Il y a des moments dans la vie où l’on réalise que certains souvenirs d’enfance ont littéralement changé le cours de l’histoire culturelle d’un pays. Moi, ça m’est arrivé un soir d’automne, dans une salle parisienne bondée, quand plusieurs centaines d’adultes de 40 à 55 ans se sont mis à hurler « Go ! » en levant le poing comme un seul homme. Le simple fait d’entendre les premières notes du générique a suffi. Cinquante ans après sa création, Goldorak reste une madeleine de Proust géante, un robot de 25 mètres capable de faire vibrer encore des cœurs adultes.
Mais surtout, il a été bien plus qu’un dessin animé. Il a été le big bang de la culture japonaise en France.
Le choc tellurique de l’été 1978
Juillet 1978. La France sort tout juste de Mai 68, Giscard est au pouvoir, les 3 Suisses font rêver les familles avec leur catalogue, et la télévision ne compte que trois chaînes. C’est dans ce contexte qu’un ovni (au sens propre) débarque un mercredi après-midi sur Antenne 2 : un prince extraterrestre chevelu, un robot doré avec des cornes, des méchants venus de Véga et des combats spatiaux ultra-violents pour l’époque.
Les parents hurlent au scandale. Les enfants, eux, sont scotchés. Les audiences explosent. Les cours de récréation se transforment en champs de bataille où l’on crie « Fulguro-poiiiing ! » et « Astéro-hache ! ». Personne ne comprend encore que quelque chose d’historique est en train de se produire.
« On a découvert qu’un dessin animé pouvait être autre chose qu’un petit lapin rigolo ou un chat qui court après une souris. Là, il y avait de la tragédie, de la guerre, de l’amour, de la mort. C’était du Shakespeare avec des robots. »
– Un fan de la première heure, aujourd’hui quinquagénaire
Un succès que personne n’avait prévu, même pas les Japonais
Au Japon, Goldorak (ou Grendizer, de son vrai nom) n’était qu’une série parmi d’autres dans la saga des robots géants créée par un certain Go Nagai. Diffusée entre 1975 et 1977, elle avait bien marché, mais sans plus. Personne n’imaginait qu’elle allait devenir, en France, le plus grand phénomène télévisuel de l’histoire après le premier pas sur la Lune.
Il faut dire que le timing était parfait. Les enfants des années 70-80 étaient prêts à accueillir quelque chose de nouveau, de fort, de différent. Et Goldorak arrivait avec tout : des personnages charismatiques, une vraie histoire qui se suit sur des dizaines d’épisodes, des enjeux dramatiques, et surtout une esthétique jamais vue.
- Actarus, le héros blessé, exilé, qui cache sa douleur derrière un sourire
- Alcor, le pote rebelle prêt à tout pour ses amis
- Vénusia, la fille forte qui pilote aussi bien que les garçons
- Hydargos et Minas, des méchants vraiment terrifiants
- Et ce robot… ces cornes, ces ailes rétractables, ces missiles dans les avant-bras
C’était du jamais-vu. Et ça a marqué des millions d’enfants au fer rouge.
Pourquoi Goldorak a touché si profondément la France
J’ai ma petite théorie là-dessus. Après 1945, la France avait été inondée de culture américaine – Disney, westerns, rock’n’roll. Goldorak a été le premier contre-modèle massif venu d’ailleurs. Un ailleurs qui n’était pas l’Amérique. Un ailleurs asiatique, avec une sensibilité différente : le sens du sacrifice, l’honneur, la mélancolie, la poésie même dans la violence.
Les enfants français ont découvert qu’on pouvait pleurer devant un dessin animé. Qu’un héros pouvait être fragile. Qu’une série pouvait parler de guerre, d’écologie (la Terre menacée), de colonialisme même (les forces de Véga qui envahissent les planètes). Tout ça, enrobé dans des combats de robots spectaculaires.
Et puis il y avait la musique. Ces génériques qui restent encore aujourd’hui parmi les plus repris, les plus samplés, les plus chantés sous la douche. L’original japonais d’abord, puis toutes les versions françaises qui ont suivi. On a tous en tête la voix qui lance « Paré à lutter contre l’infâme Véga »… Impossible de l’oublier.
L’effet Goldorak sur toute une génération
Ce qui est fascinant, c’est que l’impact va bien au-delà de la simple nostalgie. Des sociologues ont montré que les enfants qui ont regardé Goldorak ont développé une ouverture d’esprit particulière sur le monde et les cultures étrangères. Ils ont été la première génération vraiment curieuse du Japon.
Et les chiffres parlent d’eux-mêmes :
- Plus de 80 % des Français nés entre 1970 et 1980 connaissent Goldorak
- Des centaines de milliers de produits dérivés vendus dans les années 80
- Des expositions qui remplissent encore les salles en 2025
- Des soirées où des quinquas dansent sur les génériques comme des ados
« Si on mange des sushis aujourd’hui, c’est grâce à Goldorak »
Cette phrase, je l’ai entendue plusieurs fois, et elle n’est pas si exagérée. Avant 1978, le Japon, c’était loin. Très loin. Après Goldorak, des gamins ont voulu en savoir plus. Ils ont découvert les mangas, les animés, la cuisine, les arts martiaux, la calligraphie, le bouddhisme zen.
Goldorak a ouvert une brèche. Ensuite sont arrivés Candy, Capitaine Flam, Albator, puis le Club Dorothée avec ses centaines d’épisodes de Dragon Ball, Sailor Moon, Ken le Survivant… Et enfin, dans les années 90-2000, la vague manga avec Naruto, One Piece, et l’explosion des restaurants japonais partout en France.
« Goldorak a été le premier ambassadeur culturel du Japon en France. Sans lui, pas de mangas dans les librairies, pas de sushi dans les supermarchés, pas de cosplay dans les conventions. »
Aujourd’hui, la France est le deuxième consommateur mondial de mangas après le Japon. On compte plus de 3000 restaurants japonais rien qu’à Paris. Et tout a commencé avec un robot aux cornes dorées.
Cinquante ans après, pourquoi ça marche encore ?
Parce que Goldorak parle d’universalité. De la peur de l’autre, mais aussi de la possibilité de cohabiter. Actarus est un réfugié. Il a fui sa planète détruite. Il cache son identité. Il souffre. Il protège quand même la Terre qui l’a accueilli. Dans le contexte actuel, ça résonne terriblement.
Et puis il y a cette madeleine de Proust pure. Pour toute une génération, revoir Goldorak, c’est retrouver l’insouciance, les mercredis après-midi, le goût du pain au chocolat en rentrant de l’école, les copains qui jouaient à « qui pilote Goldorak » dans la cour.
Au fond, Goldorak n’a pas pris une ride. Les graphismes, oui, forcément. Mais l’émotion, elle, est intacte. Et c’est peut-être ça, le vrai secret de sa longévité.
Alors la prochaine fois que vous mangerez des sushis, levez votre baguette en l’air et pensez très fort : merci Actarus. Merci Goldorak. Grâce à toi, on a découvert qu’un dessin animé pouvait changer un pays entier.
Et quelque part, dans une galaxie lointaine, un robot aux cornes dorées doit être fier de ce qu’il a accompli.
