Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi, trente ans après les premières grandes alertes climatiques, on continue à brûler du pétrole comme si de rien n’était ?
En ce 21 novembre 2025, quelque part dans la moiteur de Belém au Brésil, des centaines de négociateurs transpirent littéralement sous les néons d’une conférence qui porte bien son nom : la COP30. Et pourtant, malgré les discours enflammés et les engagements répétés année après année, un chiffre glacial tombe comme un couperet : près de 80 % de l’énergie consommée dans le monde provient encore des énergies fossiles. Oui, vous avez bien lu. Huit sur dix. On en rit presque jaune.
La COP30 ou le miroir brutal de notre addiction
Je ne vais pas vous refaire l’historique complet des COP, ce serait trop long et franchement un peu déprimant. Mais celle-ci, la trentième du nom, avait pourtant une saveur particulière. Pour la première fois, on osait mettre sur la table la question qui fâche vraiment : comment organiser concrètement la sortie du pétrole, du gaz et du charbon ? Pas juste « réduire » ou « verdir ». Non, sortir. Point final.
Et là, patatras. Ce qui devait être le grand tournant ressemble plutôt à un embouteillage géant sur l’autoroute de la transition.
Le bloc des volontaires… et celui des freineurs
D’un côté, plus de quatre-vingts pays – surtout européens, latino-américains et États insulaires – exigent une vraie feuille de route. Pas des promesses floues genre « on verra en 2050 ». Ils veulent des dates, des étapes, des mécanismes de suivi. Logique : pour certains d’entre eux, c’est une question de survie pure et simple. Quand votre île disparaît sous les eaux, on n’a plus vraiment envie de jouer au diplomate patient.
De l’autre côté, les gros joueurs : la Chine, l’Inde, l’Arabie saoudite, la Russie, quelques pays africains producteurs… Leur message est clair : on comprend, mais pas si vite. Leurs économies reposent encore largement sur l’extraction ou la consommation massive d’hydrocarbures. Demander une sortie rapide, c’est un peu leur dire de couper la branche sur laquelle ils sont assis.
« On ne peut pas débrancher la prise du jour au lendemain sans éteindre la lumière pour des milliards de personnes. »
– Un négociateur asiatique, sous couvert d’anonymat
80 %, c’est énorme. Mais d’où vient ce chiffre exactement ?
Ce n’est pas une estimation sortie d’un chapeau. C’est la réalité brute des statistiques énergétiques mondiales. Le pétrole représente encore environ 31 % de l’énergie primaire consommée, le gaz 24 %, le charbon 26 %. À eux trois, ils dépassent largement les 80 %. Les renouvelables ? À peine 12-13 % si on inclut l’hydroélectricité. Le reste, c’est le nucléaire et un peu de biomasse traditionnelle.
Et attention : quand on parle d’énergie primaire, on ne parle pas seulement de l’essence dans votre voiture. C’est tout : l’électricité, le chauffage, l’industrie lourde, les engrais agricoles, les plastiques, le transport maritime et aérien… Bref, le squelette invisible de notre civilisation.
- Le ciment ? Fabriqué avec du charbon ou du gaz.
- Vos vêtements en polyester ? Dérivés du pétrole.
- Le bitume de la route ? Pétrole encore.
- Les réacteurs d’avion ? Toujours pas de batterie assez légère.
Quand on réalise ça, on comprend mieux pourquoi la transition n’est pas qu’une question de bonne volonté.
L’incendie qui a (presque) tout arrêté
Et puis il y a eu cet incendie. Un vrai. Dans le centre de conférences. Rien de grave heureusement, mais assez pour évacuer tout le monde en pleine négociation cruciale. Les délégués ont dû rentrer à l’hôtel, les ordinateurs sont restés allumés, les brouillons sur les tables. Symbole un peu trop parfait, non ? Une conférence sur le climat qui prend feu… On n’aurait pas osé l’inventer.
Certains y ont vu un signe. D’autres, juste la malchance. Moi, j’y vois surtout la preuve qu’on est déjà dans l’urgence, et qu’on continue pourtant à tergiverser.
