Imaginez : vous pédalez tranquillement vers le centre-ville, comme tous les matins depuis des années, et d’un coup, un simple panneau vous barre la route. Plus le droit. Fini. Vous devez soit rallonger votre trajet de plusieurs centaines de mètres sur une avenue bondée, soit… descendre de vélo et marcher. C’est exactement ce qui arrive depuis deux semaines à des centaines de cyclistes à Chartres.
Franchement, quand j’ai vu les photos de la manifestation prévue ce soir, j’ai tout de suite pensé : « Encore un dossier où tout le monde a un peu raison… et tout le monde a un peu tort. » Parce que derrière cette histoire de 140 mètres de voie de bus, il y a tout le débat sur la place du vélo en ville en 2025.
Une décision qui tombe comme un couperet
Retour en arrière. Jusqu’au 14 novembre 2025, la rue du Grand-Faubourg offrait un petit luxe rare : un double sens cyclable sur une portion réservée aux bus et aux vélos. 140 mètres seulement, mais un gain de temps énorme pour rejoindre le cœur de Chartres depuis le quartier Lucé. Direct, fluide, sécurisé… enfin, c’est ce que pensaient les habitués.
Puis, sans tambour ni trompette, le panneau « sauf bus et vélos » disparaît. À la place : un rond rouge classique. Interdit à tous sauf bus. Point final.
« On passe d’une situation idéale à une situation franchement dangereuse », résume un responsable associatif local, visiblement dépité.
Et il n’est pas le seul à le penser. Environ 500 cyclistes empruntaient quotidiennement ce tronçon. Pour eux, c’est un coup dur.
Les deux itinéraires alternatifs… qui ne font rêver personne
Maintenant, pour rejoindre la place des Épars, deux choix s’offrent à vous :
- Faire un détour de 700 mètres via l’avenue Maunoury, où plus de 6 000 véhicules circulent chaque jour.
- Descendre de vélo et marcher 200 mètres sur le trottoir (ce que la loi autorise, mais avouez que ça casse un peu le plaisir).
L’avenue Maunoury, parlons-en. Une bande cyclable a bien été peinte cet été… mais elle fait à peine 60 centimètres de large. Les recommandations officielles préconisent au minimum 1 mètre hors stationnement, et bien plus quand il y a du trafic. Autant dire que se faire frôler par une voiture à 50 km/h sur une bande aussi étroite, ça ne donne pas envie de sourire.
Je me suis mis deux minutes à leur place : non merci.
La mairie invoque l’angle mort des bus
De l’autre côté, la municipalité ne démord pas : la cohabitation bus-vélo sur cette portion est trop risquée. Le principal argument ? Les 12 mètres d’angle mort des bus à haut niveau de service (BHNS). Un chiffre qui impressionne.
« Si un bus renverse un vélo, le chauffeur ne le sent même pas », explique un adjoint au maire chargé du cadre de vie.
95 bus passent chaque jour sur cette voie. C’est beaucoup. Et les chauffeurs auraient alerté à plusieurs reprises sur le danger. La décision aurait même été prise pour mettre la signalisation « en cohérence » avec le reste du réseau BHNS, où les vélos sont exclus des couloirs.
Petite précision qui a son importance : en septembre, un panneau autorisant les vélos avait été posé… par erreur, selon la ville. L’entreprise de signalisation se serait trompée. Du coup, pendant deux mois, les cyclistes ont circulé légalement (ou presque). Et là, on leur retire le tapis sous les roues.
Les chiffres qui calment (ou pas) le jeu
Les associations de cyclistes, elles, sortent les statistiques nationales pour relativiser :
- En 2022 : seulement 10 accidents mortels impliquant un bus et un vélo en France.
- Environ 250 blessés la même année.
- Des milliers de villes françaises autorisent la cohabitation sans drame quotidien.
Leur argument est simple : le risque existe, mais il reste extrêmement faible comparé à la fréquence des situations de cohabitation. Et surtout, le détour imposé expose désormais les cyclistes à un risque bien plus grand : la circulation automobile dense.
On tourne un peu en rond, non ? D’un côté l’angle mort, de l’autre les voitures. Au final, on déplace le danger plutôt que de le supprimer.
La solution du trottoir partagé : vraiment une bonne idée ?
La mairie avance une piste pour calmer les esprits : transformer une partie du trottoir (côté impair) en voie cyclable séparée des piétons par un simple marquage au sol.
Sur le papier, pourquoi pas. L’espace existe. Mais dans les faits ? Les cyclistes n’en veulent pas.
D’abord parce que rouler sur un trottoir, même aménagé, reste moins fluide : priorité aux piétons, traversées, sorties de garage… Ensuite parce que ça donne l’impression de reléguer le vélo au statut de « mode mineur », alors que les discours officiels vantent la mobilité douce.
Et puis soyons honnêtes : voir des adultes à vélo slalomer entre les poussettes et les personnes âgées, ça ne fait pas très sérieux pour promouvoir le vélo au quotidien.
Une manifestation inédite ce soir
Ce vendredi 21 novembre à 18h, place Jeanne-d’Arc, les cyclistes ont décidé de se faire entendre. Un rassemblement pacifique, mais symbolique. C’est la première fois qu’une mobilisation de cette ampleur autour du vélo a lieu à Chartres.
L’objectif ? Montrer que les usagers existent, qu’ils sont nombreux, et qu’ils ne sont pas prêts à lâcher 140 mètres aussi facilement.
Entre nous, je trouve ça plutôt sain. Quand les décisions descendent d’en haut sans concertation réelle, la rue reste le dernier moyen d’expression.
Chartres, ville cyclable… ou pas encore ?
Il y a quelques années, la ville avait pourtant le vent en poupe côté vélo. Double sens cyclables qui se multipliaient, bandes peintes un peu partout, discours volontaristes… Et là, ce rétropédalage (sans mauvais jeu de mots) sur une portion pourtant stratégique.
Le timing est d’ailleurs bizarre. On parle partout de transition écologique, de réduction de la place de la voiture, de plan vélo national ambitieux… et localement, on retire un aménagement qui fonctionnait depuis 2013.
Comme souvent, le diable se cache dans les détails : une erreur de panneau, des chauffeurs inquiets, une volonté d’uniformité du réseau BHNS… Tout ça aboutit à une décision qui donne l’impression de faire deux pas en arrière.
Et demain ?
La manifestation de ce soir ne changera probablement pas la signalisation dès lundi. Mais elle peut ouvrir un dialogue. Plusieurs scénarios possibles :
- Rétablir l’autorisation avec des aménagements renforcés (miroirs, signalisation lumineuse, réduction de vitesse des bus).
- Créer une vraie piste cyclable protégée parallèle.
- Maintenir l’interdiction mais améliorer très fortement l’avenue Maunoury (élargissement de la bande, séparation physique).
Ce qui est sûr, c’est que ce conflit de 140 mètres est révélateur d’un problème plus large : tant qu’on considérera le vélo comme un mode « à part », on continuera à lui accorder les restes une fois que bus, voitures et piétons auront été servis.
À Chartres comme ailleurs, la vraie question n’est pas technique. Elle est politique : veut-on vraiment que le vélo devienne un mode de déplacement majeur ? Ou reste-t-il un alibi écologique qu’on brandit en conférence de presse avant de le ranger au placard dès qu’il gêne ?
Ce soir, des centaines de cyclistes vont apporter leur réponse dans la rue. Et quelque part, c’est plutôt une bonne nouvelle pour la démocratie locale.
À suivre…
