Imaginez-vous réveillé chaque matin par le grondement sourd d’une pale de 70 mètres qui tourne à quelques centaines de mètres de votre chambre. Ou bien ouvrir vos volets sur une tour d’acier haute comme la tour Montparnasse plantée au milieu des champs que vous avez toujours connus paisibles. C’est exactement le cauchemar que les habitants de Griselles et des environs ont refusé de vivre. Et pour l’instant, ils semblent avoir été entendus.
Un rapport qui fait l’effet d’une petite bombe locale
Le 18 novembre dernier, la commission d’enquête a rendu public un avis défavorable au projet de trois éoliennes géantes prévu entre Griselles et Chevannes, dans le Loiret. Trois machines culminant à près de 200 mètres de haut, un projet porté depuis 2019 par deux développeurs spécialisés. Sur le papier, tout était carré : distances réglementaires respectées, études d’impact réalisées, mesures compensatoires prévues. Pourtant, le couperet est tombé. Et franchement, quand on lit les 70 pages du rapport, on comprend vite pourquoi.
Ce qui frappe d’abord, c’est l’unanimité. Absolument toutes les collectivités consultées – communes, intercommunalités, département – ont dit non. Ça ne court pas les rues dans ce genre de procédure. D’habitude, on trouve toujours une mairie voisine qui voit d’un bon œil les retombées fiscales. Là, rien. Zéro. Le front est total.
Un paysage qui ne pardonne pas
Le Loiret, ce n’est pas la Beauce plate à perte de vue. Entre Griselles et Chevannes, le terrain ondulé, les bois, les petits vallons créent une intimité rurale que trois mats de 200 mètres viendraient littéralement écraser. La commission parle d’altération majeure et irréversible du paysage. Et quand on voit les photomontages, on se dit qu’ils n’ont pas tort.
Parce que 200 mètres, ce n’est pas anodin. À cette hauteur, les machines deviennent des repères visuels dominants à des dizaines de kilomètres. Les habitants racontent qu’on les verrait depuis le clocher de Montargis, depuis la forêt de Montargis, depuis des villages qui n’ont même pas été consultés. Le rapport pointe d’ailleurs ce défaut : le périmètre d’étude visuelle a été jugé trop restrictif.
« On ne parle plus d’intégration paysagère, mais de domination »
Extrait du rapport de la commission d’enquête
500 mètres, c’est loin… ou pas assez ?
En France, la règle c’est 500 mètres minimum entre une éolienne et la première habitation. Le projet respectait ça. Sur le papier. Mais dans les faits, avec des machines aussi hautes, la commission estime que cette distance devient dérisoire. Le bruit, les effets stroboscopiques, l’ombre portée… tout est démultiplié.
J’ai discuté avec des riverains qui habitent à 600, 700 mètres. Ils vous disent que même à cette distance, ça change tout. L’un d’eux m’a confié : « On a choisi cette maison pour le calme. Si on voulait vivre sous des pylônes, on serait resté en banlieue parisienne. » Difficile de leur donner tort.
- Proximité jugée insuffisante malgré le respect des 500 m réglementaires
- Configuration du terrain qui amplifie les nuisances visuelles et sonores
- Inquiétudes sur la valeur immobilière (jurisprudence récente prise en compte)
- Effet de saturation visuelle dans un secteur déjà bien doté en éoliennes
La mobilisation, arme absolue
Ce qui a vraiment pesé lourd, c’est le volume de l’opposition citoyenne. Des centaines de contributions durant l’enquête publique, des permanences où les commissaires-enquêteurs ont senti la colère froide des habitants. Le rapport parle d’acceptabilité sociale quasi nulle. Et quand on sait que l’État commence à prendre cet argument très au sérieux, ça change la donne.
Depuis 2019, les collectifs n’ont jamais lâché. Chaînes humaines pour matérialiser la hauteur des machines (250 personnes en 2023, impressionnant), banderoles, rassemblements, lettres ouvertes… Ils ont tout fait. Et ça a payé. Pour l’instant.
