Vous êtes-vous déjà demandé ce que ça fait de glisser sur une vague de trois mètres… les yeux fermés ? Pas juste pour le fun, non. Vraiment fermés. Pour toujours. La plupart d’entre nous paniqueraient à l’idée de perdre un seul sens en pleine mer. Lui, il en a fait son terrain de jeu favori et vient de décrocher le titre de champion du monde. Franchement, quand j’ai lu son histoire, j’ai eu la chair de poule.
Quand l’océan devient le seul endroit où l’on se sent vraiment libre
Il s’appelle Thomas Da Silva. 24 ans. Basque pur jus, né à Bayonne, élevé à Biarritz entre les embruns et les pins. À dix ans, un AVC foudroyant lui vole la vue en quelques semaines. Le monde se referme comme un rideau noir. Plus de couleurs, plus de visages, plus de lignes d’horizon. Juste le silence et la peur.
Et puis, cinq ans plus tard, quelqu’un lui met une planche sous les pieds. Première vague. Première claque. L’adrénaline explose, le cœur tambourine, le corps comprend avant le cerveau : ici, dans l’eau, il n’y a plus de barrières. L’océan ne juge pas. Il ne demande pas si tu vois ou pas. Il te prend tel que tu es et te rend plus vivant que jamais.
Comment surfe-t-on quand on ne voit rien ?
On pourrait croire à un miracle. Ce n’est pas un miracle. C’est du travail, de l’entraînement, et surtout un binôme en or : Johan Poncet, celui que Thomas appelle sans hésiter « mes yeux ».
« Avant même d’entrer dans l’eau, Johan me décrit tout : la taille du pic, la direction du vent, la vitesse des séries… Une fois dedans, il est à côté de moi. Il crie le timing, le côté où la vague ouvre, la puissance. Sa voix, c’est mon GPS. »
Mais la vue n’est pas le seul sens qui compte. Quand on perd un sens, les autres se réveillent en mode turbo. Thomas écoute le grondement de la vague qui monte, il sent la pente sous ses pieds nus, il touche l’eau avec ses mains pour évaluer la hauteur au moment du take-off. Chaque muscle devient une antenne.
- Le bruit : il entend la vague arriver bien avant qu’elle ne touche la planche
- Le toucher : la pression sous les pieds lui dit si c’est un mur ou une rampe douce
- L’équilibre : son corps a développé une mémoire folle des mouvements
- L’ouïe de Johan : la voix qui guide comme un phare dans la nuit
Résultat ? Il ride mieux que beaucoup de valides. Et il le prouve depuis des années.
De l’argent frustrant à l’or tant attendu
Quatre fois champion de France. C’est déjà énorme. Mais aux championnats du monde ISA, pendant trois ans, il butait systématiquement sur la deuxième marche. L’argent, c’est beau. L’argent, ça motive. Mais l’or, c’est autre chose.
Novembre 2025, Oceanside, Californie. Dernière finale de la catégorie Visuel 1 (100 % non-voyants). Thomas est concentré comme jamais. Il sait que c’est peut-être sa dernière chance avant longtemps. Il donne tout. Jusqu’à la dernière seconde de la dernière vague.
Quand le buzzer retentit et que Johan hurle « C’est bon, t’es champion du monde ! », Thomas reste d’abord silencieux. Il réalise à peine. Puis les larmes coulent. Pas besoin de les voir pour les sentir.
« Je n’aurais jamais imaginé, il y a quatorze ans, quand tout est devenu noir, que je vivrais ça un jour. »
Thomas Da Silva, tout juste sacré
Le surf, plus qu’un sport : une thérapie puissante
Ce qui me touche le plus dans cette histoire, c’est que Thomas ne s’arrête pas à ses propres exploits. Il sait ce qu’est la solitude quand on devient aveugle jeune. Les amis qui s’éloignent, les activités qu’on ne peut plus faire, le regard des autres… Il a vécu tout ça.
Alors il a créé The Blind Surfer Association. L’idée ? Faire découvrir le surf à des ados non-voyants. Leur redonner confiance, leur prouver que la vie ne s’arrête pas à la perte de la vue.
Je vous jure, quand il raconte la première fois où un gamin de 14 ans a pris sa première vague tout seul (ou presque), les yeux brillent même derrière les lunettes noires.
« Être champion c’est génial, mais voir un gosse oublier son handicap le temps d’une session, ça n’a pas de prix. »
Et là, on touche au cœur du sujet : le sport adapté n’est pas une version au rabais du sport valide. C’est parfois une version plus pure, plus intense, plus humaine.
L’océan, un espace sans barrières
Sur terre, un aveugle doit slalomer entre les trottoirs, les poteaux, les gens qui ne font pas attention. Dans l’eau ? Rien. Juste l’immensité. Le bruit du large. La caresse du sel.
Thomas le dit mieux que personne :
« Dans l’océan, on est 100 % libre. Il n’y a pas d’obstacles, pas de jugement. Juste toi, ta planche et la vague. »
Cette phrase, je l’ai gardée en tête toute la journée après l’avoir lue. Parce qu’elle dépasse largement le surf. Elle parle de résilience, de réinvention, d’acceptation. Elle dit que même quand la vie te prend tout, elle peut aussi te rendre quelque chose d’immense.
Et demain ?
Thomas ne compte pas s’arrêter là. Il rêve de défendre son titre, bien sûr. Mais surtout, il veut développer son association, former plus de guides, organiser plus de stages. Faire en sorte que le parasurf devienne aussi naturel que le surf classique.
Il s’entraîne désormais entre la côte basque et la Martinique – parce que les vagues caraïbes, c’est autre chose pour progresser en apnée et en puissance. Il ride des spots de gros, prend des gamelles monumentales, se relève toujours.
Et quelque part, il porte un message universel : peu importe ce que la vie t’enlève, il reste toujours un océan de possibles. Il suffit d’oser fermer les yeux… et de faire confiance à ses autres sens.
Si cette histoire ne vous donne pas envie de pousser vos propres limites, je ne sais plus quoi vous dire.
Thomas Da Silva n’est pas juste un champion du monde de parasurf. Il est la preuve vivante que la liberté n’a pas besoin d’yeux pour être totale.
