Quand j’ai appris qu’une nouvelle plainte pour viol aggravé venait d’être déposée contre un animateur travaillant dans une école parisienne, j’ai eu ce pincement au ventre qu’on connaît tous quand on est parent. Ou simplement quand on a encore un peu d’humanité. Parce que là, on ne parle pas d’un fait divers lointain. On parle d’enfants de 3, 4 ou 5 ans. Dans nos écoles. À Paris. En 2025.
Et le pire, c’est que ce n’est pas un cas isolé. Ces dernières semaines, les signalements s’enchaînent. Deux plaintes pour viol, plusieurs autres pour agressions sexuelles. Des animateurs périscolaires mis en examen, placés sous contrôle judiciaire, parfois incarcérés. Des parents qui découvrent que leur enfant a peut-être subi l’irréparable pendant la pause méridienne ou l’atelier du soir.
On voudrait croire que c’est exceptionnel. Mais quand ça se répète, la question devient inévitable : comment est-ce possible ?
Un scandale qui éclabousse toute la chaîne
Ce qui rend l’affaire explosive, c’est surtout ce qui s’est dit cette semaine au Conseil de Paris. La droite n’a pas mâché ses mots. Des élus ont carrément accusé la majorité municipale d’avoir « recruté ces prédateurs ». Le terme est violent. Il suppose une responsabilité directe. Presque une complicité par négligence.
De l’autre côté, l’exécutif parle d’instrumentalisation politique à quatre mois des municipales. On évacue, on minimise, on renvoie vers l’Éducation nationale ou la justice. Mais dans les deux camps, on sent bien que personne n’est vraiment à l’aise.
Parce qu’au fond, la question n’est pas seulement politique. Elle est pratique. Comment se fait-il que des personnes condamnées par le passé, ou soupçonnées, aient pu se retrouver en contact avec des enfants ?
Le casier judiciaire : une passoire ?
En théorie, tout est clair. Pour travailler auprès d’enfants, il faut un casier B2 vierge. Point. C’est la loi. Sauf que dans la pratique, les choses sont un peu plus… nuancées.
J’ai discuté avec une ancienne directrice d’école qui a préféré rester anonyme. Elle m’a expliqué que les animateurs périscolaires ne sont pas toujours recrutés directement par l’école. Souvent, c’est la mairie d’arrondissement ou des associations qui gèrent. Et parfois, la vérification du casier arrive… après l’embauche.
« On signe un contrat, on commence à travailler, et le casier est demandé dans les semaines qui suivent. C’est aberrant, mais c’est comme ça depuis des années. »
Et quand on sait que certains faits ne figurent pas forcément sur le bulletin n°2 (parce que mineurs au moment des faits, ou parce que classés sans suite), on comprend que le filet n’est pas aussi serré qu’on voudrait le croire.
La pression du manque de personnel
Il y a un autre élément qu’on oublie souvent : le turn-over est énorme chez les animateurs. Le salaire est faible, les conditions difficiles, les horaires éclatés. Résultat ? On embauche parfois en urgence. Et en urgence, on ferme un peu les yeux.
- Une annonce postée en juillet, réponse en 48h
- Un entretien rapide, souvent par téléphone
- Une promesse d’embauche sous condition de casier vierge… qui arrive plus tard
- Et hop, l’animateur est dans l’école dès la rentrée
Je ne dis pas que c’est la règle partout. Loin de là. Mais quand on manque cruellement de bras, la tentation existe. Et c’est là que le risque apparaît.
Les signaux qu’on n’a pas voulu voir
Dans au moins un des cas récents, l’animateur mis en cause avait déjà été signalé. Des comportements étranges. Des remarques déplacées. Des enfants qui ne voulaient plus aller à la cantine ou à l’atelier du soir.
Mais qui a écouté ? Les parents ont prévenu l’école. L’école a prévenu la mairie. Et puis… plus rien. Ou presque. On change l’animateur de groupe. On le met sous surveillance. Mais on ne le vire pas forcément.
Pourquoi ? Parce que le remplacer, c’est compliqué. Parce que tant qu’il n’y a pas de « preuve », on ne peut pas rompre un CDI comme ça. Parce que, parfois, on a peur du procès aux prud’hommes.
Résultat : le prédateur potentiel reste. Et un jour, c’est la catastrophe.
Ce que les parents vivent vraiment
Je ne vais pas vous faire un cours de psychologie. Mais quand votre enfant de 4 ans vous dit qu’un « monsieur » lui a fait mal aux fesses, vous ne dormez plus. Vous vous demandez si c’est vrai. Si c’est grave. Si vous avez raté quelque chose.
Et quand vous apprenez que d’autres enfants ont peut-être vécu la même chose, vous avez envie de tout casser.
Une mère que j’ai pu joindre m’a raconté qu’elle avait retiré son fils de l’école du jour au lendemain. Elle paie désormais une nounou à prix d’or. Elle n’a plus confiance. En personne.
« On nous parle de transparence, de protocoles, de signalements. Mais quand ça arrive, on se sent seuls. Complètement seuls. »
Et maintenant ?
La mairie a annoncé des mesures. Renforcement des contrôles. Vérification systématique du casier avant toute prise de poste. Formation accrue des équipes. Mise en place d’un référent protection de l’enfance dans chaque école.
C’est bien. Mais est-ce que ça suffira ?
Ce qui me frappe, c’est que ces annonces arrivent toujours après. Après le drame. Après le scandale. Jamais avant.
On savait depuis des années que le système était fragile. Des rapports, des alertes, des associations qui tiraient la sonnette d’alarme. Mais il a fallu que des enfants soient victimes pour qu’on bouge vraiment.
Et encore, on bouge mollement. Parce que derrière les belles déclarations, il y a la réalité du terrain : manque de moyens, manque de personnel, manque de volonté politique parfois.
Ce qu’il faudrait faire, vraiment
- Vérification du casier judiciaire avant toute signature de contrat, sans exception
- Un entretien psychologique systématique pour les postes en contact avec les enfants
- Une formation obligatoire et régulière sur la détection des comportements inappropriés
- Un signalement anonyme possible pour les collègues qui remarquent quelque chose
- Et surtout : zéro tolérance. Au premier doute sérieux, suspension immédiate
Ça coûte de l’argent ? Oui. Mais protéger les enfants, ça n’a pas de prix.
Et tant qu’on continuera à penser que « ça n’arrive jamais » ou que « c’est exceptionnel », on laissera la porte ouverte à ceux qui n’auraient jamais dû approcher un enfant.
Ce n’est pas une question de droite ou de gauche. C’est une question de priorité. Et là, on a tous failli.
Je termine en pensant à ces petits qui rentrent chez eux sans rien dire. Parce qu’ils ne savent pas que ce qu’on leur a fait est mal. Parce qu’ils ont honte. Parce qu’ils ont peur.
Et je me dis qu’on a le devoir, tous – parents, enseignants, élus, citoyens – de faire en sorte que plus jamais un enfant n’ait à vivre ça. Dans aucune école. Nulle part.
Parce que si on échoue là, on échoue partout.
