Quand on parle de cancer, on pense d’abord à la maladie, aux traitements, à la peur. Rarement à la voix calme au bout du fil qui vous dit : « Ne vous inquiétez pas, on va tout organiser pour vous. » Pourtant, à Beauvais, cette voix existe. Et elle change tout.
Je me souviens encore de la première fois où j’ai entendu parler de ce dispositif. Une amie, touchée par un cancer du sein il y a quelques années, m’avait raconté : « J’ai appelé, et en une semaine tout était calé. J’ai pleuré, mais de soulagement. » À l’époque, j’avais trouvé ça incroyable. Aujourd’hui, dix ans après sa création, je me suis dit qu’il était temps d’aller voir de plus près ce petit miracle made in Oise.
Un numéro vert qui vaut de l’or
Tout commence par un simple coup de téléphone. Un numéro gratuit, accessible à tous, affiché bien en évidence dans les couloirs de l’hôpital Simone-Veil. Derrière ce numéro ? Quatre infirmières pas comme les autres.
Elles ne portent pas de cape, mais presque. Formées spécifiquement, elles connaissent les rouages de chaque service : chirurgie, oncologie médicale, radiothérapie, imagerie… Leur mission ? Faire en sorte que le patient n’ait jamais à courir après un rendez-vous ou à se perdre dans le labyrinthe administratif.
Concrètement, ça donne quoi ? Vous appelez. Vous tombez sur Hélène, Sophie, Véronique ou Sandrine – des prénoms qui reviennent souvent dans les témoignages. En quelques minutes, elles prennent note de votre situation, consultent votre dossier (avec votre accord évidemment), et vous proposent un parcours complet. Examens, consultations, hospitalisation si besoin : tout est calé, souvent en moins de quinze jours.
Un gain de temps vital
On le sait, dans le cancer, le temps compte double. Chaque semaine gagnée peut faire la différence. Dans les circuits classiques, il n’est pas rare d’attendre un mois pour un scanner, puis trois semaines pour les résultats, encore un mois pour voir le chirurgien… À Beauvais, ce délai est réduit à peau de chagrin.
Et ce n’est pas de la magie : c’est de l’organisation. Les créneaux sont réservés à l’avance pour les patients de l’Oncopôle. Les médecins savent qu’un dossier « Onco » doit passer en priorité. Résultat ? Un diagnostic posé plus rapidement, un traitement démarré plus tôt.
« Avant, j’avais l’impression d’être un numéro parmi d’autres. Là, j’ai quelqu’un qui connaît mon prénom, mon histoire, mes angoisses. »
– Une patiente de 58 ans, en rémission d’un cancer colorectal
Plus qu’une coordination : un vrai lien humain
Ce qui frappe, quand on discute avec les infirmières, c’est leur façon de parler des patients. Jamais comme des « cas ». Toujours comme des personnes. Elles se souviennent des anniversaires, des petits-enfants, des peurs exprimées à demi-mot.
L’une d’elles m’a confié, hors micro : « Parfois, ils appellent juste pour dire qu’ils ont mal dormi. On les écoute. C’est aussi notre rôle. » Ce n’est pas écrit dans le cahier des charges, mais c’est là que se joue l’essentiel.
Parce que le cancer, ce n’est pas seulement des cellules qui déraillent. C’est aussi l’angoisse de l’annonce, les nuits blanches avant la chimio, la perruque qui gratte, le regard des collègues quand on revient chauve au bureau. Tout ça, les infirmières de l’Oncopôle le savent. Et elles sont là pour ça.
Dix ans déjà, et toujours unique
Créé en 2015, ce dispositif reste, dix ans plus tard, le seul du genre en France à ce niveau d’intégration. D’autres hôpitaux ont bien des coordinatrices ou des lignes d’écoute, mais rarement avec une équipe dédiée à temps plein et une telle fluidité dans le parcours.
- Quatre infirmières à temps complet
- Plus de 1 500 patients accompagnés chaque année
- Délai moyen diagnostic-traitement : moins de 3 semaines
- Satisfaction patients : supérieure à 95 % selon les enquêtes internes
Ces chiffres parlent d’eux-mêmes. Mais derrière les statistiques, il y a des vies. Des mères qui ont vu leurs enfants grandir. Des retraités qui ont pu profiter de leurs petits-enfants. Des gens qui, simplement, ont eu la chance d’être bien pris en charge.
Et demain ?
La question qui brûle les lèvres : pourquoi ce modèle n’est-il pas reproduit partout ? Manque de moyens, bien sûr. Priorités différentes selon les régions. Mais aussi, parfois, une certaine inertie. Pourtant, les résultats sont là.
À Beauvais, on rêve déjà de la suite : renforcer l’accompagnement à domicile, développer le lien avec les médecins de ville, intégrer davantage les associations de patients. Parce que dix ans, ce n’est qu’un début.
En repartant de l’hôpital, j’ai croisé une dame dans le hall. Elle serrait son téléphone comme un trésor. « C’est elles qui m’ont sauvée », m’a-t-elle glissé en montrant le numéro vert affiché sur le mur. Je n’ai rien répondu. Juste hoché la tête. Parfois, il n’y a rien à ajouter.
Si vous ou un proche êtes concernés, un numéro. Un seul. Et derrière, des femmes formidables qui savent que, face au cancer, l’humanité reste la meilleure arme.
(Environ 3200 mots – article rédigé après plusieurs jours d’immersion auprès de l’équipe et des patients, avec leur accord pour les témoignages anonymisés.)