Pourquoi c’est si dur de lâcher le fossile ? Les vraies raisons (pas celles qu’on nous sert tout le temps)
On entend souvent : « C’est une question de volonté politique ». Oui, bien sûr. Mais ce n’est que la partie émergée. Allons un peu plus loin.
1. L’inertie du système énergétique
Construire un réseau électrique, des centrales, des pipelines, des raffineries, ça prend des décennies. Les investissements faits il y a vingt ou trente ans tournent encore. Les démanteler avant la fin de leur durée de vie ? Économiquement suicidaire pour beaucoup d’acteurs.
2. La pauvreté énergétique
Plus d’un milliard de personnes n’ont toujours pas accès à l’électricité fiable. Pour eux, le charbon ou le bois restent souvent la solution la plus rapide et la moins chère. Leur dire « attendez les éoliennes » alors qu’ils veulent juste éclairer leur maison le soir, c’est un peu… déconnecté.
3. Les emplois et les régions entières qui dépendent du fossile
Des millions de personnes travaillent directement ou indirectement dans l’industrie pétrolière, gazière ou charbonnière. Que propose-t-on concrètement à un mineur polonais ou à un ouvrier de raffinerie texan ? Une formation de trois mois pour installer des panneaux solaires ? Ça ne suffira pas.
4. La finance
Les grandes banques et fonds de pension ont encore des milliers de milliards investis dans les énergies fossiles. Devinez quel camp elles soutiennent quand il s’agit de légiférer trop vite ?
Et les renouvelables alors ? Pourquoi ça ne va pas plus vite ?
Ils progressent, c’est vrai. Le solaire et l’éolien n’ont jamais été aussi compétitifs. Mais il y a un hic : ils sont intermittents. Et stocker l’électricité à grande échelle reste cher et compliqué. Résultat ? Dans beaucoup de pays, on construit des éoliennes… et on garde les centrales à gaz en backup. On ajoute du vert, mais on ne retire pas vraiment du gris.
Et puis il y a les matières premières. Les batteries, les panneaux, les éoliennes ont besoin de lithium, cobalt, cuivre, terres rares. On transfère la dépendance géopolitique du Moyen-Orient vers l’Amérique du Sud et l’Afrique. Est-ce vraiment un progrès ?
Ce que la COP30 pourrait (ou pas) changer
À l’heure où j’écris ces lignes, les négociations sont toujours en cours. On parle d’un texte final qui reconnaîtrait enfin la nécessité de « réduire progressivement » les fossiles. Vous avez noté le mot « progressivement » ? C’est le genre de formulation qui veut tout et rien dire à la fois.
Mais même un texte faible aurait un mérite : il entérinerait l’idée que la sortie des fossiles est désormais l’objectif officiel. C’est déjà un tabou qui tombe. Reste à voir si les pays tiendront parole une fois rentrés chez eux.
« Chaque COP est un petit pas. Parfois on recule, parfois on avance d’un centimètre. Mais l’important, c’est la direction. »
– Une vétérane des négociations climatiques
Et nous, dans tout ça ?
On peut toujours pointer du doigt les gouvernements ou les grandes puissances. Mais soyons honnêtes deux minutes : notre mode de vie repose lui aussi sur cette énergie bon marché et abondante. Le smartphone avec lequel vous lisez cet article, les vêtements que vous portez, la nourriture importée dans votre assiette… tout ça a une empreinte fossile énorme.
La vraie question n’est peut-être pas « quand est-ce que les autres vont changer ? » mais « qu’est-ce que moi, je suis prêt à accepter comme changement ? ». Moins de vols long-courriers ? Une voiture plus petite ? Payer plus cher l’électricité vraiment verte ? C’est là que ça devient concret. Et là que ça coince souvent.
La COP30 ne résoudra pas tout. Elle ne le pourra jamais. Mais elle nous renvoie une image brutale de là où on en est : encore très loin du compte, mais peut-être un tout petit peu plus conscients qu’hier.
Et parfois, c’est déjà un début.
