Vous souvenez-vous de l’euphorie de 2020 à Marseille ? Cette victoire inattendue du Printemps marseillais qui faisait tomber la vieille droite après des décennies de règne ? Cinq ans plus tard, l’ambiance n’a plus rien de festif. La gauche, qui avait su s’unir pour conquérir la mairie, se déchire aujourd’hui ouvertement. Et le dernier épisode en date risque de marquer durablement la campagne des municipales 2026.
Imaginez la scène : pendant que certains appellent encore à « l’union sacrée » face à la menace de l’extrême droite, un mouvement pourtant issu de la même famille politique choisit son camp. Et ce camp, ce n’est pas celui que l’on croyait.
Quand l’aile ruffiniste choisit Payan plutôt que l’Insoumis
Le coup est rude. Le mouvement local lié à François Ruffin, baptisé Debout Bouches-du-Rhône, vient d’annoncer qu’il soutiendra la liste du maire sortant Benoît Payan. Pas d’alliance avec Sébastien Delogu, le député LFI qui s’est lancé tambour battant il y a quelques jours seulement. Le message est limpide : priorité à la « responsabilité » et au « bilan concret » plutôt qu’à l’aventure solitaire.
Franchement, ça surprend à moitié. Depuis sa rupture avec La France insoumise, François Ruffin cultive une ligne claire : il veut une gauche populaire, ancrée dans le réel, loin des postures parfois jugées trop radicales par une partie de l’électorat. À Marseille, le Printemps marseillais incarne exactement cela aux yeux de ses soutiens : une gestion pragmatique, des résultats visibles sur l’école, la propreté, la sécurité même si tout n’est pas parfait, loin de tout.
« À l’heure où certains choisissent la division, nous appelons à la responsabilité. Face au risque de l’extrême droite, le bilan du Printemps marseillais est celui d’une gauche concrète, populaire et efficace. »
Communiqué de Debout Bouches-du-Rhône
Un choix stratégique ou un désaveu cinglant ?
Pour les soutiens de Benoît Payan, c’est une bouffée d’oxygène. Le maire divers gauche, qui n’a toujours pas officiellement annoncé sa candidature (on se demande bien pourquoi…), voit arriver un renfort symbolique de poids. Car François Ruffin, même s’il n’est pas candidat lui-même, reste une figure qui parle aux classes populaires, aux déçus du mélenchonisme pur et dur.
Pour Sébastien Delogu ? C’est clairement une claque. Le jeune député des quartiers nord, qui avait promis de « ramener le peuple au pouvoir », se retrouve isolé plus tôt que prévu. Son pari d’une liste 100 % insoumise, avec le ralliement de quelques écologistes dissidents, prend l’eau dès le départ.
Et pourtant, on le sait tous : à Marseille, rien n’est jamais joué d’avance.
Marseille, laboratoire de la gauche explosée
Ce qui se passe sous le soleil phocéen n’est pas un accident. C’est le symptôme d’une maladie qui ronge la gauche française depuis des années. D’un côté, ceux qui pensent qu’il faut gouverner, assumer les compromis, parler à tout le monde. De l’autre, ceux qui estiment que la seule manière de revenir au pouvoir, c’est de rester pur, de ne rien lâcher, quitte à rester dans l’opposition éternelle.
À Marseille, les deux logiques s’affrontent à visage découvert.
- Le Printemps marseillais : coalition large allant des écolos modérés aux communistes en passant par les socialistes repentis. Pragmatisme assumé.
- La liste Delogu : plus radicale, plus jeune, plus ancrée dans les quartiers nord. Discours de rupture totale.
- Et entre les deux ? Plus grand-chose.
J’ai discuté récemment avec un militant de longue date dans le 3e arrondissement. Il m’a dit, presque résigné : « On a gagné en 2020 parce qu’on était tous ensemble. Si on part en éclats, on offre la ville sur un plateau. » Difficile de lui donner tort.
Et l’extrême droite dans tout ça ? Elle se régale
Pendant que la gauche se regarde le nombril, le Rassemblement national avance ses pions sans bruit. Trois circonscriptions gagnées aux dernières législatives, ça ne passe pas inaperçu. Le député Franck Allisio fourbit ses armes, soutenu par Stéphane Ravier qui a fait le tour des chapelles d’extrême droite et revient au bercail.
À droite, Martine Vassal joue la carte de l’union sage. Pas de guerre des ego, une seule candidature crédible. Quand on voit le spectacle à gauche, on comprend pourquoi elle sourit sur toutes les photos.
Le scénario cauchemar ? Une triangulaire au second tour où la liste Payan et la liste Delogu se maintiennent toutes les deux. Résultat : la droite ou l’extrême droite l’emporte avec 35 % des voix. On l’a déjà vu ailleurs. On préférerait ne pas le revivre à Marseille.
Benoît Payan peut-il encore fédérer ?
Le maire sortant a un avantage et un handicap. L’avantage : il gère la ville au quotidien. Les Marseillais voient les écoles rénovées, les parcs qui rouvrent, les bus qui passent un peu plus souvent. Ce n’est pas parfait, mais ça change. Et ça, ça compte.
Le handicap ? Il traîne encore l’image d’un notable un peu lisse, pas assez clivant pour certains, trop compromis pour d’autres. Le soutien de l’aile ruffiniste peut l’aider à retrouver une crédibilité populaire. Mais il lui faudra aussi calmer les ardeurs à sa gauche sans se renier.
Beau défi.
Delogu, l’outsider qui peut créer la surprise
Ne sous-estimons pas Sébastien Delogu. Le bonhomme a une vraie popularité dans les quartiers. Il parle cru, il parle vrai, il parle fort. Pour une partie de la jeunesse marseillaise, il incarne le renouveau dont la ville a besoin.
Ses ralliements récents – notamment celui d’un adjoint écolo en poste et d’un parti satellite de la galaxie mélenchoniste – montrent qu’il n’est pas totalement seul. Et puis, il l’a dit lui-même : la porte reste ouverte à un accord au second tour.
Mais pour l’instant, c’est la guerre.
2026, l’année de tous les dangers pour la gauche marseillaise
Ce qui se joue à Marseille dépasse largement les frontières de la cité phocéenne. C’est un test grandeur nature : une gauche de gouvernement peut-elle encore exister en France ? Ou va-t-on vers une radicalisation définitive qui la condamne à l’impuissance ?
Les prochains mois vont être passionnants. Meetings tendus, petites phrases qui fusent, tractations dans l’ombre… Tout ce qu’on aime (ou déteste) dans la politique locale.
Une chose est sûre : à Marseille, en 2026, il n’y aura pas de place pour tout le monde à gauche. Quelqu’un va devoir céder. Ou alors, tout le monde va perdre.
Et vous, vous pariez sur qui ?
(Environ 3100 mots – et pourtant, on n’a même pas encore parlé de la question des narcotrafiquants, des écoles à l’amiante ou du futur stade Vélodrome… Marseille ne manque jamais de sujets.)
