Jeudi 20 novembre. Une date comme une autre sur le calendrier, et pourtant, pour quatre familles françaises, elle restera gravée comme le jour où tout s’est arrêté. Quatre femmes, quatre prénoms qui résonnent désormais comme un cri : Mélina, Laure, Élodie, Béatrice. Quatre vies fauchées en quelques heures, dans quatre coins différents du pays, par la même main : celle d’un homme qui se croyait propriétaire de leur existence.
Quand on additionne les drames, le chiffre glace le sang. Quatre féminicides en une seule journée. Pas des accidents, pas des « crimes passionnels » comme on osait encore dire il y a vingt ans. Des meurtres prémédités ou explosifs, mais toujours ancrés dans la même logique : celle d’un homme qui refuse qu’une femme lui échappe.
Une journée noire qui n’aurait jamais dû exister
Ce qui frappe d’abord, c’est la banalité terrifiante des lieux. Un pavillon en Gironde, un appartement à Beaucaire, une maison à Sedan, une rue de Besançon un matin d’automne. Des endroits où l’on fait ses courses, où l’on emmène les enfants à l’école. Des endroits où, ce jour-là, la violence conjugale a franchi le point de non-retour.
Gironde : la dispute qui tourne au carnage
À Saint-Ciers-d’Abzac, une femme de 45 ans, mère de deux adolescents, ne rentrera jamais chercher ses enfants au collège. Son compagnon de 60 ans l’a poignardée après une énième dispute. Il a appelé lui-même les gendarmes pour dire, calmement, qu’il venait de la tuer. L’homme avait déjà un passé de violences sur une précédente compagne. Condamné, mais visiblement pas assez suivi. Classique.
Ce qui rend dingue, c’est qu’on connaît le scénario par cœur. Dispute, cris, menaces, puis le geste fatal. Et après ? L’agresseur qui se dénonce ou tente de fuir, comme si le meurtre était la conclusion logique de sa « propriété » sur elle.
Gard : le mensonge qui ne prend plus
À Beaucaire, l’homme s’est présenté au commissariat en prétendant avoir « découvert » sa femme inconsciente. Sauf que les policiers, eux, ont vu le corps sans vie sur le lit et les traces qui ne trompent pas. Déjà connu pour des violences, il a été placé en garde à vue immédiatement. On attendra les conclusions, mais le doute n’est plus vraiment permis.
Combien de fois entend-on encore « il était sans histoire » ou « c’était un bon père » ? Trop souvent.
Ardennes : le meurtre suivi du suicide raté
À Sedan, c’est presque un schéma de film d’horreur. L’homme tue sa compagne chez eux, descend le corps au sous-sol, nettoie vaguement le salon plein de sang, puis prend la voiture et provoque un accident pour en finir. Raté. Légèrement blessé, il avoue tout. Le couple était inconnu des services. Parfois, le monstre dort tranquille jusqu’au jour où il se réveille.
Doubs : la séparation qui coûte la vie
Et puis il y a Mélina, 32 ans, abattue de plusieurs balles de carabine alors qu’elle montait dans sa voiture pour aller travailler, à Besançon. Son ex-conjoint, 34 ans, déjà condamné pour violences et harcèlement sur une autre femme, avait été hospitalisé en psychiatrie récemment. Elle avait porté plainte deux fois ces derniers mois. Elle avait même un bouton d’alerte « Monshérif » depuis octobre. Il a suffi qu’elle sorte de chez elle pour qu’il tire.
Le moment le plus révoltant ? Il s’est barricadé chez lui avec l’arme avant de se rendre. Des heures de négociation pour un type qui avait déjà tout planifié.
Des signaux d’alerte ignorés ou minimisés
Dans presque tous ces cas, il y avait des antécédents. Condamnations, plaintes, hospitalisations, mains courantes. Des bouts de papier, des alertes lancées dans le vide. On parle beaucoup du « parcours judiciaire » des agresseurs, mais force est de constater qu’il ressemble souvent à une succession de portes fermées ou entrouvertes.
- Un sexagénaire déjà condamné pour violences sur une ex
- Un homme suivi psychiatriquement et armé
- Des plaintes récentes classées ou en attente
- Des voisins qui « n’avaient rien vu venir »
Et pourtant, tout était là. En pointillé, mais bien là.
Les enfants au milieu des décombres
Derrière chaque féminicide, il y a aussi des enfants qui perdent leur mère. Deux ados en Gironde qui ne comprendront jamais pourquoi leur beau-père a fait ça. D’autres, ailleurs, qui grandiront avec l’image du père assassin ou du père en prison. On parle peu d’eux, mais ils sont les victimes collatérales d’une violence qui ne s’arrête pas au cercueil.
J’ai croisé un jour une gamine de 12 ans qui m’a dit : « Papa a tué maman, mais c’est moi qu’il a tuée aussi. » Je n’ai jamais oublié cette phrase.
La réaction politique : entre colère et promesses
La ministre chargée de l’Égalité femmes-hommes a réagi avec une colère rare : « Elles sont mortes parce qu’elles voulaient être libres. » Elle a raison. Et elle a ajouté que les féminicides ne sont pas des faits divers, mais des faits politiques. C’est exactement ça. Chaque fois qu’une femme meurt sous les coups de son conjoint, c’est toute la société qui est mise en accusation.
« Mélina, Laure, Élodie, Béatrice sont mortes ce soir parce qu’elles voulaient être libres. Choisir leur vie. Se séparer. »
– Message officiel diffusé le soir même
Promesses d’aller plus loin, de renforcer les moyens, de mieux former les forces de l’ordre. On a déjà entendu ça. Et pourtant, entre 2023 et 2024, les féminicides conjugaux ont augmenté de 11 %. Un mort tous les trois jours. Le compte est mauvais.
Et nous, dans tout ça ?
On peut toujours pointer du doigt l’État, la justice, la police. Mais il y a aussi le voisin qui entend les cris et baisse le son de sa télé. L’ami qui trouve que « ça va, elle exagère ». La collègue qui minimise parce que « il est gentil quand il veut ».
Les féminicides ne tombent pas du ciel. Ils sont la pointe émergée d’un iceberg fait de remarques sexistes, de blagues douteuses, de « c’est bon, calme-toi », de contrôle déguisé en amour.
Chaque fois qu’on laisse passer une main aux fesses, un « t’es sûre de vouloir porter ça ? », un « reviens, sans moi tu n’es rien », on pose une petite brique de cet iceberg.
Que faire, concrètement, demain matin ?
- Appeler le 3919 dès qu’on est témoin ou victime – c’est anonyme et ça sauve des vies
- Ne jamais minimiser les « petites » violences
- Exiger que les plaintes soient prises au sérieux, partout
- Parler à nos fils du respect, de la frustration, du non qui veut dire non
- Soutenir les associations qui hébergent, accompagnent, protègent
Ce n’est pas glamour. Ce n’est pas révolutionnaire. Mais c’est ce qui marche.
Je termine en pensant à ces quatre femmes dont les prénoms tournent en boucle depuis hier. Mélina qui partait travailler. Laure qui faisait à manger pour ses ados. Élodie et Béatrice dont on sait encore si peu. Elles ne rentrent pas ce soir. Elles ne rentreront jamais.
Et moi, je me dis que tant qu’on continuera à parler de « drame conjugal » plutôt que d’assassinat, tant qu’on cherchera des circonstances atténuantes à l’assassin plutôt que de protéger la victime avant, on continuera à compter les mortes.
Quatre en une journée. Quatre de trop.
Demain, il y en aura peut-être une autre. Ou zéro. Tout dépend aussi de nous.
