Ce matin, en grattant le pare-brise, je me suis dit la même chose que vous : « Ça y est, l’hiver est là, et il cogne fort. » Neige en plaine, gelées généralisées, températures qui flirtent avec les négatifs dès le réveil… Sur les réseaux, c’est l’hystérie collective : « vague de froid historique ». Sauf que, techniquement, on en est très loin. Et cette différence entre ressenti et réalité officielle mérite qu’on s’y arrête cinq minutes, le temps de réchauffer ses mains autour d’un café.
Non, ce n’est pas (encore) une vague de froid
En France, le terme « vague de froid » n’est pas balancé à la légère par les météorologues. Il existe des critères précis, presque bureaucratiques, et ils sont rarement remplis ces dernières décennies. Résultat ? Ce qu’on vit en ce moment, aussi désagréable soit-il quand on sort le chien à 6h30, ne passe même pas près du seuil officiel.
Les trois règles d’or que personne ne respecte (sauf les pros)
Pour qu’on puisse parler de vague de froid à l’échelle nationale, il faut cocher trois cases en même temps :
- Une température moyenne nationale (calculée sur 30 stations représentatives) qui descend au moins une fois sous -2 °C.
- Cette température doit rester « durablement » basse : pas plus de deux jours consécutifs au-dessus de 0,9 °C.
- L’épisode s’arrête net dès que la moyenne dépasse 2,2 °C plusieurs jours.
Or, en ce 20 novembre 2025, on tourne autour de 0 °C en moyenne nationale les jours les plus froids prévus. C’est frisquet, certes. Mais on reste à bonne distance du seuil fatidique des -2 °C. Autrement dit, on est dans un épisode hivernal classique de fin novembre, pas dans une vague de froid au sens strict.
« On a beau avoir des gelées généralisées et de la neige à basse altitude, l’indicateur thermique national ne ment pas : on est encore dans les clous d’un automne qui se termine en beauté, pas dans un événement exceptionnel. »
– Un spécialiste de la climatologie française
Et à l’échelle régionale alors ?
Il existe bien une définition régionale : trois jours consécutifs avec des températures nettement inférieures aux normales locales. Là encore, on n’y est pas tout à fait. Le Nord-Est a vu -5 °C certains matins, c’est vrai, mais ça reste dans la fourchette « froid normal » pour la saison dans ces régions. Rien de comparable avec les -15 °C à -20 °C qu’on pouvait connaître il y a quinze ou vingt ans.
D’ailleurs, j’ai ressorti les archives pour comparer. Et là, franchement, on prend une claque.
2012 vs 2025 : le match qui fait mal
Prenez le 3 février 2012. À 9h du matin, la France ressemblait à un congélateur ouvert :
- Strasbourg : -18 °C
- Paris : -10 °C (en pleine matinée !)
- Même Bordeaux frôlait les -8 °C
- Seule la Bretagne et la Côte d’Azur échappaient au gel sévère
Ce mardi matin, le « grand froid » 2025 ? On a atteint -5 °C dans le Grand Est, 0 °C à Paris avec une petite couche de neige. Autrement dit, notre matinée la plus froide de la semaine équivaut… à l’après-midi du 3 février 2012. Laissez ça poser deux secondes.
Et ce n’est pas juste une anecdote. C’est la démonstration brutale que nos hivers se radoucissent, même quand ils nous semblent rudes.
Le vrai phénomène : la disparition des vrais hivers
Depuis 1947, on a recensé seulement 46 vagues de froid nationales. La dernière « grande » remonte à février 2012. Celle de 2018 ? Trois petits jours, et encore, très soft. On voit clairement la courbe : les épisodes extrêmes de froid deviennent rares comme des jours sans pluie en Bretagne.
Et ce n’est pas parce qu’on est devenus des chochottes (même si, avouons-le, le chauffage au sol a changé la donne). C’est parce que le réchauffement climatique joue à plein. On gagne des degrés en hiver, on perd des jours de gel, et on voit la neige descendre de plus en plus bas… mais jamais aussi intensément qu’avant.
Regardez les chiffres : les dix hivers les plus doux depuis 1900 ? Huit sont après 2000. Les records de froid, eux, datent presque tous d’avant 1980. C’est parlant.
Pourquoi on a l’impression que c’est pire ?
Plusieurs raisons se mélangent :
- On sort d’automnes très doux : le contraste est violent.
- Les logements sont mieux isolés, mais on passe plus de temps dehors (télétravail, trottinettes électriques en novembre…).
- Et surtout : on a perdu l’habitude. Nos parents marchaient 2 km dans la neige pour aller à l’école, nous on râle quand il faut gratter la voiture cinq minutes.
Moi le premier. Je me surprends à trouver « glacial » un matin à 2 °C alors que gamin, on faisait des bonhommes de neige à -8 °C sans moufles.
Et la suite ? Doit-on s’attendre au retour du vrai froid ?
Rien ne le laisse penser à long terme. Les modèles climatiques sont unanimes : les vagues de froid deviendront de plus en plus rares, courtes et localisées. On aura encore des coups de froid, bien sûr – l’hiver reste l’hiver – mais les épisodes à la 1956 ou 1985, où la Seine gelait à Paris ? C’est presque du domaine du souvenir.
En attendant, profitons de cette petite parenthèse neigeuse. Parce que dans dix ans, voir des flocons en Île-de-France en novembre risque de devenir l’exception, pas la règle.
Alors oui, sortez les bonnets, prenez des photos des enfants qui découvrent la neige pour la première fois, râlez un bon coup en grattant le pare-brise… mais gardons en tête que ce qu’on vit là, c’est déjà un hiver « light » version 2025.
Et quelque part, ça fait réfléchir.
PS : Si jamais on descend sous les -2 °C de moyenne nationale d’ici la fin de l’épisode, je vous ferai un désaveu public. Mais je parie ma doudoune Canada Goose que ça n’arrivera pas.
