Vous êtes-vous déjà demandé ce qui peut pousser des gens qui risquent leur vie tous les jours pour notre sécurité à poser leurs armes et à crier leur ras-le-bol devant leur propre mairie ? Mercredi 19 novembre, à Corbeil-Essonnes, c’est exactement ce qui s’est passé. Une scène presque surréaliste : des policiers municipaux en tenue, mais avec des brassards de grève, plantés sur la place Galignani, juste avant le conseil municipal. Et derrière les slogans, une réalité bien plus lourde qu’on ne l’imagine.
Quand la police municipale craque
Ils étaient une petite dizaine ce jour-là. Pas plus. Pourtant, le délégué syndical présent assure qu’ils auraient pu être beaucoup plus nombreux. La raison ? Une peur viscérale des représailles. Ce simple détail donne déjà la température : on ne parle pas d’un simple désaccord sur les primes ou les horaires. On parle d’un climat qui ronge de l’intérieur.
Et quand des agents chargés de faire respecter la loi ont peur de leurs propres supérieurs, c’est que quelque chose dysfonctionne profondément.
Un management qui laisse des traces
Le mot revient sans cesse : toxique. Pas juste une expression à la mode. Les agents décrivent un quotidien fait de remarques humiliantes, de changements d’affectation punitifs, de missions imposées sans concertation. Certains parlent même d’un sentiment d’être constamment surveillés, jugés, infantilisés.
« On a l’impression d’être des pions qu’on déplace selon l’humeur du jour »
– Un agent présent à la manifestation
Ce qui frappe, c’est que ces policiers ne sont pas des débutants. Beaucoup ont plus de dix ou quinze ans de maison. Ils ont connu différentes équipes municipales, différents directeurs. Et tous s’accordent à dire que la situation actuelle est inédite dans sa violence psychologique.
L’isolement, cette arme silencieuse
Parmi les maux dénoncés, il y en a un qui revient comme un refrain : le sentiment d’isolement. Pas seulement entre collègues – même si les clans et les tensions existent – mais surtout vis-à-vis de la hiérarchie. Les agents racontent des réunions où plus personne n’ose parler franchement. Des courriers qui restent sans réponse. Des décisions prises dans leur dos.
- Des agents mutés d’un service à l’autre sans explication claire
- Des plannings modifiés à la dernière minute, parfois par vengeance
- Des remarques personnelles déguisées en « retours professionnels »
- Un dialogue social réduit à peau de chagrin
À force, certains ont fini par se replier sur eux-mêmes. Burn-out, arrêts maladie, démissions : les signaux d’alerte sont là depuis longtemps. Mais il aura fallu cette grève pour que ça sorte enfin au grand jour.
Une grève très symbolique… et très stratégique
Choisir le jour du conseil municipal n’est évidemment pas un hasard. Les grévistes voulaient que les élus les voient. Qu’ils entendent. Et surtout, qu’ils soient obligés d’en parler en séance. Car oui, ironie du sort : ce sont ces mêmes policiers municipaux qui assurent normalement la sécurité des conseils municipaux. Ce soir-là, ils étaient là… mais en grévistes.
Le message est clair : on peut tout faire péter, mais on choisit de rester responsables. Pas de blocage, pas d’incident. Juste une présence. Une pancarte. Et beaucoup de dignité.
La peur des représailles : le vrai frein
Ce qui m’a le plus marqué, personnellement, c’est cette phrase lâchée presque à voix basse par un syndicaliste : « Beaucoup ont trop peur pour venir. Ils savent qu’on les identifiera sur les photos. » On parle d’agents assermentés, armés, qui protègent la population… et qui ont peur de perdre leur emploi ou de subir des sanctions s’ils montrent leur visage en manifestation.
Ça pose une question simple et brutale : jusqu’à quel point un management peut-il briser des femmes et des hommes censés incarner l’autorité ?
Et maintenant ?
La grève est illimitée. C’est rare dans la police municipale. Ça veut dire que les agents sont prêts à tenir. Mais ça veut aussi dire que la ville risque de se retrouver rapidement en difficulté sur certaines missions : sécurité des écoles, des marchés, des événements… Tout ce qui repose aujourd’hui sur ces policiers épuisés.
La mairie, contactée, n’a pas souhaité s’exprimer pour l’instant. Silence radio. Ce qui, dans ce genre de situation, en dit parfois plus long que n’importe quel communiqué.
Un problème bien plus large qu’une seule ville
Soyons honnêtes : Corbeil-Essonnes n’est pas un cas isolé. J’ai échangé ces dernières années avec des policiers municipaux de toute la France. Le même schéma revient souvent : des effectifs en sous-nombre, des attentes toujours plus grandes de la population, et parfois – trop souvent – une hiérarchie qui préfère l’autoritarisme au dialogue.
Ce qui se passe aujourd’hui dans cette ville de l’Essonne, c’est un peu le symptôme d’une malaise national qu’on refuse trop souvent de regarder en face.
« On n’est pas là pour faire la révolution. On veut juste pouvoir travailler dans la dignité. »
Cette phrase, prononcée par un gréviste, résume tout. Et elle fait écho à tant d’autres corporations aujourd’hui : soignants, enseignants, agents territoriaux… Des métiers de service public où on donne beaucoup, parfois tout, et où on finit par craquer quand plus personne ne vous écoute.
Alors oui, c’est « juste » une petite dizaine de policiers municipaux devant une mairie de banlieue. Mais dans leurs yeux, il y a toute la fatigue d’un système qui grince de partout.
Et quelque part, c’est aussi notre fatigue à tous.
À l’heure où j’écris ces lignes, la grève continue. Les négociations n’ont pas vraiment commencé. Et quelque part dans l’Essonne, des agents dorment mal, se demandent s’ils auront des sanctions, s’ils ont bien fait de parler… ou de se taire.
Une chose est sûre : ce mouvement, aussi modeste soit-il en apparence, mérite qu’on s’y arrête. Parce qu’il dit quelque chose de nous. De notre façon de traiter ceux qui nous protègent au quotidien.
Et ça, ça concerne tout le monde.
