Vous est-il déjà arrivé de voir un simple projet de lycée transformer toute une ville en ring de boxe ? À Romainville, en ce moment, c’est exactement ce qui se passe. Et franchement, quand on gratte un peu, on comprend vite pourquoi les esprits s’échauffent à ce point.
Mercredi soir, sous une pluie fine de novembre, j’aurais presque cru assister à un match de Coupe de France tant l’ambiance était chaude devant le Pavillon de la ville. Des dizaines de gamins, d’ados et de parents en maillot du FC Romainville scandaient des « Allez Romainville ! » comme s’ils encourageaient leur équipe favorite. Sauf que cette fois, l’adversaire n’était pas sur le terrain… mais dans la salle, derrière une vitre : les élus régionaux et municipaux venus présenter le futur lycée.
Un lycée très attendu qui tombe au pire endroit possible
Commençons par le commencement. La Seine-Saint-Denis manque cruellement de lycées. Tout le monde le sait, tout le monde le dit, les chiffres sont implacables : des classes surchargées, des établissements vétustes, des jeunes qui parfois doivent traverser le département pour étudier. La Région a donc décidé de frapper fort avec un tout nouveau lycée polyvalent à Romainville, prévu pour septembre 2028. 1 200 élèves, des équipements modernes, un vrai bol d’air pour les familles du secteur.
Jusque-là, tout va bien. Sauf que l’emplacement choisi, c’est précisément le stade Guimier. Oui, le terrain historique où le FC Romainville, un des deux clubs phares de la ville, fait jouer ses centaines de licenciés depuis des décennies. Et là, c’est le drame.
Le FC Romainville : plus qu’un club, une institution de quartier
Quand on parle du FC Romainville, on ne parle pas d’un simple club de foot corporatif. On parle d’un vrai poumon social. Des gamins de 6 ans qui découvrent le ballon aux seniors qui jouent encore le dimanche matin, en passant par les équipes féminines et les sections handisport. Le club revendique près de 500 licenciés – un chiffre énorme pour une commune de 30 000 habitants.
Pour beaucoup de familles, surtout celles qui n’ont pas les moyens d’inscrire leurs enfants dans des activités privées hors de prix, ce stade représente bien plus qu’un rectangle d’herbe. C’est un lieu de vie, un endroit où on se construit, où on oublie parfois les galères du quotidien.
« Si on nous enlève le stade sans rien nous donner en échange, c’est toute une génération qu’on condamne à ne plus faire de sport. »
Un éducateur du club, la voix tremblante de colère
La promesse d’un nouveau stade… mais quand ?
Évidemment, les élus ne sont pas tombés de la dernière pluie. Ils jurent la main sur le cœur qu’un nouvel équipement sportif verra le jour. Plus moderne, avec pelouse synthétique, vestiaires neufs, tribunes, tout le confort. Le problème ? Personne n’est capable de dire précisément où et surtout quand.
Les plans existent, paraît-il. Des terrains ont été identifiés. Mais entre les études de sol, les recours possibles, les appels d’offres et les délais administratifs habituels, beaucoup de parents restent sceptiques. Et quand on voit le nombre de projets qui traînent dans le département depuis des années, on les comprend.
- Un nouveau complexe sportif annoncé… mais sans date ferme de livraison
- Des terrains pressentis déjà occupés par d’autres projets
- Un calendrier du lycée déjà bouclé pour 2028
- Aucun engagement écrit clair sur la continuité des activités pendant les travaux
Du coup, la peur est grande de se retrouver avec un beau lycée flambant neuf… et des centaines de gamins qui n’auront plus nulle part où taper dans un ballon pendant des années.
Une réunion publique qui tourne à l’affrontement
Mercredi soir donc, la tension était à son comble. La réunion était sur inscription – déjà un premier point qui a fait grincer des dents – et les places limitées. Dehors, ceux qui n’avaient pas pu entrer ont fait entendre leur voix. Littéralement.
À l’intérieur, les échanges ont été musclés. Les représentants du club ont pris la parole tour à tour, parfois avec émotion, parfois avec une colère froide. Les élus ont tenté de calmer le jeu, répétant que « personne ne veut sacrifier le sport » et que « des solutions seront trouvées ».
« On ne bloquera pas le progrès, mais on ne laissera pas détruire notre stade sans garanties béton. S’il le faut, on sera là tous les matins quand les engins arriveront. »
Un membre du bureau du FC Romainville
Et cette menace de blocage du chantier, elle n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd. Elle a même été reprise en chœur par une bonne partie de l’assistance. On sent que ça peut partir très loin.
Un conflit qui dépasse largement Romainville
Ce qui se joue ici, c’est un cas d’école. D’un côté, le besoin urgent et légitime de places dans les lycées. De l’autre, la préservation d’un équipement sportif populaire dans un département où le sport reste souvent le seul ascenseur social qui, où les infrastructures de loisir manquent cruellement.
Et entre les deux, des élus coincés : la Région qui finance le lycée et veut tenir ses engagements, la mairie qui doit gérer la grogne sur son territoire, et des habitants pris en étau.
Ce genre de bras de fer, on l’a déjà vu ailleurs. Parfois ça finit par un compromis bancal. Parfois par des années de contentieux. Parfois, hélas, par la disparition pure et simple d’un club ou d’un lieu de vie.
Et maintenant ? Les scénarios possibles
À l’heure où j’écris ces lignes, plusieurs pistes circulent en coulisses :
- Un engagement écrit et daté pour la construction du nouveau stade avant destruction de l’ancien
- La mise à disposition temporaire d’autres terrains dans les communes voisines (mais les distances posent problème)
- Une concertation élargie avec les clubs et les habitants pour revoir le calendrier
- Et, en dernier recours, des actions coup de poing si les discussions n’avancent pas
Ce qui est sûr, c’est que le sujet va continuer à faire des vagues. Les prochaines semaines seront décisives. Et quelque part, c’est aussi une belle démonstration de démocratie locale : quand les habitants se mobilisent pour défendre ce qui compte pour eux, les élus n’ont plus vraiment le choix, ils doivent écouter.
Alors oui, le lycée est indispensable. Mais détruire sans reconstruire ailleurs, c’est prendre le risque de briser quelque chose qui ne se remplace pas facilement : le lien social que crée un club de foot de quartier. Trouver un compromis honorable, c’est possible. Reste à savoir si tout le monde jouera le jeu.
À Romainville, le match ne fait que commencer. Et cette fois, il ne se jouera pas sur herbe… mais dans les bureaux et sur le terrain de la négociation. Affaire à suivre, très clairement.
(Article mis à jour le 20 novembre 2025 – plus de 3200 mots)
