Imaginez la scène : on est jeudi soir à Belém, la moiteur amazonienne colle les chemises, et dans la grande salle de conférence, la tension est à couper au couteau. Plus de trente pays viennent d’envoyer une lettre commune à la présidence brésilienne. Le message est clair, presque brutal : soit vous remettez sur la table une vraie trajectoire de sortie des énergies fossiles, soit on bloque tout.
Franchement, je ne m’attendais pas à un tel coup de théâtre si tard dans le jeu. La COP30 devait être celle de la mise en œuvre, pas celle du retour en arrière. Et pourtant, on y est.
Pourquoi ce ultimatum tombe maintenant
Depuis le début de la semaine, les négociateurs tournaient autour du pot. Le dernier brouillon du texte, celui qu’on appelle le « take it or leave it », ne mentionne même pas le mot fossile. Zéro. Nada. Comme si Dubaï et son historique « transition away » n’avaient jamais existé.
Pourtant, rappelons-nous : en 2023, pour la première fois, les 196 pays avaient accepté de reconnaître que pétrole, gaz et charbon étaient le problème. C’était timide, c’était entouré de mille précautions, mais c’était là, noir sur blanc. Deux ans plus tard, on nous propose de faire machine arrière ? Impensable pour beaucoup.
« Nous sommes profondément préoccupés par la proposition actuelle. Sous sa forme actuelle, elle ne remplit pas les conditions minimales pour un résultat crédible. »
Extrait de la lettre signée par plus de 30 délégations
Et quand on dit « plus de 30 », on parle d’un front plutôt costaud : France, Allemagne, Royaume-Uni, Colombie, Belgique, Chili, Autriche, Pays-Bas… Des pays qui, pour une fois, parlent d’une même voix. Même la Colombie, pourtant grand producteur de charbon, a décidé de rejoindre le camp des ambitieux.
Ce que demandent précisément ces pays
Ce n’est pas juste une question de principe. Les signataires veulent un texte qui contienne :
- Une feuille de route claire pour la sortie des combustibles fossiles, avec des étapes datées
- Le principe d’une transition juste (personne ne veut laisser des millions de travailleurs sur le carreau)
- Des engagements renforcés sur la fin des subventions aux énergies fossiles
- Et surtout, que tout ça figure dans le corps principal de l’accord, pas dans une annexe qu’on pourra ignorer tranquillement
En clair : on ne signe pas un texte qui enterre l’esprit de Dubaï.
Qui bloque et pourquoi
De l’autre côté de la table, on retrouve les suspects habituels. Les grands exportateurs de pétrole et de gaz, évidemment. Mais aussi certains pays émergents qui estiment que l’Occident leur demande de faire le sale boulot pendant qu’il continue à vivre sur ses rentes passées.
Leur argument n’est pas totalement dénué de fondement : pourquoi imposer des calendriers stricts à des pays qui n’ont pas encore atteint le niveau de développement des Européens ? La justice climatique, ça veut aussi dire reconnaître que tout le monde n’est pas parti du même endroit.
Mais là, on sent que certains vont plus loin : pour eux, parler de sortie des fossiles, c’est tout simplement inacceptable. Point. Et tant pis si la science hurle que chaque année perdue nous rapproche du point de non-retour.
Le rôle ambigu du Brésil
Et puis il y a le pays hôte. Le Brésil de Lula. Celui qui, sur le papier, est censé incarner le renouveau vert de l’Amérique latine. Lula répète depuis des mois qu’il veut une COP historique, qu’il faut une feuille de route pour sortir des fossiles.
Mais dans les couloirs, on murmure que la présidence brésilienne a choisi la stratégie du consensus mou pour éviter l’échec total. Traduction : on dilue le texte pour que tout le monde signe, même si ça ne veut plus rien dire. Résultat ? Les ambitieux se révoltent.
C’est un peu le paradoxe : le Brésil veut briller, mais il ne veut surtout pas d’une COP qui finit en eau de boudin comme Glasgow ou comme Charm el-Cheikh. Du coup, il joue la prudence. Trop, sans doute.
Les scénarios possibles d’ici vendredi soir
On est jeudi soir, la COP ferme officiellement vendredi. Il reste moins de 48 heures. Plusieurs issues possibles :
- La présidence brésilienne cède et réintroduit un langage fort sur les fossiles → les ambitieux signent, mais plusieurs pays pétroliers risquent de quitter la salle.
- On trouve un compromis alambiqué, genre « nous reconnaissons la nécessité de… » avec plein de formules creuses → tout le monde signe, mais l’accord ne vaut pas grand-chose.
- Pas d’accord du tout. Ce serait la première fois depuis 2015. Un désastre symbolique.
Personnellement, je penche pour la deuxième option. Les COP détestent l’échec visible. On va probablement accoucher d’un texte qui permettra à chacun de rentrer chez soi en disant « mission accomplie », même si dans les faits, on aura perdu deux ans.
Ce que ça dit de l’état du monde en 2025
Plus largement, cette crise de la COP30 est un miroir grossissant de notre époque. D’un côté, une partie du monde a compris que l’urgence était absolue. De l’autre, des puissances économiques et géopolitiques continuent de penser que le vieux modèle a encore de belles années devant lui.
Et entre les deux, des pays comme le Brésil, l’Indonésie ou l’Afrique du Sud qui aimeraient bien être du bon côté de l’histoire, mais qui ont des factures à payer et des électeurs à convaincre.
Le plus inquiétant ? C’est que même si on obtient un texte ambitieux vendredi (ce dont je doute), il restera non contraignant. Comme toujours. Les COP décident, les parlements nationaux disposent. Et là, on sait que ça coince souvent.
On signe des beaux textes, on prend des selfies avec les pandas, et ensuite chaque pays rentre chez lui et continue à creuser ou à brûler.
Un négociateur européen, sous couvert d’anonymat
Triste réalité.
Et nous, dans tout ça ?
On peut toujours se dire que c’est loin, que c’est technique, que de toute façon on n’y peut rien. Mais chaque COP qui passe sans avancée réelle, c’est un peu plus de canicules, un peu plus de sécheresses, un peu plus de migrations climatiques.
Et ça nous concerne tous. Directement.
Alors oui, on peut critiquer l’hypocrisie des États. Mais on peut aussi se demander ce qu’on fait, nous, au quotidien. Parce que tant qu’on remplira les réservoirs et qu’on prendra l’avion comme si de rien n’était, on restera coresponsables.
La COP30 ne sauvera pas la planète à elle seule. Mais elle peut nous montrer dans quel camp on se situe vraiment.
Belém, novembre 2025. La planète retient son souffle. Ou plutôt, elle tousse déjà.
(Article mis à jour en temps réel selon l’évolution des négociations – la situation peut changer d’heure en heure)
