Vous souvenez-vous de la première fois où votre smartphone a reconnu votre visage sans que vous ayez à taper un code ? Moi oui. Et derrière cette petite magie quotidienne se cache un Français discret, Yann LeCun, qui a littéralement inventé la technologie permettant à une machine de « voir ».
Aujourd’hui, cet homme vient de prendre une décision qui pourrait bien marquer un tournant dans l’histoire de l’intelligence artificielle. Fin 2025, il quittera le géant américain où il a passé les douze dernières années pour lancer sa propre aventure entrepreneuriale. Et franchement, quand on connaît ses positions, on se dit que ça sent la révolution.
Un départ qui fait trembler la Silicon Valley
On ne présente plus Yann LeCun. À 65 ans, le bonhomme traîne un CV long comme le bras : pionnier des réseaux de neurones convolutionnels, co-lauréat du prix Turing 2018 – l’équivalent du Nobel en informatique – et surtout, celui qui a permis à des machines de reconnaître des chats sur YouTube dès les années 2010. Bref, une pointure absolue.
Pendant plus d’une décennie, il a dirigé l’un des laboratoires de recherche les plus prestigieux du monde dans le domaine de l’IA. Mais quelque chose a changé ces derniers mois. Les priorités ont bougé. Les milliards ont commencé à pleuvoir sur une seule et unique approche : celle des grands modèles de langage.
Et là, petit problème : Yann LeCun n’y croit pas. Ou plutôt, il n’y croit plus comme unique voie royale vers une intelligence artificielle puissante.
Pourquoi il dit non aux LLM tout-puissants
Depuis des années, il le répète inlassablement : « Nous n’atteindrons pas l’intelligence artificielle générale avec les seuls modèles de langage. » Pour lui, faire ingurgiter des téraoctets de texte à une machine ne suffira jamais à lui donner une compréhension profonde du monde.
« Les chats ne deviennent pas intelligents en lisant des livres sur les chats. Ils deviennent intelligents en interagissant avec le monde. »
– Yann LeCun, à plusieurs reprises
Cette phrase, il l’a répétée jusqu’à l’usure. Et pourtant, elle reste d’une puissance rare. Parce qu’elle pointe du doigt le grand éléphant dans la pièce : nos IA actuelles sont formidables pour écrire des poèmes ou résumer des articles… mais demandez-leur de comprendre pourquoi une tasse tombe quand on la pousse du bord de la table, et c’est la catastrophe.
Elles n’ont aucune intuition physique. Aucune mémoire persistante du monde réel. Aucun « bon sens ».
La vision d’une IA qui « voit » et « touche » le monde
Ce que propose Yann LeCun, c’est radicalement différent. Imaginez une intelligence artificielle qui apprend comme un enfant : en regardant des vidéos, en observant des objets tomber, rouler, se casser. En comprenant que l’eau mouille, que le verre casse, que les chats retombent toujours sur leurs pattes.
Techniquement, cela passe par des architectures capables d’ingérer massivement des données visuelles et vidéo – bien plus riches que du texte – et d’en extraire des modèles prédictifs du monde physique. On parle de modèles monde, de raisonnement causal, d’apprentissage non supervisé à grande échelle.
- Des systèmes dotés d’une mémoire permanente (pas juste du contexte de 128 000 tokens)
- Capables de planifier des actions complexes sur de longs horizons temporels
- Qui comprennent les lois de la physique intuitivement
- Et qui peuvent transférer cet apprentissage à des robots dans le monde réel
Autrement dit : l’IA dont rêve LeCun, c’est celle qui rendra enfin la robotique intelligente. Pas des bras mécaniques qui répètent inlassablement la même tâche, mais des machines capables d’improviser, de s’adapter, de comprendre « pourquoi » elles font ce qu’elles font.
Un contexte interne qui a tout fait basculer
Mais pourquoi partir maintenant ? L’explication est à la fois organisationnelle et idéologique.
Ces derniers mois, la stratégie interne a profondément évolué. Une nouvelle structure a été créée, centralisant toutes les équipes IA sous une seule bannière. À sa tête ? Un entrepreneur de 28 ans, fondateur d’une start-up valorisée à des milliards, connu pour ses positions très… disons, « AGI ou rien ».
Du jour au lendemain, Yann LeCun s’est retrouvé avec un supérieur hiérarchique qui mise tout sur l’approche qu’il critique depuis des années. Difficile, dans ces conditions, de continuer à porter une vision différente.
Entre nous, on imagine mal l’ego – légitime – d’un prix Turing accepter de devenir le « monsieur loyal » d’une stratégie à laquelle il ne croit pas.
Ce que sa future start-up pourrait changer
Concrètement, que va-t-il faire ? Il l’a écrit noir sur blanc : créer des systèmes « susceptibles de comprendre le monde physique, dotés d’une mémoire permanente, capables de raisonner et de concevoir des actions complexes ».
Traduction : il veut construire les fondations de ce que certains appellent l’intelligence artificielle incarnée. Pas une IA qui vit dans le cloud et qui parle bien, mais une IA qui habite le monde comme nous.
Les applications ? Elles sont immenses.
- Des robots domestiques réellement utiles (pas juste des aspirateurs qui tournent en rond)
- Des voitures autonomes qui comprennent vraiment leur environnement
- Des assistants chirurgicaux capables d’anticiper les gestes
- Des systèmes industriels flexibles, capables de s’adapter à des tâches jamais vues
On parle potentiellement d’un marché de plusieurs milliers de milliards de dollars. Et surtout, d’un changement de paradigme aussi important que l’a été le passage des règles codées main aux réseaux de neurones il y a trente ans.
Et la France dans tout ça ?
Petit aparté qui me tient à cœur : Yann LeCun est Français. Formé en France. Et pourtant, il a dû traverser l’Atlantique pour que ses idées explosent.
Son départ pour créer sa start-up pose une question brutale : serons-nous capables, cette fois, de retenir nos talents ? Ou allons-nous encore regarder un pionnier de l’IA construire l’avenir… depuis la Californie ?
Il y a quelques années, une autre figure française de l’IA avait fait le chemin inverse en revenant créer son labo à Paris. On sait ce que ça a donné : un succès retentissant. Peut-être le moment est-il venu de jouer collectif.
Pourquoi ce départ est peut-être une excellente nouvelle
Paradoxalement, ce départ pourrait être la meilleure chose qui arrive à l’écosystème IA depuis longtemps.
Tant que toutes les ressources étaient concentrées sur une seule approche – les LLM – on courait le risque d’un immense cul-de-sac. Aujourd’hui, l’un des esprits les plus brillants de la discipline va pouvoir explorer une voie alternative, avec la liberté totale d’une start-up.
C’est exactement comme ça que naissent les grandes ruptures technologiques. Souvenez-vous : Google est né parce que deux étudiants en avaient marre des moteurs de recherche de l’époque. Tesla est né parce qu’Elon Musk trouvait les voitures électriques moches et pas assez performantes.
Et si la prochaine grande révolution de l’IA naissait… d’un désaccord ?
Une chose est sûre : en 2030, quand on regardera en arrière, ce départ de novembre 2025 apparaîtra peut-être comme le moment précis où l’histoire a basculé.
Et quelque part, ça fait du bien de voir que même à 65 ans, on peut encore avoir l’audace de tout plaquer pour construire le futur dont on rêve.
Respect, professeur.
