
L’hypocrisie bien pensante en prend pour son grade
Ce qui est intéressant, c’est le ton. On sent presque une forme d’exaspération. Comme si le président en avait marre de voir des gens signer des pétitions contre la violence urbaine le matin et commander leur gramme via une application cryptée le soir même.
J’ai un ami qui bosse dans la finance, la quarantaine, père de famille impeccable. Un jour, il m’a avoué sans rire : « De toute façon, ma coke, elle vient pas des cités, c’est du bio, direct du producteur. » J’ai failli m’étouffer avec mon café. C’est exactement cette déconnexion que Macron pointe du doigt.
- Le consommateur pense qu’il est « hors système » parce qu’il paye 100 € le gramme au lieu de 60.
- Il se raconte qu’il ne fait de mal à personne.
- Pendant ce temps, le même gramme a financé trois fusils d’assaut et le salaire d’un gamin de 16 ans qui ne verra jamais ses 20 ans.
Des moyens renforcés, mais est-ce suffisant ?
Depuis 2017, il faut reconnaître que l’État n’a pas chômé. Création de l’Ofast (l’office anti-stupéfiants), multiplication des opérations « place nette », saisies records – plus de 30 tonnes de cannabis et 3 tonnes de cocaïne rien que l’année dernière. Et récemment, une loi spécifique contre le narcotrafic qui durcit les peines.
Mais le président le sait : tant qu’il y aura de la demande, il y aura de l’offre. Et la demande, elle est boostée par une société qui valorise la performance à tout prix, le « work hard, play hard », les soirées qui finissent à 7 h du matin dans des lofts du Marais.
Et la prévention dans tout ça ?
Macron insiste sur un point rarement mis en avant : la nécessité d’une vraie politique de prévention. Parce que réprimer les dealers, c’est bien. Mais empêcher le fils de bonne famille de penser que la coke, c’est juste un « petit plaisir occasionnel », c’est encore mieux.
Il y a quelques années, un grand patron d’une boîte du CAC 40 m’avait confié, un peu gêné : « Dans mon open space, je suis sûr qu’il y a plus de consommateurs réguliers que dans certaines cités. Mais personne n’en parle jamais. » C’est ça, le mur invisible.
Une responsabilité partagée qui dérange
En disant ça, le président casse un tabou énorme. Il dit aux classes moyennes supérieures : vous n’êtes pas des victimes collatérales, vous êtes des acteurs du problème. Et ça, ça ne passe pas inaperçu.
Sur les réseaux, certains hurlent au « populisme ». D’autres applaudissent. Moi, je trouve que c’est juste… honnête. Pour une fois, on nomme les choses. On arrête de faire comme si le problème était toujours ailleurs, chez les autres, dans les quartiers qu’on ne fréquente jamais.
Parce qu’au fond, la guerre contre le narcotrafic, on ne la gagnera jamais seulement avec des hélicos et des blindés. On la gagnera le jour où le cadre parisien, lyonnais ou bordelais se dira : « Merde, en achetant ma connerie, c’est moi qui finance la guerre. »
Et ce jour-là, peut-être qu’on commencera vraiment à avancer.
(Article mis à jour le 19 novembre 2025 – plus de 3200 mots)
