Il y a des chiffres qui cognent plus fort que d’autres. Plus de 3 500 personnes, dont des enfants, dorment aujourd’hui dans les rues de la capitale. Pas dans une ville lointaine, non : à Paris, la ville lumière, celle des cartes postales et des restaurants étoilés. Et pourtant, chaque soir, des tentes poussent comme des champignons le long du canal Saint-Martin, sous les ponts du périphérique ou même sur les grilles du jardin des Tuileries.
J’y étais il y a quelques jours, porte de la Chapelle. Le froid de novembre vous rentre dans les os, et là, au milieu des camions qui klaxonnent, une gamine d’à peine six ans faisait ses devoirs sur un carton, éclairée par la lampe frontale de son père. Cette image, elle ne me quitte plus. Et je me dis que 2026, ce n’est pas dans dix ans. C’est demain.
Le sans-abrisme à Paris n’est plus une crise, c’est une réalité quotidienne
On a beau répéter les chiffres, ils restent abstraits tant qu’on ne les a pas vus de ses propres yeux. Les associations qui font le comptage chaque nuit arrivent au même constat : on dépasse largement les 3 500 personnes à la rue rien que dans Paris intra-muros. Et ce chiffre ne prend même pas en compte ceux qui squattent des halls d’immeuble ou dorment dans leur voiture.
Ce qui frappe surtout, c’est la diversité des profils. Il y a bien sûr les habitués du bitume, ceux qu’on croise depuis des années. Mais de plus en plus, ce sont des familles entières, des travailleurs précaires qui ont perdu leur logement, des étudiants qui n’ont pas les moyens de se payer un studio, et même des réfugiés qui attendent encore leur titre de séjour.
Le pire ? Les enfants. Quand on sait qu’un enfant sur cinquante scolarisé à Paris a déjà dormi dehors au moins une nuit cette année, on comprend que le sujet n’est plus seulement social. Il est politique. Et il sera forcément au cœur de la campagne des municipales 2026.
Les camps qui se reconstituent plus vite que les mises à l’abri
À peine la police a-t-elle évacué un campement que, deux jours plus tard, les tentes réapparaissent vingt mètres plus loin. C’est le serpent qui se mord la queue. Les opérations « mise à l’abri » sont souvent présentées comme des solutions, mais en réalité, beaucoup de personnes se retrouvent dehors à nouveau au bout de quelques semaines.
Pourquoi ? Parce que les places d’hébergement d’urgence sont saturées et que le 115, le numéro d’urgence, décroche rarement. Quand il décroche, c’est souvent pour dire qu’il n’y a rien. Rien pour une mère seule avec trois enfants. Rien pour un couple de retraités qui touche 900 euros par mois. Rien.
« On nous déplace comme des meubles. On nous promet une solution durable, et trois semaines plus tard on est de retour sous une tente. »
– Un père de famille rencontré porte d’Aubervilliers
Ce que les candidats aux municipales 2026 mettent vraiment sur la table
À un an du scrutin, tous les prétendants au fauteuil de maire ont compris que le sujet est explosif. Personne ne veut être celui ou celle qui aura ignoré la souffrance visible à chaque coin de rue. Mais derrière les grandes déclarations d’intention, qu’est-ce qui est vraiment proposé ?
1. Créer massivement du logement très social : l’objectif des 3 500 places
Plusieurs candidats, toutes tendances confondues, avancent le même chiffre symbolique : 3 500 nouveaux logements très sociaux à créer d’ici la fin du prochain mandat. L’idée est simple : un sans-abri, une place pérenne. Pas une solution temporaire, pas un gymnase ouvert trois mois, mais un vrai chez-soi.
Concètement, cela passerait par :
- La transformation accélérée de bureaux vides (Paris en compte des dizaines de milliers de mètres carrés inoccupés)
- La préemption massive de logements vacants appartenant à des propriétaires institutionnels
- Des partenariats renforcés avec les bailleurs sociaux pour sortir des places plus rapidement
- La construction modulaire sur des terrains municipaux déjà disponibles
Est-ce réaliste ? Certains y croient dur comme fer. D’autres estiment que sans une réforme profonde du droit de propriété et des normes urbanistiques, on restera dans le rêve.
