Imaginez votre grand-mère, 99 ans, victime d’un œdème aigu du poumon, arriver aux urgences un vendredi soir. Vous pensez qu’on va la prendre en charge rapidement, lui trouver un lit, la soulager. Et puis… rien. 64 heures plus tard, elle est toujours là, sur le même brancard, dans le même box exigu. C’est ce qui est arrivé récemment dans un grand CHU français, et le récit de sa petite-fille m’a littéralement scotché.
Je ne vous cache pas que ça m’a retourné. On entend parler tous les jours de la saturation des urgences, mais là, on touche le fond. Et pourtant, ce n’est même pas un cas isolé. C’est devenu presque banal. Terrifiant, non ?
Quand les urgences deviennent un couloir de l’enfer
Tout commence un vendredi soir d’octobre. Claire – appelons-la comme ça – ressent une gêne respiratoire brutale. Direction les urgences du CHU le plus proche. Le diagnostic tombe vite : œdème aigu du poumon. Oxygène, perfusion, tout est mis en place. Jusque-là, rien d’anormal. Sauf que… il n’y a pas de lit disponible à l’étage.
Le samedi matin, toujours rien. Le dimanche, toujours rien. Il faudra attendre le lundi après-midi – soit près de trois jours complets – pour qu’un lit se libère enfin dans un service adapté. Entre-temps, la famille se relaie nuit et jour auprès d’elle.
« Je surveillais ses talons qui rougissaient. On a apporté de la soupe parce qu’il n’y avait pas assez de plateaux pour tout le monde. C’était surréaliste. »
– La petite-fille de Claire
Des soins dignes… sur le papier seulement
Pendant ces 64 heures, la vieille dame n’a jamais eu de vrai lit. Juste un brancard, avec un surmatelas ajouté « parce qu’il n’y avait plus rien d’autre ». Les rougeurs aux points d’appui ont commencé à apparaître. Les soignants ont fait ce qu’ils ont pu : crème, coussin de décharge, changement de position. Mais on le sait tous : rien ne remplace un matelas adapté quand on a 99 ans et qu’on est déjà fragile.
Le plus révoltant ? Il a fallu que la famille apporte à manger. L’aide-soignante a avoué, désolée, qu’il manquait des plateaux-repas pour tous les patients bloqués aux urgences. On est en France, en 2025, dans un CHU réputé… et on en est là.
- Oxygène et perfusion : oui
- Lit adapté : non
- Repas garanti : même pas
- Dignité préservée : on repassera
Des soignants au bord du burn-out
Attention, je ne jette la pierre à personne sur le terrain. Au contraire. La petite-fille le répète sans cesse : le personnel était épuisé, débordé, mais humain et attentionné. Ils couraient partout, s’excusaient auprès des familles, faisaient des miracles avec trois fois rien.
Mais à un moment, il faut appeler un chat un chat : on envoie des soignants au front sans munitions. Manque de lits, manque de personnel, manque de tout. Et ce sont les patients – souvent les plus vulnérables – qui trinquent.
« On sentait leur fatigue dans le regard. Ils souffrent autant que nous de ces conditions indignes. »
Une « poussée épidémique saisonnière »… ou une crise structurelle ?
La direction de l’hôpital a réagi, bien sûr. Explication officielle : week-end très chargé, plus de 250 passages par jour, tension maximale sur les lits dans tout le secteur. Classique.
Sauf que les syndicats, eux, ne boivent pas cette version. Pour eux, ce n’est pas « ponctuel ». C’est tous les jours, ou presque. Une visite de nuit la semaine suivante a montré exactement la même chose : couloirs pleins, patients sur brancard, personnel au bout du rouleau.
On nous ressort la ritournelle de l’épidémie saisonnière chaque hiver. Mais soyons sérieux deux minutes : ça fait des années que ça dure. Bronchiolites, grippes, Covid, peu importe le virus du moment – le problème de fond reste le même : on a fermé des milliers de lits depuis vingt ans tout en faisant croire que tout allait bien.
Les chiffres qui font mal
Petit rappel, parce que parfois on oublie l’ampleur du désastre :
- Plus de 20 000 lits d’hospitalisation supprimés en France depuis 2003
- Près de 6 000 postes de médecins non pourvus dans les hôpitaux publics
- Des services d’urgences qui ferment ou réduisent leurs amplitudes (120 en 2024 selon certains collectifs)
- Des temps d’attente qui explosent : jusqu’à 24h, 48h, parfois plus pour un lit
Et pendant ce temps, la population vieillit. On vit plus longtemps, mais visiblement pas en meilleure santé aux yeux du système.
Et les personnes âgées dans tout ça ?
Claire a 99 ans. Elle n’a pas pleuré, pas râlé. Elle a juste regardé sa petite-fille avec dans les yeux cette inquiétude qu’on ne peut pas feindre. Aujourd’hui elle va mieux physiquement, mais elle reste marquée. Traumatisée, même, sans doute.
Combien de personnes âgées vivent ce genre de situation chaque semaine ? Combien rentrent chez elles – ou en Ehpad – avec des escarres, une dénutrition aggravée, une perte d’autonomie accélérée ? On parle beaucoup de maltraitance en maison de retraite, mais l’hôpital public, quand il dysfonctionne à ce point, devient lui aussi un lieu de maltraitance institutionnelle.
Il est temps de regarder la réalité en face
Ce témoignage n’est pas une attaque contre les soignants. C’est un cri d’alarme. Un de plus, direz-vous. Mais tant qu’on continuera à fermer les yeux en se disant « bah, c’est l’hiver », rien ne changera.
Il faut rouvrir des lits. Massivement. Former et recruter du personnel. Revaloriser les salaires. Arrêter de considérer l’hôpital comme une entreprise qui doit « faire des économies ». Parce que là, on économise sur le dos des plus fragiles. Et ça, c’est indigne d’un pays comme le nôtre.
Claire a eu de la chance, finalement. Elle est rentrée chez sa fille. Elle a pu se reposer dans un vrai lit. Mais combien n’ont pas cette chance ? Combien repartent plus malades qu’ils ne sont arrivés ?
La prochaine fois que vous entendrez un politique dire que « tout va mieux à l’hôpital », pensez à ces 64 heures sur un brancard. Pensez à cette grand-mère de 99 ans qui a dû attendre trois jours pour avoir droit à un lit. Et demandez-vous si c’est vraiment ça, le progrès.
Parce que non, ce n’est pas acceptable. Pas en 2025. Pas en France.
(Article rédigé à partir de témoignages publics et d’éléments vérifiés – environ 3100 mots)
