Imaginez une seconde. Vous avez 17 ans, la vie devant vous, et puis plus rien. Un dimanche après-midi comme un autre à Roubaix, et une jeune fille ne répond plus. Quand les secours entrent dans l’appartement, ils découvrent un spectacle qui glace le sang : son corps inerte, et autour d’elle, une trentaine de grosses bonbonnes de protoxyde d’azote. Ce gaz qu’on appelle parfois « proto » ou « gaz hilarant ». Celui qu’on voit partout dans les soires, sur TikTok, dans les festivals. Celui qu’on croit inoffensif.
Mais cette fois, il n’y a plus de rire. Il n’y a que le silence et une enquête qui tente de comprendre ce qui s’est réellement passé.
Ce que l’autopsie a révélé… et ce qu’elle n’a pas pu dire
Les résultats tombés il y a quelques jours sont clairs sur un point : aucune trace de violence. Pas de coups, pas de blessures, pas d’intervention extérieure visible. En langage médical, on parle d’une absence d’origine traumatique. Traduction : personne ne l’a tuée.
Mais pour le reste ? Rien de certain. Les médecins légistes ont beau avoir décortiqué chaque détail, ils n’ont pas réussi à pointer du doigt une cause précise de décès. Des analyses toxicologiques poussées sont en cours, et il faudra attendre plusieurs semaines avant d’avoir des réponses définitives.
En attendant, une hypothèse domine évidemment : le protoxyde d’azote. Parce qu’il y en avait partout dans cet appartement. Des bonbonnes de grande contenance, le genre qu’on utilise en restauration ou en médecine… mais aussi, de plus en plus, pour se défoncer à moindre coût.
Le protoxyde d’azote, c’est quoi exactement ?
À la base, c’est un gaz parfaitement légal. On le trouve dans les siphons à chantilly, dans les blocs opératoires pour anesthésier légèrement, même chez le dentiste parfois. Son nom chimique : N₂O. Quand on l’inhale pur, via un ballon, il provoque une euphorie brève, des rires incontrôlables, des sensations de flottement. D’où le surnom « gaz hilarant ».
Mais derrière l’effet « fun » de 30 secondes, il y a un revers bien plus sombre. Le protoxyde chasse l’oxygène du sang. Si on en consomme trop, trop vite, ou dans un espace mal ventilé, le cerveau se retrouve en manque cruel d’oxygène. Et là, ça peut très mal tourner.
« On voit arriver aux urgences des jeunes avec des paralysies, des troubles neurologiques graves, parfois irréversibles. Et oui, on a déjà eu des décès. »
Un médecin urgentiste du Nord, sous couvert d’anonymat
Comment on en arrive à avoir 30 bonbonnes chez soi à 17 ans ?
C’est là que ça devient effrayant de facilité. Avant 2021, on pouvait en acheter librement aux mineurs. Depuis la loi de juin 2021, la vente est interdite aux moins de 18 ans. Mais soyons honnêtes : qui vérifie vraiment ? Sur internet, dans certains magasins de vape ou de fête, ça circule toujours. Une bonbonne de 2 kg ? Entre 30 et 50 euros. Livrée en 24h.
J’ai moi-même vu, il y a quelques mois, des livreurs déposer des cartons entiers devant des lycées. Les ados commandent en groupe, se font livrer chez celui dont les parents bossent tard. Et hop, le week-end est lancé.
- Une cartouche classique (celle des siphons) → effet très léger
- Une bonbonne de 640 g → plusieurs dizaines de ballons
- Une bonbonne de 2 kg → des centaines de doses
Dans l’appartement de Roubaix, c’étaient des modèles de plusieurs kilos. Autant dire que la consommation a pu être massive.
Les dangers qu’on minimise trop souvent
On entend souvent « c’est pas une drogue, c’est légal ». Et pourtant, les effets secondaires sont loin d’être anodins.
- A court terme : asphyxie par manque d’oxygène, perte de connaissance, brûlures par le froid extrême du gaz (-40°C à la sortie)
- A moyen terme : carence en vitamine B12, atteinte des nerfs périphériques, troubles de la marche, engourdissements
- A long terme : lésions neurologiques irréversibles, paralysie partielle, troubles psychiatriques
Et puis il y a le risque le plus brutal : l’arrêt cardiaque ou respiratoire en cas de consommation excessive. C’est rare, mais ça arrive. Surtout quand on mélange avec de l’alcool ou d’autres substances, ou quand on inhale directement au goulot sans ballon (ce qu’on appelle le « direct »).
Une consommation qui explose chez les jeunes
Dans certaines régions, on parle d’une véritable épidémie. Dans le Nord, en Île-de-France, en Bretagne… les services d’addictologie sont débordés. On voit arriver des gamins de 14, 15 ans avec des béquilles parce que leurs jambes ne répondent plus.
Et le pire, c’est que beaucoup de parents ne savent même pas de quoi il s’agit. « Ma fille fait des chantilly », disent certains. Non. Elle remplit des ballons avec 20 euros de gaz et se détruit le cerveau en riant.
Que va-t-il se passer maintenant ?
L’enquête se poursuit. Les analyses toxicologiques et histologiques prendront du temps. On saura si le taux de protoxyde était compatible avec une overdose, si d’autres substances étaient présentes, si une pathologie sous-jacente a joué.
Mais au-delà de ce drame individuel, c’est tout un système qu’il faudrait remettre en question. La vente en ligne, le manque de contrôles, la minimisation des risques dans les soirées…
Parce qu’aujourd’hui, c’est une jeune fille de 17 ans à Roubaix. Demain, ça pourrait être le fils ou la fille de n’importe qui.
« Tant qu’on continuera à considérer le proto comme un simple gaz rigolo, on continuera à avoir des cercueils. »
Un éducateur spécialisé rencontré dans le quartier
En attendant les conclusions définitives, une chose est sûre : cette histoire nous rappelle brutalement que derrière chaque « petit délire » se cache parfois une issue fatale. Et que le rire, parfois, peut cacher des larmes qu’on ne verra jamais.
Prenez soin de vos ados. Parlez-leur. Vraiment.
(Note : cet article sera mis à jour dès que les résultats toxicologiques complets seront connus.)
