Vous arrive-t-il parfois d’écouter un morceau et de vous dire : « Celui-là, il va rester » ? Moi, ça m’a fait ça l’été dernier quand « Parade » a retenti pour la première fois sous la Tour Eiffel. Des centaines de millions de téléspectateurs, moi compris, avons eu la chair de poule. L’auteur de cette émotion collective ? Victor Le Masne. Et aujourd’hui, l’homme qui a signé l’un des hymnes les plus marquants de l’histoire olympique vit… à Los Angeles. Oui, la vraie, celle des palmiers et des rêves en cinémascope.
Un déménagement qui fait jaser dans le milieu musical français
Franchement, quand j’ai appris la nouvelle, j’ai d’abord cru à une rumeur. Victor Le Masne, ce Parisien pur jus qui a passé les deux dernières années à orchestrer musicalement les plus grands moments de la France (JO, commémoration du 13 novembre…), partir sous le soleil californien ? Et puis j’ai compris. Parfois, quand on a touché le sommet chez soi, il faut aller voir ailleurs si l’air est plus respirable pour créer.
Il y a quelques semaines seulement, il bouclait encore ses cartons entre deux répétitions. Aujourd’hui, il répond aux interviews depuis son nouveau salon avec vue sur l’océan Pacifique, un café à la main et l’accent qui commence déjà à se teinter d’un léger roulis américain. « Tout est extrême ici », me confie-t-il en rieur après le passage d’une mini-tempête. C’est peu de le dire.
Parade : l’hymne qui a conquis le monde… et les mariés
On va être honnête : peu de gens misaient sur « Parade » avant les Jeux. Et pourtant. Dès les premières notes, ce morceau a littéralement explosé. Victor Le Masne le raconte avec une pointe d’amusement :
« Des gens se marient dessus, vous vous rendez compte ? J’ai reçu des vidéos du monde entier : Japon, Brésil, Norvège… Des couples qui choisissent Parade pour leur entrée dans l’église ou leur première danse. C’est complètement fou. »
Personnellement, j’ai vu une vidéo d’un mariage en Italie où toute la salle s’est mise à chanter le thème en chœur. Moment magique. Le morceau est devenu bien plus qu’un hymne sportif : il est devenu une bande-son générationnelle.
Et le plus fort ? Victor n’a pas cherché à faire « moderne pour être moderne ». Il a simplement marié l’orchestre symphonique avec des grands soirs à des touches électroniques subtiles, un peu à la manière de ce que faisait Ravel lui-même en son temps avec ses expérimentations. Résultat : une œuvre intemporelle qui parle à la fois aux puristes et aux gamins de 15 ans sur TikTok.
Ravel Recomposed : quand un Français fait renaître Ravel à Hollywood
Justement, parlons de Ravel. Le 20 novembre sort Ravel Recomposed, son nouvel album sur le mythique label jaune Deutsche Grammophon. Rien que ça. Quand on sait que ce label a signé Karajan, Bernstein ou Anne-Sophie Mutter, on mesure le chemin parcouru.
L’idée ? Reprendre certains chefs-d’œuvre de Maurice Ravel (le Boléro, la Pavane pour une infante défunte, le Tombeau de Couperin…) et les réinventer avec une orchestration contemporaine, des couleurs électroniques discrètes et une énergie presque cinématographique. Le résultat est absolument saisissant.
Écoutez la version du Boléro : là où Ravel construisait une montée inexorable pendant 15 minutes, Victor Le Masne la fait exploser en à peine 6, avec des cuivres qui claquent et des basses qui font trembler les enceintes. C’est osé. C’est brillant. Et surtout, ça fonctionne.
« Ravel était un innovateur. Il aurait adoré les synthétiseurs et les logiciels d’aujourd’hui. Mon but n’était pas de “moderniser pour moderniser”, mais de prolonger son geste créatif dans notre époque. »
Victor Le Masne
Et le pire, c’est qu’il a raison. Quand on écoute la Pavane, on a l’impression que Ravel lui-même aurait pu l’écrire en 2025 après une nuit blanche à écouter du Hans Zimmer.
Los Angeles : le nouveau terrain de jeu d’un compositeur français
Mais pourquoi Los Angeles, précisément ? La réponse est à la fois simple et terriblement ambitieuse.
- La musique de film, évidemment. Hollywood reste la mecque du cinéma et les compositeurs français y sont de plus en plus courtisés (Alexandre Desplat, Ludovic Bource…).
- Un écosystème incroyable pour la musique à l’image : studios d’enregistrement dernier cri, orchestres de session parmi les meilleurs du monde.
- Une qualité de vie qui change des hivers parisiens (même si Victor avoue que la pluie lui manque parfois).
- Et surtout : la possibilité de travailler sur des projets fous, sans limite budgétaire ni artistique.
Il me confie d’ailleurs qu’il a déjà plusieurs pistes sérieuses pour des longs-métrages. « Ici, quand tu dis que tu veux 120 musiciens + un chœur + des percussions ethniques, on te répond “OK, mardi prochain ça te va ?”. À Paris, il faut six mois de négociations. »
Le choc culturel est violent, mais stimulant. Lui qui dirigeait l’Orchestre de chambre de Paris se retrouve à déjeuner avec des légendes vivantes de la musique de film. « L’autre jour, j’étais à une table avec un type qui a fait la BO d’Inception. J’ai failli m’étouffer avec mon avocado toast. »
Le Requiem des lumières : diriger à distance une cérémonie bouleversante
Même installé à l’autre bout du monde, Victor Le Masne n’a pas coupé les ponts avec la France. Preuve en est : il a composé et dirigé en direct, depuis la Californie, la musique de la cérémonie des dix ans des attentats du 13 novembre.
Un « Requiem des lumières » d’une rare intensité, où les cordes semblaient pleurer et les cuivres porter l’espoir. Diffusé en mondovision, ce moment a bouleversé des millions de personnes.
Techniquement, c’était un exploit : diriger un orchestre à Paris avec 9 heures de décalage horaire, en pleine nuit californienne, avec une connexion internet parfaite. « J’étais en pyjama avec un casque, à 3h du matin, et je pleurais devant mon écran. C’était… particulier. »
Et maintenant ?
Victor Le Masne le dit lui-même : il n’a jamais autant composé de sa vie. Entre les projets de musique à l’image, un possible deuxième volume de Ravel recomposé, et des idées qui fusent à chaque coin de rue californien, on sent que quelque chose de grand se prépare.
L’aspect le plus intéressant, selon moi ? Il incarne parfaitement cette nouvelle génération de compositeurs français qui n’ont plus peur de mélanger les genres. Plus peur de partir. Plus peur de rêver en grand.
Alors oui, la France perd un peu de son génie. Mais quelque part, elle le prête au monde. Et franchement ? On a plutôt intérêt à être fiers.
Parce que quand on écoute « Parade » en conduisant sur Mulholland Drive, ou qu’on voit des mariés danser sur un morceau écrit pour les JO, ou qu’on découvre un Boléro qui fait vibrer les salles obscures… On se dit que la musique française n’a jamais été aussi vivante.
Et quelque part, grâce à Victor Le Masne, elle parle désormais avec un léger accent californien.
