Imaginez-vous arriver à l’école et que, dès le premier jour, tout le monde vous regarde bizarrement. Pas parce que vous avez fait une bêtise, non. Simplement parce que votre prénom et votre nom réunis forment la phrase la plus célèbre de la planète depuis vingt-cinq ans. C’est la vie qu’a menée un gamin né en décembre 1997 en banlieue londonienne, six mois à peine après la sortie du tout premier tome de J.K. Rowling. Lui, c’est Harry Potter. Mais pas celui avec la cicatrice en forme d’éclair. Celui qui plaque, qui court, qui fait trembler les défenses adverses avec un ballon ovale sous le bras.
Quand ton nom pèse plus lourd que toi
Il y a des anecdotes qui paraissent inventées, et puis il y a celle-ci. Un journal britannique a réellement réuni, un jour, tous les Harry Potter du Royaume-Uni pour un article. Notre rugbyman s’en souvient encore. À l’époque, il avait quoi, sept ou huit ans ? Les films venaient à peine de commencer à exploser. Et déjà, impossible de passer inaperçu.
« Au début, mes parents trouvaient ça plutôt cool, raconte-t-il aujourd’hui avec le sourire fatigué de celui qui a répondu mille fois à la même question. Harry, c’était un prénom assez commun, et le livre restait confidentiel. Mais quand le troisième film est sorti… là, tout a basculé. »
« Je me suis retrouvé à partager mon nom avec une saga planétaire. »
Harry Potter, ailier des Wallabies
En 2004, Le Prisonnier d’Azkaban débarque au cinéma. Les lunettes rondes deviennent l’accessoire le plus vendu au monde, et le petit Harry de banlieue londonienne comprend que ça ne va plus jamais s’arrêter. À l’école, on lui demande s’il sait voler sur un balai. Au supermarché, des inconnus lui lancent « Expelliarmus ! » dans les rayons. Il sourit jaune, il a l’habitude.
L’exil australien et les mêmes blagues, version kangourou
À dix ans, ses parents décident de tout plaquer pour Melbourne. Nouveau pays, nouvelle vie, nouvelle chance d’être… juste Harry. Raté. Même à l’autre bout du monde, les gamins ont vu les films. Et en plus, ici, on parle anglais. Les blagues fusent encore plus vite.
Il a bien songé, un temps, à se faire appeler par son deuxième prénom ou à raccourcir en « Potts », son surnom actuel dans le vestiaire. Mais finalement non. « Ça n’a jamais été méchant, juste incessant. J’ai appris à vivre avec. »
Et puis il y a le rugby. Là, sur le terrain, personne ne parle de baguette magique. On parle de vitesse, de puissance, de lecture du jeu. Le gamin timide devient un adolescent costaud qui casse les plaquages. Il intègre un programme universitaire ultra-performant à Sydney, s’entraîne comme un pro dès dix-huit ans, et commence à tracer sa propre route.
Le choix qui a tout changé
En 2020, il tente l’aventure anglaise aux Leicester Tigers. Trois années formidables, un titre de champion d’Angleterre, des matchs sous la pluie devant des tribunes en feu. Mais quelque chose manque. L’appel de l’Australie est trop fort. Il rentre, signe aux Waratahs, et surtout, il devient éligible pour les Wallabies. S’il était resté en Europe, il aurait pu prétendre au XV de la Rose. Il a choisi le jaune.
Ce choix, il ne l’a jamais regretté. Même après la claque en Irlande (46-19) il y a quelques jours. Même avec le nez encore un peu tuméfié quand on le croise dans cet hôtel parisien, deux jours avant d’affronter les Bleus au Stade de France.
- 1,92 m
- 105 kg
- 11 sélections (bientôt 12)
- Un seul et unique rêve : la Coupe du monde 2027 à domicile
Un style qui parle aux sélectionneurs
Joe Schmidt, l’actuel coach, adore son profil. Un ailier grand, lourd, mais qui adore porter le ballon, qui avance, qui fait mal. « J’aime battre les défenseurs, c’est ma came », lâche-t-il dans un rire franc. Il n’est pas le plus flashy des Wallabies, pas le plus médiatique non plus. Mais il est fiable. Et dans une équipe australienne en reconstruction, la fiabilité, ça compte.
Il sera titulaire samedi soir face à la France. Pour la onzième fois. À 27 ans, il est en pleine maturité rugby. Et quand on lui parle de 2027, ses yeux s’illuminent. Jouer une Coupe du monde à la maison, devant sa famille, ses potes d’enfance… « Même si je suis juste remplaçant, ce sera énorme. »
Et demain ? Toujours Harry Potter
Mais il sait. Il sait très bien que même s’il marque l’essai décisif en finale dans deux ans (on peut rêver), les gros titres diront quand même « Harry Potter soulève la Coupe du monde ». Pas « l’ailier australien ». Juste Harry Potter. Comme les livres. Comme les films.
« Mon nom sera toujours plus célèbre pour les bouquins que pour le rugby. Et tu sais quoi ? Aujourd’hui, ça me va. »
Il y a quelques années, ça le gênait. Il se crispait quand on faisait la blague. Aujourd’hui, il rit le premier. Il a compris que ce nom, c’est aussi une chance. Une porte d’entrée. Une histoire que les gens ont envie d’écouter. Et une fois qu’ils écoutent, ils découvrent le joueur. Le vrai.
Alors oui, il restera à jamais « le Harry Potter qui joue au rugby ». Mais il a décidé de faire en sorte que, petit à petit, les gens ajoutent : « …et putain, qu’est-ce qu’il est fort. »
Parce qu’au fond, il n’a pas besoin de baguette magique. Il a des jambes de déménageur, un cœur gros comme ça, et l’envie farouche de prouver que son histoire à lui mérite aussi d’être racontée. Chapitre après chapitre. Plaqué après plaqué.
Et toi, tu le connaissais avant aujourd’hui, ce Harry Potter-là ? Moi non plus. Mais maintenant, impossible de l’oublier.
