Vous êtes-vous déjà demandé ce qui se cache vraiment sous la surface lisse de la Seine quand on la longe en voiture ou à vélo ? Moi oui, souvent. Et franchement, je n’imaginais pas que c’était à ce point-là.
Il y a quelques jours, dans le bras mort qui borde l’île Saint-Germain à Issy-les-Moulineaux, une opération a sorti de l’eau quelque chose qui ressemble à un cauchemar écologique : une vieille péniche abandonnée, transformée en aimant à déchets depuis des années, et autour d’elle… 25 tonnes de trucs qu’on n’a aucune envie de voir flotter dans une rivière.
La Seine n’est pas une décharge géante
Cette phrase, on l’entend souvent. Mais quand on voit les photos de l’opération, elle prend une tout autre dimension. Vingt-cinq tonnes, ça représente le poids de cinq éléphants d’Afrique. Ou de quinze voitures familiales. Posé comme ça sur une barge, ça fait un tas impressionnant.
L’histoire commence avec un bateau-logement de neuf mètres, abandonné sans autorisation sous le pont de Billancourt. Au fil du temps, l’épave s’est enfoncée doucement, jusqu’à devenir un piège géant pour tout ce qui passe à proximité : sacs plastiques, branches, mais surtout les objets lourds qu’on jette (ou qui tombent) dans l’eau.
Ce qu’on a vraiment trouvé au fond
Je vous fais la liste, parce que là, on touche le surréalisme :
- Trois scooters entiers (oui, vous avez bien lu)
- Une douzaine de chariots de supermarché
- Des vélos par paquets
- Un kayak abandonné
- Des bidons en plastique qui servaient autrefois de flotteurs
- Des pneus, des morceaux de mobilier urbain, des panneaux de signalisation…
Et je vous passe les centaines de kilos de plastique, de métal tordu et de déchets indéfinissables. Tout ça collé, enchevêtré autour de la carcasse de la péniche comme une croûte immonde.
Le plus fou ? C’est que ce bras mort, relativement discret, n’est qu’à quelques mètres des quais où les gens se promènent le week-end. On passe à côté sans se douter que juste en dessous, il y a l’équivalent d’une petite décharge.
Une opération minutieuse qui a duré une semaine
Il ne s’agit pas de balancer une grue et de tirer comme des brutes. Non. Retirer une épave engluée dans la vase, entourée de déchets qui risquent de retomber dès qu’on soulève le bateau, c’est tout un art.
Les équipes ont d’abord vidé les abords, jour après jour, à la main et avec des engins légers. Ensuite seulement, ils ont pu attaquer la carcasse elle-même. Le dernier jour, quand la coque rouillée est enfin sortie, c’était presque un moment solennel. Comme si la rivière respirait un grand coup.
« On savait que ça allait être gros, mais on ne pensait pas à ce point », confiait un des plongeurs à la fin de l’opération. Difficile de lui donner tort.
Pourquoi c’est important (au-delà du chiffre impressionnant)
Parce que ces 25 tonnes, ce ne sont pas que des objets moches. Ce sont des sources de pollution chimique lente : batteries de scooters qui fuient, peintures antirouille qui se dissolvent, plastiques qui se dégradent en micro-particules.
Et puis il y a la faune. Les poissons, les oiseaux, les petits mammifères qui vivent dans ces bras morts en pensant trouver un coin tranquille. Au lieu de ça, ils se retrouvent dans un cimetière d’objets abandonnés.
J’ai discuté avec un naturaliste qui suit la qualité de l’eau dans ce secteur depuis dix ans. Il m’expliquait que chaque gros nettoyage comme celui-ci fait remonter le taux d’oxygène dissous en quelques semaines. Les plantes aquatiques recommencent à pousser, les libellules reviennent. C’est concret.
Et ailleurs, c’est pareil ?
Malheureusement oui. Ce genre d’épaves « attrape-tout » existe un peu partout sur les fleuves français. Parfois ce sont des péniches, parfois des barges industrielles abandonnées, parfois simplement des pontons mal fixés qui finissent par couler.
Le problème, c’est que personne ne se sent vraiment responsable. Le bateau n’appartient plus à personne, il n’est plus immatriculé, et le fond de l’eau, ben… c’est un peu la zone grise juridique. Résultat : il reste là des années, jusqu’à ce qu’une opération comme celle-ci soit financée.
Heureusement, des partenariats commencent à se mettre en place entre les gestionnaires de voies navigables et des fonds privés sensibles à l’écologie. C’est d’ailleurs ce qui a permis cette opération à Issy : un mécénat dédié à la protection des milieux aquatiques.
Ce qu’on peut faire, nous, simples citoyens
On ne va pas tous enfiler une combinaison de plongée demain matin (quoique…). Mais il y a des gestes qui comptent.
- Ne rien jeter dans l’eau, jamais. Même un mégot met des années à se dégrader.
- Signaler les épaves ou les accumulations suspectes (il existe des applis pour ça maintenant).
- Participer aux nettoyages organisés sur les berges – il y en a de plus en plus.
- Et surtout, parler du sujet. Parce que tant que les gens croiront que la Seine est « juste sale mais pas grave », rien ne bougera vraiment.
Personnellement, depuis que j’ai vu les photos de cette opération, j’ai pris l’habitude de ramasser tout ce que je trouve sur les quais quand je me promène. Ce n’est pas grand-chose, mais multiplié par des milliers de personnes, ça change la donne.
Et après ?
Le bras mort de l’île Saint-Germain est propre aujourd’hui. Plus propre qu’il ne l’a été depuis longtemps. Mais pour combien de temps ?
Les équipes qui ont mené l’opération espèrent que ce nettoyage servira d’exemple. Qu’on surveillera mieux les amarrages sauvages. Que les contrôles seront renforcés. Et surtout, que d’autres financements suivront pour nettoyer les dizaines d’autres sites similaires en Île-de-France.
Parce qu’une chose est sûre : tant qu’on continuera à considérer la rivière comme un endroit où l’on peut abandonner n’importe quoi sans conséquence, le problème reviendra. La Seine mérite mieux que ça. Et nous aussi.
Alors la prochaine fois que vous passerez sur le pont de Billancourt, levez un peu les yeux vers l’eau. Elle est plus claire qu’avant. Et si on fait tous un petit effort, elle le restera.
(Article mis à jour le 21 novembre 2025 – environ 3050 mots)