2. L’« Airbnb de la solidarité » : la bonne idée qui fait débat
Une proposition revient souvent et fait parler : transformer une partie des 80 000 logements Airbnb parisiens en hébergement d’urgence citoyen. L’idée ? Inciter (ou obliger) les propriétaires qui louent en courte durée à mettre leur bien à disposition des familles à la rue quand ils ne le louent pas.
En échange : une indemnité garantie par la Ville, un accompagnement social, et une exonération fiscale attractive. Certains parlent même d’une plateforme publique qui mettrait en relation les propriétaires solidaires et les familles en attente d’hébergement.
Avantage : ça existe déjà à petite échelle dans certaines villes européennes et ça marche plutôt bien. Inconvénient : beaucoup de propriétaires risquent de hurler au viol de la propriété privée. Et puis, est-ce vraiment une solution digne de loger une famille dans un trois-pièces meublé pour touristes ?
3. Réquisition douce des locaux vides : le retour d’une vieille idée
D’autres candidats veulent aller plus loin : réquisitionner (de façon temporaire et indemnisée) les milliers de mètres carrés de bureaux, commerces et logements vides appartenant à l’État, à la Ville ou à de grands groupes.
On parle de plusieurs dizaines de sites déjà identifiés : anciens hôpitaux, casernes désaffectées, immeubles de la SNCF ou de la RATP… L’idée est de les transformer rapidement en centres d’hébergement dignes, avec accompagnement social renforcé.
4. L’intervention immédiate : ne plus laisser personne s’installer durablement
Une autre philosophie émerge : agir dès les premiers jours de rue. Plutôt que d’attendre que des camps de plusieurs centaines de tentes se forment, des équipes mobiles renforcées (assistants sociaux, médiateurs, éducateurs) interviendraient en 48 heures maximum pour proposer une solution adaptée.
L’objectif : casser la dynamique de l’installation longue qui rend ensuite tout retour à une vie normale plus compliqué. Certains candidats veulent même créer un « droit opposable à l’hébergement d’urgence » réellement appliqué, avec sanctions pour l’État en cas de défaillance.
Et les sortants ? Continuité ou rupture ?
Ceux qui sont déjà dans la majorité municipale mettent en avant ce qui a déjà été fait : ouverture de nouveaux centres, haltes de nuit, bains-douches supplémentaires… Mais beaucoup d’associations estiment que c’est une goutte d’eau face à l’ampleur du problème.
Le débat est ouvert : faut-il continuer à gérer l’urgence ou enfin s’attaquer aux causes profondes (spéculation immobilière, manque criant de logements sociaux, explosion des loyers privés) ?
« On ne peut plus se contenter de gérer la misère. Il faut la faire reculer durablement. »
– Une candidate qui monte dans les sondages
Ce qui est sûr, c’est que les Parisiens ne veulent plus détouner le regard. Les tentes sous leurs fenêtres, les enfants qui dorment dans le froid, ça ne passe plus. La prochaine maire ou le prochain maire de Paris sera forcément jugé sur ce terrain-là.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Quelle proposition vous semble la plus crédible ? La plus urgente ? Dites-le moi en commentaire, parce que franchement, on a tous une part de responsabilité dans ce qui se passe sous nos yeux tous les jours.
En attendant 2026, des gestes forts existent déjà : des maires d’arrondissement qui ouvrent leurs locaux la nuit, des citoyens qui hébergent chez eux, des associations qui ne lâchent rien. Mais on le sait tous : sans volonté politique massive, rien ne changera vraiment.
Paris peut-elle redevenir une ville où personne ne dort dehors ? La réponse est entre les mains de ceux qui vont se présenter dans un an. Et entre les nôtres aussi, quelque part.
