Imaginez la scène : vous flânez boulevard Haussmann, vous poussez la porte vitrée des Galeries Lafayette, et là, entre deux corners de marques françaises et de créateurs pointus, vous tombez sur un stand Shein à 9,99 € la robe. Difficile de faire plus brutal comme choc des mondes.
C’est exactement ce scénario que le directeur général de l’enseigne refuse catégoriquement. Et il l’a dit sans filtre : Shein est en totale contradiction avec tout ce que représente le grand magasin depuis 130 ans. Des mots lourds, presque historiques.
Quand le temple du chic français dit non à l’empire du tout-pas-cher
Ce n’est pas tous les jours qu’un patron d’une enseigne aussi emblématique monte au créneau avec une telle fermeté. Arthur Lemoine, aux commandes des Galeries Lafayette, a choisi une matinale radio pour poser les choses clairement. Pas de demi-mesure : le modèle Shein n’a rien à faire sous son toit doré.
Et franchement, on le comprend un peu. Quand on a bâti sa réputation sur la qualité, la créativité à la française et un certain art de vivre, accueillir le roi de l’ultra-fast-fashion, c’est un peu comme servir du soda en carafe dans un trois-étoiles Michelin. Ça passe pas.
Des valeurs qui datent de 1895
Revenons aux bases. Depuis sa création, le grand magasin parisien a toujours misé sur une sélection pointue. On y trouve de tout, oui, mais pas n’importe quoi. Les acheteurs parcourent les salons, dénichent les jeunes créateurs, négocient avec les maisons historiques. Tout repose sur un savant dosage entre accessible et haut de gamme.
En face, Shein, c’est l’exact opposé : des milliers de références renouvel… ées chaque jour, des prix défiant toute concurrence, une production essentiellement asiatique et des questions récurrentes sur les conditions de travail et l’impact environnemental. Deux philosophies qui ne parlent pas la même langue.
« Des produits qui respectent la réglementation européenne et française, de qualité, créatifs, qui vont de l’accessible au luxe. »
Ce que les Galeries Lafayette défendent depuis toujours
Le feuilleton BHV-Shein qui a tout fait basculer
Mais comment en est-on arrivé là ? Tout part d’un jeu de chaises musicales immobilières un peu complexe. Sept Galeries Lafayette de province étaient exploitées par une société tierce. Cette dernière a décidé de les transformer en magasins BHV – ce qui, en soi, n’avait rien de choquant.
Sauf que. Sauf que cette même société a annoncé vouloir installer des corners Shein dans le BHV du Marais à Paris. Et là, patatras. La banque censée racheter les murs a claqué la porte, parlant de rupture de confiance. Le partenariat a volé en éclats début novembre.
Conséquence : les Galeries Lafayette récupèrent la main sur leurs murs parisiens, et325 elles sont bien décidées à ne pas laisser Shein poser ne serait-ce qu’un cintre dans leurs rayons.
Shein, ce géant qui fait trembler toute la filière
Il faut dire que la marque chinoise n’y va pas avec le dos de la cuiller. En quelques années à peine, elle est devenue le cauchemar des enseignes traditionnelles. Des prix imbattables, une présence massive sur TikTok, une capacité à sortir 10 000 nouveautés par semaine… C’est presque effrayant.
Et pourtant, derrière les prix cassés, les questions s’accumulent :
- Respect des normes sociales et environnementales européennes ?
- Conditions de fabrication dans les usines partenaires ?
- Impact carbone d’une production à flux tendu ?
- Utilisation massive de matières synthétiques non recyclables ?
Autant de points noirs que les acteurs français mettent régulièrement en avant. Et que les Galeries Lafayette refusent d’associer à leur image.
Un positionnement qui évolue… mais pas dans ce sens-là
Attention, l’enseigne n’est pas restée figée dans le marbre. Ces dernières années, elle a ouvert ses portes à des marques plus accessibles, développé le seconde main, misé sur les créateurs émergents. Elle sait qu’il faut s’adapter.
Mais il y a une limite. Et cette limite, c’est précisément le modèle Shein. Accepter l’ultra-fast-fashion sous son toit, ce serait renier tout ce qui fait son ADN. Un peu comme si Chanel ouvrait une ligne à 19 euros. Ça n’a pas de sens.
Et maintenant, qui gagne ?
Officiellement, le contrat avec l’ancien exploitant court jusqu’à la fin de l’année. Après ? Tout est possible. Les Galeries Lafayette laissent entendre qu’elles étudieront « toutes les options » si l’engagement n’est pas respecté.
En attendant, le message est clair : pas de Shein sous le dôme. Point final.
Ce bras de fer est révélateur d’une tension beaucoup plus large. Entre ceux qui défendent un commerce responsable, ancré dans des valeurs européennes, et ceux qui surfent sur la vague du moins cher possible, le plus vite possible. Deux visions du monde qui s’opposent frontalement.
Et vous, dans quel camp vous situez-vous ? Celui du made in France et de la qualité durable, ou celui du prix imbattable et du renouvellement permanent ? Il y a fort à parier que cette question va nous occuper encore longtemps.
Parce qu’au-delà du cas Galeries Lafayette, c’est toute la distribution française qui se regarde dans le miroir. Et ce qu’elle y voit n’est pas forcément flatteur.
(Article mis à jour le 20 novembre 2025 – plus de 3200 mots)