Les chauves-souris, ce détail qui tue
Parmi les points environnementaux, un a particulièrement retenu l’attention : les chauves-souris. Le secteur abrite plusieurs colonies de espèces protégées. Même avec les mesures d’évitement prévues (arrêt des machines certaines nuits), la commission reste sceptique. Le risque de collision ou de perturbation des corridors de vol est jugé trop important.
Drôle de paradoxe, non ? Un projet censé sauver la planète risque d’être bloqué… pour sauver des chauves-souris. Mais c’est exactement ce que demande la loi : la transition énergétique ne doit pas se faire au détriment de la biodiversité.
Un dossier incomplet et une concertation ratée
Le rapport n’épargne pas non plus le porteur de projet. Manque d’avis de certains services de l’État, maîtrise foncière pas totalement prouvée, études géotechniques jugées insuffisantes… Rien de rédhibitoire en soi, mais tout ça s’additionne.
Pire : la concertation. Le maître-mot de la transition énergétique depuis des années. Et là, la commission est sévère : « les conditions d’un dialogue constructif n’ont pas pu être réunies ». Traduction : les habitants ont eu l’impression qu’on leur imposait le projet sans vraiment les écouter. Classique, malheureusement.
Et maintenant ? La préfète a le dernier mot
Attention, rien n’est joué. L’avis de la commission n’est que consultatif. C’est la préfète du Loiret qui signera – ou pas – l’arrêté d’autorisation. Elle peut parfaitement passer outre. Ça arrive régulièrement.
Mais politiquement, c’est compliqué. Quand tout le monde dit non – habitants, élus, commission – il faut avoir de solides raisons pour dire oui. Et puis il y a les recours possibles. Les associations sont prêtes. Elles ont déjà gagné plusieurs batailles ces dernières années dans la région.
Le maire de Griselles le dit lui-même : « Première étape, mais rien n’est gagné. » Il connaît la musique. Beaucoup de projets éoliens meurent en préfecture après un avis défavorable. Mais certains renaissent de leurs cendres après un recours.
Ce que cette affaire dit de la transition énergétique à la française
Au-delà du cas de Griselles, cette histoire illustre parfaitement les tensions actuelles autour de l’éolien en France. On veut accélérer, on fixe des objectifs ambitieux, mais sur le terrain, ça coince de plus en plus.
Les machines sont de plus en plus hautes, donc plus visibles, plus contestées. Les habitants sont mieux informés, mieux organisés. Les collectivités prennent conscience qu’elles peuvent dire non. Et surtout, la notion d’acceptabilité sociale est devenue un vrai critère juridique.
Résultat : de plus en plus de projets sont refusés ou très fortement retardés. Certains y voient du NIMBY pur et dur. D’autres estiment que c’est simplement la démocratie locale qui fonctionne. Peut-être un peu des deux.
Ce qui est sûr, c’est que la manière de développer l’éolien est en train de changer. Les projets imposés d’en haut, c’est fini. Aujourd’hui, sans l’adhésion des habitants, c’est presque mission impossible. Et tant mieux, diront certains. Tant pis, répondront ceux qui veulent accélérer la transition à marche forcée.
Vers une éolienne plus acceptable ?
Est-ce que ça veut dire qu’il ne faut plus construire d’éoliennes ? Évidemment non. Mais peut-être qu’on arrive à un tournant. Certains développeurs commencent à comprendre qu’il faut impliquer les habitants dès le début, proposer des participations financières, réduire la taille des machines quand c’est possible, ou privilégier les zones déjà industrialisées.
Dans le Loiret comme ailleurs, la question n’est plus seulement technique ou environnementale. Elle est devenue profondément politique et sociale. Et c’est peut-être la meilleure nouvelle pour la démocratie locale, même si ça complique singulièrement la vie des développeurs.
À Griselles, on attend donc la décision préfectorale comme on attend un verdict. Les habitants ont gagné une bataille importante. Resteront-ils maîtres du paysage qui les a vus naître ? Réponse dans les prochaines semaines. En attendant, les champs continuent de dormir tranquilles sous la lune. Pour combien de temps encore ?
Et vous, qu’en pensez-vous ? L’éolien doit-il s’imposer même quand les habitants n’en veulent pas, ou faut-il accepter que certains territoires disent stop ? Les commentaires sont ouverts.
