Quand j’étais gamin, le club de foot du quartier, c’était le sanctuaire. On y allait pour oublier l’école, les disputes à la maison, tout. L’entraîneur, on l’appelait « coach » comme un demi-dieu. Personne n’aurait osé imaginer qu’un jour, ce même coach puisse être interdit d’approcher un terrain. Et pourtant, des centaines de fois, c’est exactement ce qui arrive aujourd’hui.
Les chiffres tombés ce matin font froid dans le dos : depuis six ans, près de 1 200 personnes se sont vu notifier une interdiction administrative d’exercer toute fonction d’encadrement dans le sport français. 1 200. Pas des condamnations pénales (pas encore, en tout cas), mais des mesures immédiates prises par les préfets pour protéger les pratiquants, surtout les mineurs.
Une plateforme qui a tout changé
Tout a commencé en 2019 avec le lancement d’une cellule nationale dédiée. L’idée était simple sur le papier : offrir un endroit sûr où victimes et témoins pouvaient parler sans crainte de représailles. Personne ne pensait, à l’époque, que ça exploserait à ce point.
En six ans, plus de 3 100 signalements ont été déposés. 3 100 fois où quelqu’un a pris son téléphone ou son ordinateur et a dit « stop ». Sur ces 3 100, environ 2 400 ont été jugés recevables par les services de l’État. Et à l’arrivée ? Les 1 200 interdictions dont on parle aujourd’hui.
Ce qui frappe, c’est la répartition. D’après les dernières données disponibles (juin 2025), six signalements sur dix concernent des violences à caractère sexuel. Le reste, ce sont des violences psychologiques, du harcèlement moral, des humiliations répétées. Des trucs qu’on minimisait autrefois en disant « c’est pour te forger le caractère ».
2025, l’année où tout accélère
Rien que sur les dix premiers mois de 2025, 703 nouveaux dossiers ont été transmis aux services départementaux pour enquête administrative. Ça fait presque deux par jour. Week-ends compris.
Et depuis ce mercredi, une nouvelle règle entre en vigueur : les 330 000 clubs, salles et structures sportives de France doivent afficher clairement l’existence de cette cellule d’écoute. Plus question de dire « je ne savais pas ».
La libération de la parole est en marche, et elle est irréversible.
Une ministre qui connaît bien le dossier
Les contrôles d’honorabilité : l’autre arme massive
Parallèlement à la plateforme de signalement, un deuxième dispositif tourne à plein régime depuis 2021 : le contrôle systématique des casiers judiciaires des personnes en contact avec du public sportif.
Le chiffre donne le vertige : 4,4 millions de vérifications effectuées. Et à l’arrivée, 1 000 personnes supplémentaires écartées pour antécédents incompatibles. Souvent des condamnations anciennes pour agressions sexuelles ou violences sur mineurs qui passaient jusque-là sous les radars.
Au début, seuls les éducateurs bénévoles étaient concernés. Aujourd’hui, le filet s’est élargi aux arbitres, aux maîtres-nageurs sauveteurs, aux dirigeants de club… Bref, tous ceux qui gravitent autour des gamins.
Mais alors, le sport va-t-il si mal que ça ?
C’est la question que tout le monde se pose dans les vestiaires en ce moment. Est-ce qu’on découvre soudain que le sport est un nid de prédateurs ? Ou est-ce simplement que, enfin, on accepte de regarder la réalité en face ?
Je penche pour la deuxième option. Parce que ces affaires-là, elles n’ont pas commencé en 2019. Elles étaient là depuis des décennies. Ce qui a changé, c’est qu’on a créé les outils pour que les victimes puissent parler sans se retrouver seules contre tout un club ou une fédération.
- Un gamin violé par son entraîneur de judo dans les années 90 ? Il se taisait.
- Une ado harcelée moralement par son coach de natation en 2005 ? Elle abandonnait le sport.
- Aujourd’hui ? Ils parlent. Et l’État agit. Parfois en quelques semaines.
C’est violent à entendre, mais c’est aussi une forme de progrès.
Et les clubs dans tout ça ?
Forcément, ça secoue. J’ai discuté récemment avec un président de petit club de hand en banlieue. Il m’a confié : « On a perdu deux éducateurs en six mois. L’un après un signalement anonyme, l’autre après contrôle du casier. Sur le coup, tu te dis que le ciel te tombe sur la tête. Et puis tu te rends compte que tu préfères avoir zéro encadrant plutôt qu’un seul dangereux. »
Le paradoxe, c’est que les clubs les plus vertueux sont parfois ceux qui trinquent le plus : ils font les contrôles, ils affichent les numéros, ils encouragent à parler… et donc ils récoltent les signalements. Les autres, ceux qui ferment les yeux, continuent tranquillement. Pour l’instant.
Ce qui reste à faire (et il y a du boulot)
Parce qu’on ne nous leurrons pas : on est encore loin du compte.
Beaucoup de victimes ne parlent toujours pas. Par peur. Par honte. Parce qu’on leur a répété pendant des années que « dans le sport, on ne balance pas ».
Il manque aussi une vraie formation des dirigeants et des parents. Savoir repérer les signaux d’alerte, oser poser des questions, ne pas minimiser les « blagues » douteuses dans le vestiaire.
Et puis il y a tout le sport non licencié : les stages vacances, les cours particuliers, les colonies sportives… Là, le contrôle est quasi inexistant. Un terrain de chasse encore trop facile pour certains.
Un tournant historique ?
On est peut-être en train de vivre un moment aussi important que #MeToo dans le cinéma ou l’Église. Un moment où une parole collective se libère et où les institutions, bon gré mal gré, sont obligées de suivre.
Le sport, ce n’est plus seulement des médailles et des records. C’est aussi, enfin, la reconnaissance que derrière chaque maillot, il y a un être humain. Et que cet être humain a le droit d’être protégé.
Alors oui, les chiffres font mal. Mais ils font aussi espérer. Parce qu’un signalement, c’est une vie sauvée. Une interdiction, c’est des dizaines, peut-être des centaines d’enfants protégés.
Et ça, franchement, ça vaut bien quelques nuits blanches pour les dirigeants honnêtes.
Le terrain de jeu de demain ne sera jamais parfait. Mais il peut au moins devenir sûr.
